Vous êtes-vous déjà demandé jusqu’où la passion politique pouvait abîmer les murs d’une institution vieille de cinq siècles ? Personnellement, quand j’ai vu les photos de ces façades taguées en plein cœur du Quartier Latin, j’ai eu un pincement au cœur. Le Collège de France, ce temple du savoir où ont enseigné Bergson, Claude Lévi-Strauss ou Pierre-Gilles de Gennes, s’est retrouvé couvert d’inscriptions violentes à cause d’un simple colloque. Un colloque sur la Palestine, rien de moins.
Et pourtant, ce qui aurait dû rester un débat intellectuel a dégénéré en affaire judiciaire. Deux plaintes déposées, une enquête ouverte, des professeurs nommément visés. On se croirait presque dans un polar, sauf que ça se passe ici, en _was_2025, dans l’une des plus prestigieuses institutions françaises.
Quand un colloque devient un champ de bataille symbolique
Tout a commencé avec l’annonce d’un événement intitulé « Palestine et Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines ». Un titre un peu long, certes, mais qui annonce clairement la couleur : on va parler histoire, géopolitique, relations complexes. Rien de révolutionnaire pour une institution dont la devise est justement d’enseigner « le savoir en train de se faire ».
Mais très vite, les critiques fusent. Certains y voient une tribune « propalestinienne » déguisée, d’autres une « foire antisioniste ». Les réseaux s’enflamment, les communiqués tombent, et l’ambiance devient électrique. Résultat ? L’établissement préfère annuler purement et simplement l’événement prévu initialement dans ses murs. Motif officiel : garantir la sécurité des personnes et la sérénité des débats.
Franchement, je comprends la prudence. Quand on voit ce qui s’est passé ensuite, on se dit que la décision, aussi douloureuse soit-elle, n’était peut-être pas si absurde.
Les tags qui ont tout fait basculer
Le 5 novembre, puis à nouveau le 14, les façades du Collège se réveillent couvertes d’inscriptions. Et pas n’importe lesquelles. On parle d’accusations directes, nominatives, contre l’organisateur principal du colloque – un historien reconnu spécialiste du Proche-Orient – et contre certains de ses collègues.
Des messages qui évoquent une prétendue « complicité avec le Hamas », qui dénoncent un antisionisme supposé, voire un antisémitisme fantasmé de l’événement.
Imaginez-vous arriver le matin pour donner votre cours et découvrir votre nom associé à des organisations terroristes sur les murs de votre lieu de travail. C’est violent, c’est intime, c’est inacceptable. Et pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé.
Le plus troublant ? Ces tags ne sont pas l’œuvre d’une bande d’adolescents en quête de sensations. Ils sont précis, ciblés, rédigés avec une certaine maîtrise du sujet. On sent la colère, oui, mais aussi une forme de connaissance du milieu académique. Ça rend l’affaire encore plus glaçante.
Une enquête en cours et des questions qui dérangent
Face à ces dégradations répétées, la direction n’a pas hésité : deux plaintes ont été déposées, et le parquet de Paris a ouvert une enquête. Les investigations ont été confiées au commissariat du 5e arrondissement. On parle de dégradations, évidemment, mais aussi d’injures publiques à caractère antisémite ou, selon le point de vue, d’injures tout court.
Car c’est là que tout devient ambigu. Qui sont les victimes ? Qui sont les agresseurs ? Dans ce genre d’affaires, les rôles s’inversent parfois très vite selon les sensibilités de chacun. Ce qui est certain, c’est que l’enquête devra faire la lumière sur l’identité des auteurs. Caméras de surveillance, relevés d’empreintes, analyse graphologique… tout y passera.
- Des inscriptions récurrentes sur plusieurs jours
- Des accusations nominatives particulièrement graves
- Une répétition qui suggère une forme d’organisation
- Un impact direct sur la tenue d’un événement scientifique
Et pendant ce temps, le colloque a bien eu lieu… mais ailleurs. Dans les locaux d’un centre de recherche partenaire, à l’abri des regards et des bombes de peinture. Triste ironie pour un débat qui portait justement sur les dynamiques contemporaines.
La liberté académique en danger ?
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est la vitesse à laquelle un débat intellectuel a pu déraper vers l’intimidation physique. On parle quand même du Collège de France, pas d’un campus américain où ce genre de tensions est malheureusement plus fréquent.
Depuis plusieurs années, on sentait le climat se tendre autour des questions liées au Proche-Orient dans les universités françaises. Mais là, on franchit un cap. Quand des professeurs se font taguer leur nom avec des accusations aussi graves, on entre dans une zone rouge.
Et le pire, c’est l’effet dissuasif. Combien d’autres chercheurs vont désormais hésiter à organiser des événements sur des sujets sensibles ? Combien de conférences vont être annulées par précaution ? C’est toute la liberté académique qui prend un coup dans l’aile.
« La science doit pouvoir se faire dans la sérénité », avait-on l’habitude de dire. Aujourd’hui, elle se fait sous protection policière ou… pas du tout.
Un précédent inquiétant pour l’avenir
Ce qui s’est passé au Collège de France n’est pas un incident isolé. On se souvient d’autres conférences annulées, d’autres intervenants désinvités, d’autres murs tagués ces dernières années. Mais là, le symbole est particulièrement fort.
Quand une institution aussi prestigieuse doit céder face à la menace, qu’est-ce que ça dit de notre capacité collective à débattre calmement ? On peut être farouchement opposé aux idées défendues dans un colloque et quand même trouver abject de taguer des murs pour l’empêcher.
Il y a une différence énorme entre critiquer un événement – ce qui est parfaitement légitime – et intimider physiquement ceux qui l’organisent. La première attitude fait partie du débat démocratique. La seconde relève de la violence pure et simple.
Et maintenant ?
L’enquête suivra son cours. Peut-être qu’on connaîtra bientôt l’identité des auteurs. Peut-être que justice sera rendue. Mais le mal est fait. Les murs pourront être nettoyés, les tags effacés, mais la trace psychologique, elle, restera longtemps.
Ce qui me reste en tête, c’est cette image d’un savoir millénaire confronté à la violence la plus crue. Le Collège de France a survécu à la Révolution, aux guerres, aux occupations. Il survivra à ces tags. Mais à quel prix pour la liberté de penser ?
Une chose est sûre : cette affaire nous oblige à nous poser les bonnes questions. Sur la manière dont on débat. Sur les limites de la critique. Sur ce qu’on est prêts à accepter au nom de la sécurité. Parce qu’au final, si même le Collège de France doit céder face à quelques bombes de peinture, alors c’est toute notre conception de la liberté académique qu’il faut revoir.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Jusqu’où peut-on aller pour faire taire ceux avec qui on n’est pas d’accord ? La question mérite d’être posée. Sereinement. Sans tags.
