Imaginez la scène. Vous êtes au café avec vos amis, on parle foot, boulot, vacances. Et puis quelqu’un lâche : « Tu sais, si jamais y’a une vraie guerre, ton gamin de 19 ans pourrait être appelé sous les drapeaux. » Silence. On rigole nerveusement, on change de sujet. Pourtant, depuis quelques jours, cette idée qui paraissait totalement surréaliste il y a encore cinq ans refait surface dans les conversations. Et elle ne vient pas d’un complotiste sur Telegram, mais du plus haut gradé de l’armée française.
Quand le chef d’état-major parle de « perdre nos enfants »
Tout est parti d’une phrase. Une seule. Prononcée devant des centaines de maires. Le général qui dirige nos armées a dit, sans détour, qu’en cas de conflit majeur, la Nation devrait être prête à accepter des pertes, y compris chez les plus jeunes. Autrement dit : oui, « nos enfants » pourraient mourir au combat.
Le choc a été immédiat. Parents, élus, réseaux sociaux : tout le monde s’est enflammé. Certains ont crié au scandale, d’autres à la provocation inutile. Le gouvernement a vite dépêché sa porte-parole pour calmer le jeu : « Non, non, rassurez-vous, on a une armée pro, personne n’enverra vos enfants se faire tuer en Ukraine. »
Mais au-delà de la polémique, la vraie question demeure : qu’est-ce qui est possible, légalement et pratiquement, en France en 2025 ? Parce que non, le service militaire n’est pas revenu. Mais non plus, on ne peut pas dire que tout est comme avant.
L’armée professionnelle : la fin d’un mythe ?
Depuis 1997 et la décision de Jacques Chirac, la France fonctionne avec une armée de métier. Finies les classes, les perms, les corvées de patates. On recrute des volontaires, on les forme longtemps, on les paye correctement. L’idée était simple : une armée plus petite, mais plus efficace.
Et ça a plutôt bien marché… tant qu’on faisait des opérations extérieures limitées. Quelques milliers de gars au Sahel, en Centrafrique, au Levant. Mais face à un conflit de haute intensité contre un adversaire de même niveau ? Les calculs sont cruels. Nos 200 000 militaires professionnels ne suffiraient pas. Loin de là.
« Une guerre moderne, c’est des centaines de milliers d’hommes, des pertes quotidiennes énormes, des besoins logistiques colossaux. Avec seulement des pros, on tient quelques semaines, pas plus. »
– Un ancien officier supérieur ayant servi en état-major
Les réservistes : la première ligne de renfort
Première ressource cachée : la réserve opérationnelle. Environ 40 000 personnes aujourd’hui, souvent d’anciens militaires qui ont gardé un pied dans l’institution. Ils signent pour quelques dizaines de jours par an, touchent une petite solde, et peuvent être rappelés en cas de besoin.
Mais attention : ce ne sont pas des « civils lambda ». Ce sont des gens déjà formés, souvent entre 30 et 50 ans, qui savent manier une arme et connaissent les procédures. Les appeler, c’est rapide et légal. D’ailleurs, une partie a déjà été mobilisée pour Vigipirate ou Sentinelle.
- Réserve opérationnelle de niveau 1 : anciens pros, rappelables immédiatement
- Réserve opérationnelle de niveau 2 : civils ayant suivi une préparation militaire
- Réserve citoyenne : bénévoles, plutôt pour des missions de communication
En clair : vos voisins qui font leur week-end de réserve tous les deux mois pourraient être les premiers à repartir. Pas vos ados.
Et le fameux « service national universel » alors ?
On en entend parler tous les quatre matins. Le SNU, ce stage de deux semaines en uniforme avec levée des couleurs et chant de la Marseillaise. Sympa pour Instagram, mais militairement : zéro intérêt.
Les jeunes qui le font n’apprennent ni à tirer, ni à creuser une tranchée, ni à lire une carte. C’est avant tout civique et éducatif. Aucun texte ne prévoit de le transformer en réservoir de soldats en cas de guerre. Donc non, votre fils qui a fait son SNU en 2024 ne sera pas plus mobilisable qu’un autre.
