Imaginez un peu la scène : vous êtes élu au Parlement européen, censé défendre les intérêts de vos concitoyens, et pourtant vous acceptez discrètement des enveloppes bien remplies pour répéter mot pour mot ce que Moscou vous dicte. C’est exactement ce qui vient d’arriver à un ancien poids lourd du camp pro-Brexit britannique. Et la sentence est tombée, lourde, très lourde.
Dix ans de prison pour avoir vendu sa voix au Kremlin
Le verdict est sans appel. Un tribunal londonien vient de condamner Nathan Gill, 52 ans, ex-eurodéputé du parti UKIP puis du Brexit Party, à dix ans et demi de prison ferme. Le motif ? Corruption aggravée au profit d’intérêts russes entre 2018 et 2019, alors qu’il siégeait encore à Bruxelles. Autrement dit, il a monnayé ses interventions publiques contre du cash venu tout droit de réseaux proches du Kremlin.
Franchement, quand on voit la sévérité de la peine, on sent que la justice britannique a voulu faire un exemple. Le juge n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : il a parlé d’une « grave trahison » envers les électeurs et d’une atteinte directe à l’intégrité d’une institution supranationale. Rien que ça.
Un système bien rodé de paiements en espèces
Comment ça marchait ? Très simplement, et en même temps de façon terriblement efficace. Nathan Gill recevait des brouillons de discours rédigés par un politicien ukrainien notoirement pro-russe, Oleg Volochine. Il les apprenait, les prononçait à la tribune du Parlement européen ou dans les médias britanniques, et hop, quelques jours plus tard, une enveloppe contenant plusieurs milliers de livres (ou d’euros) atterrissait entre ses mains.
L’accusation a révélé que l’argent provenait en réalité d’un oligarque ukrainien très proche de Vladimir Poutine, Viktor Medvedtchouk – oui, celui-là même que Kiev a ensuite échangé contre des prisonniers de guerre en 2022. Chaque intervention « sponsorisée » rapportait environ 5 000 £. Pas mal pour quelques minutes de parole, non ?
« Votre conduite a fondamentalement compromis l’intégrité d’un organe législatif supranational »
– La juge lors du prononcé de la sentence
Des preuves accablantes retrouvées dans son téléphone
L’enquête a démarré sérieusement en septembre 2021, quand les autorités britanniques ont interpellé Nathan Gill à l’aéroport de Manchester. Il s’apprêtait à embarquer pour… Moscou. Mauvais timing. Son téléphone a parlé pour lui : des messages WhatsApp échangés avec Oleg Volochine mentionnaient des « cadeaux de Noël, des « cartes postales » et surtout des « 5K » à venir. Le tout accompagné de félicitations mielleuses après chaque discours pro-russe.
- Un discours du 12 décembre 2018 ? Repris quasiment mot pour mot d’un texte envoyé par Volochine.
- Un message de remerciement signé « V » le 30 janvier 2020 ? Les enquêteurs sont formels : il s’agit de Viktor Medvedtchouk.
- Des références répétées à des paiements en cash, toujours en coupures.
Autant dire que la défense a eu du mal à expliquer tout ça. Nathan Gill a fini par plaider coupable sur huit chefs d’accusation. Game over.
Un proche de Nigel Farage dans la tourmente
Ce qui rend l’histoire encore plus explosive, c’est le pedigree politique de l’intéressé. Nathan Gill a été élu sous l’étiquette UKIP en 2014, aux côtés de Nigel Farage himself. Il a ensuite suivi ce dernier dans le Brexit Party, avant de prendre en 2021 la tête de Reform UK au Pays de Galles. Aujourd’hui, il n’est plus membre du parti, mais le lien reste brûlant.
Nigel Farage, actuel patron de Reform UK et éternel trublion de la politique britannique, se retrouve éclaboussé malgré lui. Il jure qu’il n’était au courant de rien – « j’ai été stupéfait » a-t-il déclaré récemment. Mouais. Difficile à avaler quand on sait que les deux hommes ont partagé des années de combat politique commun.
Du côté des adversaires, on ne se prive pas pour enfoncer le clou. Le leader libéral-démocrate Ed Davey a carrément qualifié Reform UK de « danger pour la sécurité nationale ». Le gouvernement britannique, par la voix du secrétaire d’État aux forces armées, demande une enquête indépendante pour purger le parti de tout lien résiduel avec Moscou. Autant dire que la campagne pour les prochaines élections risque d’être mouvementée.
Pourquoi une peine aussi sévère ?
Dix ans et demi, ça peut paraître énorme pour de la corruption « intellectuelle ». Mais il faut replacer les faits dans leur contexte géopolitique. Nous sommes en 2018-2019 : la guerre en Ukraine a déjà commencé avec l’annexion de la Crimée, les sanctions pleuvent, et la Russie cherche désespérément des relais d’influence en Europe. Chaque voix pro-russe au Parlement européen compte.
En acceptant de relayer la propagande du Kremlin, Nathan Gill ne faisait bien plus que toucher un petit pactole. Il participait activement à une campagne de désinformation visant à affaiblir le soutien européen à l’Ukraine. Dans ce contexte, la justice britannique a considéré qu’il s’agissait presque d’une forme de trahison en temps de guerre hybride.
« Ces agissements ont érodé la confiance du public dans la démocratie »
– Extrait du jugement
Et maintenant ? Les questions qui restent en suspens
L’affaire Nathan Gill n’est probablement que la partie visible de l’iceberg. Combien d’autres élus, en Europe ou hors du Royaume-Uni, ont cédé à la tentation ? Les services de renseignement britanniques parlent depuis des années d’une infiltration massive des cercles politiques par des fonds russes. Cette condamnation pourrait ouvrir la boîte de Pandore.
J’ai personnellement l’impression que l’on va assister, dans les mois qui viennent, à une vraie chasse aux sorcières – ou plutôt aux taupes – dans les partis populistes européens. Car si un ancien lieutenant de Farage a pu tomber aussi bas, qui nous dit que d’autres n’ont pas fait la même chose en Hongrie, en Italie ou en France ?
Une chose est sûre : cette histoire rappelle à quel point l’argent peut corrompre même ceux qui se présentent comme les défenseurs du peuple contre les élites. Le Brexit or not Brexit, la démocratie reste fragile quand des élus préfèrent remplir leurs poches plutôt que de servir leurs électeurs.
Au final, dix ans derrière les barreaux, c’est peut-être le prix à payer pour avoir cru que l’on pouvait jouer sur les deux tableaux sans jamais se faire prendre. L’histoire, elle, retient surtout que la loyauté a un prix… et que la trahison aussi.
Et vous, pensez-vous que cette condamnation va vraiment nettoyer la politique britannique, ou est-ce juste un coup d’épée dans l’eau ? Les commentaires sont ouverts.
