Vous est-il déjà arrivé de tomber sur un nom que vous connaissiez vaguement et de vous dire, tout à coup, que ce type jouait peut-être dans une tout autre catégorie que celle qu’on imaginait ? C’est exactement ce qui m’a traversé l’esprit en découvrant l’ampleur des échanges entre un célèbre journaliste américain et le réseau du financier déchu Jeffrey Epstein.
213 fois. Le chiffre donne le vertige. C’est le nombre de fois où le nom de Michael Wolff apparaît dans la masse colossale d’emails rendus publics récemment. À 72 ans, l’auteur de best-sellers qui ont déjà fait trembler Washington se retrouve, presque malgré lui, au cœur de l’une des affaires les plus nauséabondes de ces dernières décennies.
Le retour en force d’une figure clivante
On le croyait rangé des voitures après ses trois livres incendiaires sur la présidence Trump. Eh bien non. Michael Wolff est revenu, plus déterminé que jamais, avec une obsession qui frise parfois le délire : faire tomber celui qu’il appelle, sans détour, l’homme le plus dangereux de la planète.
Ce qui frappe d’abord, c’est le contraste. D’un côté, un reporter expérimenté, habitué des couloirs du pouvoir, qui a interviewé des prix Nobel et des milliardaires. De l’autre, des échanges écrits où il prodigue des conseils de communication à un prédateur sexuel notoire, où il flatte, où il manœuvre. On se demande légitimement où s’arrête le journalisme et où commence… autre chose.
Des méthodes qui divisent depuis toujours
Il faut dire que Michael Wolff n’a jamais été un enfant de chœur. Ses détracteurs – et ils sont nombreux – lui reprochent depuis longtemps une proximité parfois gênante avec ses sources. Il a cette capacité rare à se faire inviter dans les salons où l’on décide du monde, à obtenir des confidences que d’autres n’auraient jamais.
« La fin justifie les moyens » – c’est presque devenu sa devise officieuse.
Et dans le cas présent, les moyens ont de quoi faire grincer des dents. Des messages où il conseille sur la meilleure façon de redorer une image abîmée, où il propose des angles de communication, où il semble presque coach médiatique. Tout ça avec un homme condamné pour des crimes ignobles sur mineures. Difficile de ne pas tiquer.
Trump, l’obsession qui ne passe pas
Mais pour Wolff, tout ça n’est qu’un moyen. Le véritable objectif reste inchangé depuis 2016 : Donald Trump. Il le répète à qui veut l’entendre, parfois avec une intensité qui fait hausser les sourcils : le vrai scandale, ce n’est pas Epstein, c’est Trump.
J’ai relu récemment certaines de ses interventions télévisées récentes. Il parle de documents, de témoignages, de « choses que le public n’est pas encore prêt à entendre ». Est-ce du bluff ? Du marketing pour un futur livre ? Ou détient-il vraiment quelque chose de concret ? Difficile à dire. Ce qui est certain, c’est qu’il sait créer l’attente.
- 2018 : Fire and Fury, premier tome qui dépeint un Trump incompétent et colérique
- 2019 : Siege, où il annonce déjà la fin imminente
- 2020 : des extraits audio où des proches du président le décrédibilisent
- 2025 : le voilà qui ressort du bois avec l’arme Epstein
On pourrait presque tracer une courbe : plus Trump remonte dans les sondages, plus Wolff sort du matériel. Hasard ? Peut-être pas.
Jusqu’où peut-on aller au nom de l’information ?
La question éthique est inévitable. Moi qui ai passé des années à couvrir des affaires sensibles, je sais à quel point la frontière peut être ténue. On se retrouve parfois à discuter avec des gens qu’on préférerait éviter, à accepter des cafés qu’on aurait dû refuser, à écouter des choses qu’on préférerait oublier.
Mais il y a une limite. Et cette limite, Michael Wolff semble l’avoir franchie allègrement à plusieurs reprises. Quand on lit certains échanges où il semble presque complice d’une stratégie de communication pour minimiser des crimes, on se demande : était-ce vraiment nécessaire ? N’y avait-il pas d’autres façons d’obtenir l’information ?
« Charmeur de serpent » – l’expression utilisée par certains observateurs n’est pas volée.
Ce que disent vraiment les emails
Sans entrer dans les détails scabreux – d’autres l’ont fait mieux que moi – ce qui ressort de ces correspondances, c’est une forme de banalité du mal version XXIe siècle. Des échanges presque administratifs sur des sujets qui glacent le sang. Et au milieu, un journaliste qui semble parfaitement à l’aise dans cet univers.
Il y a cette séquence où il propose une ligne de défense médiatique. Une autre où il félicite pour une intervention télévisée. Une troisième où il demande des nouvelles de certaines personnalités… On sent qu’il n’est pas juste un observateur passif. Il participe, il conseille, il oriente.
Et puis il y a cette phrase, qui revient comme un leitmotiv : « Le vrai sujet, ce sera lui ». Lui, évidemment, c’est Trump. Tout le reste n’est que moyen d’arriver à ses fins.
Une stratégie risquée à l’ère post-MeToo
Le timing est particulièrement mal choisi. En 2025, après des années de prises de conscience sur les abus de pouvoir, voir un journaliste se vanter d’avoir fréquenté ce milieu pour obtenir des scoops fait tiquer. Même si l’objectif affiché est de révéler des vérités gênantes sur des puissants.
Car paradoxalement, c’est peut-être là que le bât blesse le plus. Wolff présente son travail comme une forme de justice. Mais en s’affichant avec des méthodes aussi discutables, ne risque-t-il pas de discréditer sa propre croisade ? Quand on veut dénoncer les compromissions des puissants, mieux vaut avoir les mains parfaitement propres.
Et maintenant ?
La grande question reste entière : que détient-il vraiment ? Des rumeurs circulent sur des enregistrements, des témoignages, des documents qui seraient en sa possession. Certains parlent d’un quatrième livre qui ferait l’effet d’une bombe. D’autres pensent qu’il bluffe, comme il l’a déjà fait par le passé.
Ce qui est sûr, c’est que l’histoire n’est pas finie. Michael Wolff a toujours su revenir au moment où on l’enterrait. Et cette fois, avec l’affaire Epstein comme carburant, il semble prêt à aller jusqu’au bout. Jusqu’où ? C’est la question que tout Washington se pose en ce moment.
Personnelment, je reste partagé. D’un côté, l’idée qu’un journaliste puisse révéler des vérités dérangeantes sur les puissants me séduit toujours. De l’autre, les méthodes employées ici laissent un goût amer. Entre le devoir d’informer et la complaisance, la frontière est parfois plus fine qu’on ne voudrait l’admettre.
Une chose est certaine : les prochains mois risquent d’être mouvementés. Et Michael Wolff, cet étrange mélange de génie et de provocateur, sera une nouvelle fois au centre de la tempête. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, impossible de rester indifférent.
(Article mis à jour le 21 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