La réquisition civile : le scenario du pire
Maintenant, on entre dans le dur. Le Code de la défense est clair : en cas de « menace pesant sur une partie du territoire, sur une partie de la population ou sur l’ensemble de la Nation », l’État peut réquisitionner « toute personne, physique ou morale, ainsi que tous les biens ». Traduction : oui, on peut forcer n’importe quel Français à travailler pour l’effort de guerre.
Mais attention aux idées reçues. Cela ne veut pas dire qu’on va coller un Famas dans les mains d’un étudiant en droit et l’envoyer en première ligne. La réquisition, c’est d’abord :
- Travailler dans une usine d’armement 6j/7
- Conduire des camions pour la logistique militaire
- Soigner dans un hôpital militaire
- Assurer la cybersécurité nationale
Envoyer des civils non formés au combat ? Ce serait non seulement illégal au regard des conventions internationales, mais aussi complètement contre-productif. Un soldat sans entraînement est plus un danger qu’un atout.
Et si on rétablissait vraiment la conscription ?
Légalement, rien de plus simple. Il suffirait d’une loi votée au Parlement. En quelques mois, on pourrait rappeler les classes. Plusieurs pays l’ont fait récemment : les pays baltes, la Suède, la Norvège… Même l’Allemagne y pense sérieusement.
Mais en France ? Politiquement, ce serait un suicide. Aucun parti majeur n’ose en parler ouvertement. Les sondages sont clairs : moins de 30 % des Français y sont favorables en temps de paix. Et même en cas de tension extrême, la pilule serait dure à avaler.
« Réinstaurer la conscription demain, il faudrait au minimum 18 mois pour avoir les premiers bataillons opérationnels. C’est trop long pour une guerre qui peut démarrer en 48 heures. »
– Analyste défense ayant travaillé sur les scénarios OTAN
Ce qui pourrait vraiment arriver à votre enfant de 20 ans
Soyons concrets. Voici, par ordre de probabilité, ce qui pourrait lui arriver en cas de conflit majeur impliquant la France :
- Rien du tout (scenario le plus probable si le conflit reste lointain)
- Être réquisitionné pour une activité civile d’intérêt général (usine, hôpital, logistique)
- Être incorporé s’il a déjà une formation militaire (réserve, préparation militaire supérieure d’État)
- Être appelé sous les drapeaux si la conscription est rétablie (scenario extrême, très long à mettre en œuvre)
- Être envoyé au front sans formation (impossible légalement et pratiquement)
En résumé : non, votre enfant ne sera pas envoyé demain matin avec un fusil en Ukraine. Mais oui, en cas de guerre totale sur le sol européen, l’État dispose de moyens légaux pour mobiliser massivement la population – surtout pour soutenir l’effort de guerre, pas forcément pour combattre.
Pourquoi cette question nous obsède déjà
Ce qui est fascinant, c’est que cette polémique révèle quelque chose de plus profond. Depuis trente ans, on avait collectivement oublié que la guerre pouvait concerner tout le monde. On regardait les conflits à la télé comme des séries Netflix : lointains, spectaculaires, mais sans impact sur notre quotidien.
Aujourd’hui, quelque chose a changé. Les discours se durcissent. Les budgets défense explosent. On reparle de bunkers, de stocks stratégiques, de résilience nationale. Et surtout, on repose la question qui fâche : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour défendre nos valeurs ?
Parce qu’au fond, la phrase du général, aussi brutale soit-elle, a le mérite de la clarté. Une nation qui n’est pas prête à perdre ses enfants pour se défendre est une nation qui finira par perdre sa liberté. C’est dur à entendre. C’est peut-être vrai.
Alors non, personne ne viendra chercher votre fils ou votre fille demain. Mais oui, le monde a changé. Et il est temps, peut-être, d’en parler sérieusement en famille. Pas pour paniquer. Juste pour ne pas être surpris le jour où l’histoire nous rattrapera.
