Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu le Capitole entièrement nu, sans un seul échafaudage. C’était il y a quelques jours, un matin frisquet de novembre, et j’ai eu ce petit pincement au cœur qu’on ressent quand on retrouve un vieux copain après des années. Toulouse, ma Ville Rose, venait de récupérer son plus beau bijou.
Six ans. Six longues années où l’on a dû imaginer la façade derrière des forêts de tubes métalliques. Et puis, presque d’un coup, plus rien. Juste cette immense étendue de brique et de pierre qui respire enfin. Franchement, ça vaut tous les discours patrimoniaux du monde.
Le grand retour d’un symbole vivant
Le Capitole, ce n’est pas qu’une mairie. C’est le cœur battant de Toulouse depuis le XVIIIe siècle. Construit entre 1750 et 1760 par Guillaume Cammas, l’édifice incarne à lui seul l’identité de la ville : élégance discrète, briques chaudes, lumière qui joue sur les ocres et les roses. Quand les intempéries, le temps et quelques manifestations un peu trop musclées avaient commencé à ternir tout ça, il était temps d’agir.
La dernière vraie restauration datait de 1988. Autant dire une éternité quand on parle d’un bâtiment exposé plein sud sur la plus grande place d’Occitanie. Les ruissellements avaient rongé les pierres, la pollution noircissait les briques, certaines sculptures menaçaient de s’effriter. Il n’était plus question de rafistoler : il fallait tout reprendre, avec la rigueur qu’exige un monument classé.
Un chantier pensé comme une symphonie
Ce qui frappe, quand on regarde le travail accompli, c’est la patience. On aurait pu tout bâcher d’un coup et rendre la place du Capitole impraticable pendant des années. Au lieu de ça, la ville a choisi la méthode douce : un chantier échelonné, presque chorégraphié.
- 2019-2020 : le fronton et l’aile côté théâtre
- 2020-2021 : la partie centrale, la plus photographiée
- 2022 : les façades rue Lafayette et rue du Poids-de-l’Huile
- 2024-2025 : l’arrière, le donjon et le square Charles-de-Gaulle
Chaque phase a permis de garder une partie du bâtiment visible, de maintenir la vie sur la place, les marchés, les concerts. Un luxe que peu de grandes restaurations s’offrent.
La brique rose n’a jamais été aussi rose
Ceux qui connaissent Toulouse le savaient : la fameuse brique rose avait pris des teintes grisonnantes avec le temps. Le nettoyage laser, utilisé par tranches, a révélé des rouges et des orangés qu’on n’avait plus vus depuis des décennies. Le résultat ? Une façade qui semble presque neuve, tout en gardant cette patine douce qui fait le charme de la ville.
J’ai discuté avec un des tailleurs de pierre de l’atelier municipal. Il m’a confié, avec un sourire en coin : « On a passé des heures à choisir la nuance exacte de mortier pour que ça reste authentique. Parfois, on refaisait trois fois la même jointure. » C’est ça, le luxe du temps long.
Les dorures qui parlent latin
Petit détail qui m’a scotché : les huit plaques capitulaires de la cour Henri IV. Ces grandes inscriptions en latin, à moitié effacées, ont été nettoyées puis réécrites à la feuille d’or. Elles brillent maintenant comme au premier jour et racontent toujours leurs messages aux rois et aux générations futures.
« À la postérité, pour qu’elle sache que nous avons aimé la beauté plus que l’utilité. »
– Une des inscriptions retrouvées, traduite librement
Lire ça en levant les yeux vers ces lettres flambant neuves, ça donne des frissons.
Henri IV plus vrai que nature
La statue du Vert-Galant, perchée au-dessus du portail central, a elle aussi passé un sacré lifting. Nettoyée, repratiquée dans les moindres détails, elle domine la place avec une présence renouvelée. On redécouvre les plis de sa cape, le sourire malicieux sous la moustache. Henri IV n’a jamais paru aussi vivant.
L’intérieur : une seconde jeunesse
Ce qu’on voit moins, mais qui compte tout autant, c’est le travail à l’intérieur. La salle du conseil municipal, la sublime salle Henri-Martin avec sa verrière signée Paul Pujol… Tout a été restauré selon les plans d’origine. Les fresques du peintre Henri Martin, ces grands paysages lumineux, semblent flotter dans une lumière retrouvée. Les dorures des moulures, les bustes de Fermat ou Bachelier, les terres cuites : chaque détail a été chouchouté.
Quand on entre maintenant dans la salle des Illustres, on a l’impression que le temps s’est arrêté en 1900, mais en mieux. Plus lumineux, plus vibrant.
Quatre millions bien dépensés
Le coût total ? Quatre millions d’euros. Une somme rondelette, mais quand on voit le résultat, on se dit que chaque centime a été utile. L’État a mis la main à la poche via la DRAC, entre 20 et 33 % selon les tranches. Le reste, c’est la ville qui a assumé, sans jamais rogner sur la qualité.
Et puis soyons honnêtes : combien vaut le sourire des Toulousains quand ils lèvent les yeux vers leur Capitole redevenu flamboyant ? Ça n’a pas de prix.
Et maintenant ?
La question qui brûle les lèvres : est-ce que c’est fini pour de bon ? Non, bien sûr. Un monument comme celui-ci, ça vit, ça respire, ça demande des soins réguliers. Mais cette grande campagne aura au moins permis de repartir sur des bases saines pour les cinquante prochaines années.
En attendant, la place du Capitole a retrouvé sa magie. Les marchés de Noël vont bientôt s’installer, les touristes vont revenir en masse, les Toulousains vont lever le nez plus souvent. Et quelque part, Guillaume Cammas doit être fier de voir son œuvre briller à nouveau sous le soleil d’Occitanie.
Moi ? Je retourne y faire un tour ce week-end. Juste pour le plaisir de redécouvrir cette façade qui raconte trois siècles d’histoire, et qui continue, tranquillement, d’écrire la suite.
Si vous passez par Toulouse ces prochains mois, ne ratez pas ça. Le Capitole n’a jamais été aussi beau. Et quelque chose me dit que vous allez tomber à nouveau amoureux de la Ville Rose, comme moi.
