Il y a des drames qui vous prennent aux tripes. Mehdi Kessaci avait vingt ans. Vingt ans. Le 13 novembre dernier, deux types à moto l’ont exécuté en pleine rue. Pas un règlement de comptes classique, non : un message. Un message envoyé à son grand frère Amine, ce jeune qui ose dire tout haut que le trafic de drogue détruit les quartiers, que les kalachnikovs n’ont rien à faire dans les cages d’escalier. Et samedi, la France entière va répondre à ce message.
J’ai rarement vu une mobilisation aussi large et aussi rapide. Des marches blanches sont organisées dans tout le pays : Marseille bien sûr, mais aussi Paris, Toulouse, Lyon, Rennes… Et pas seulement des anonymes. La présidente de l’Assemblée nationale sera là. Des ministres aussi. Quand la République descend dans la rue, c’est que quelque chose a franchi une ligne rouge.
Un crime qui a fait basculer quelque chose
Reprenons depuis le début, calmement. Mehdi sortait d’un entraînement de foot. Rien ne laissait présager le pire. Deux hommes casqués, une moto qui freine à sa hauteur, des coups de feu. Le jeune homme s’effondre. Les assassins repartent comme ils sont venus. En quelques secondes, une vie brisée et une famille détruite.
Mais ce n’est pas « juste » un homicide de plus dans une ville qui en compte trop. Les enquêteurs le disent sans détour : c’est probablement un crime d’intimidation. Le but ? Faire taire Amine Kessaci et son association Conscience. Faire comprendre à tous ceux qui osent parler que le prix peut être la vie d’un frère, d’un fils, d’un ami.
Et là, quelque chose s’est produit que je n’avais pas vu venir avec une telle ampleur.
Quand l’État sort du palais
Yaël Braun-Pivet ne fait pas de la figuration. Quand la deuxième personnalité de l’État annonce qu’elle sera présente à la marche blanche de Marseille, c’est un signal fort. Elle veut « affirmer l’unité nationale dans la lutte contre le narcotrafic », dit son entourage. Traduction : on arrête de regarder ailleurs.
À ses côtés, la porte-parole du gouvernement et le ministre chargé de la Ville. Ce n’est pas une visite de courtoisie. C’est une façon de dire à la famille Kessaci, et à tous ceux qui ont peur de parler : vous n’êtes plus seuls.
« Ce crime a profondément choqué tous nos concitoyens »
– Une porte-parole du gouvernement, la voix grave, sur un plateau télé
Et elle a raison. Moi le premier. On peut s’habituer à beaucoup de choses, mais pas à ça. Pas à l’idée qu’un jeune de vingt ans puisse être exécuté parce que son frère refuse de baisser les yeux.
Une mobilisation qui dépasse les clivages
Ce qui me frappe, c’est la diversité des personnalités qui ont répondu présent. À gauche, on verra des figures socialistes historiques, des écologistes, des insoumis. À droite, des républicains. Même des gens qui passent leur vie à se déchirer sur les plateaux télé vont marcher côte à côte samedi. Il y a des moments où la politique reprend sa place : derrière le drame humain.
Seul le Rassemblement national brille par son absence au niveau national. Un choix qui en dit long, mais ce n’est pas le sujet du jour. Le sujet, c’est que des gens qui ne sont d’accord sur rien vont être d’accord sur l’essentiel : ça suffit.
Des rassemblements dans toute la France
- Paris – 12 heures, place de la République probablement
- Toulouse – même horaire
- Lyon – 13 heures
- Rennes – 13 heures également
- Et Marseille, le cœur de la mobilisation, où tout commencera
Partout le même message : on honore la mémoire de Mehdi, et on dit stop. Stop à la loi des trafiquants. Stop à la peur qui paralyse les quartiers. Stop à l’idée que certains territoires seraient abandonnés.
Un débat qui dépasse la seule émotion
Évidemment, derrière l’émotion légitime, il y a les questions de fond. Et elles sont brutales.
Certains réclament l’état d’urgence. D’autres proposent d’envoyer l’armée – une idée immédiatement écartée par le gouvernement : « Ce n’est pas le rôle des militaires », a-t-on rappelé. Moi je veux bien, mais quand on voit le niveau de violence, on comprend que des voix s’élèvent.
D’autres, à gauche, demandent un changement complet de doctrine. Moins de répression sur les petits consommateurs, plus de moyens pour démanteler les gros réseaux. Plus de police judiciaire, moins de contrôles d’identité à répétition dans les cités. Le débat est ancien, mais il prend une nouvelle ampleur.
« Plutôt que d’envoyer des policiers chasser le petit consommateur, il faut concentrer les moyens sur le démantèlement des réseaux de criminalité organisée »
– Un responsable politique de gauche, très remonté
Et si les deux avaient raison ? Et si le problème était justement qu’on oppose des solutions qui devraient être complémentaires ?
Amine Kessaci, ce frère qui dérange
Il faut parler d’Amine. Ce garçon a créé son association après avoir perdu un autre frère, tué dans un règlement de comptes il y a quelques années. Depuis, il ne lâche rien. Il organise des marches, il parle dans les écoles, il interpelle les politiques. Il dérange. Forcément.
Et aujourd’hui, il paie le prix fort. Son petit frère est mort parce qu’il refuse de se taire. Je ne sais pas comment on trouve la force de continuer après ça. Mais lui continue. Et c’est pour ça que des milliers de personnes vont marcher samedi.
Parce que si on laisse passer ça, alors c’est fini. Alors les trafiquants auront gagné. Alors plus personne n’osera ouvrir la bouche.
Et maintenant ?
Belle mobilisation, ok. Mais après ? C’est la question que tout le monde se pose, et que personne n’ose vraiment formuler à voix haute dans le chagrin.
Est-ce que cette unité va durer plus de 48 heures ? Est-ce que les moyens promis vont vraiment arriver ? Est-ce que la justice va enfin pouvoir travailler sereinement, avec des effectifs décents ? Est-ce qu’on va arrêter de se déchirer sur la méthode pour s’attaquer au fond ?
Je ne suis pas naïf. Je sais que la lutte contre le narcotrafic est un combat de longue haleine. Que les réseaux sont puissants, internationaux, richissimes. Que l’argent de la drogue pourrit tout. Mais il y a des moments où il faut marquer le coup. Où il faut montrer qu’on n’accepte plus.
Samedi, ce sera ce moment.
Un jeune homme de vingt ans a été assassiné pour faire taire son frère. La République entière va lui répondre qu’on ne se taira pas.
Et peut-être, peut-être que ce sera le début de quelque chose. Pas la fin du narcotrafic – soyons sérieux – mais la fin de l’impuissance.
Parce que quand une présidente d’Assemblée nationale marche dans la rue aux côtés de familles meurtries, c’est que quelque chose a bougé. Reste à savoir si ça va durer.
Moi je serai là, quelque part dans la foule. Pas pour faire joli. Pour dire que ça suffit. Et vous ?
Mehdi Kessaci n’est plus là. Mais samedi, des dizaines de milliers de personnes marcheront pour qu’un jour, plus aucun Mehdi ne tombe sous les balles du silence.
