Vous êtes-vous déjà réveillé à 5 heures du matin parce qu’un semi-remorque passe sous vos fenêtres en faisant trembler les vitres ? À Melun, des centaines d’habitants connaissent ça tous les jours depuis des années. Alors quand le maire a décidé, début novembre, d’interdire purement et simplement les camions qui ne font que traverser la ville, beaucoup ont applaudi des deux mains.
Moi le premier, je me suis dit : enfin une décision courageuse. Sauf que, comme souvent en France, l’histoire ne s’arrête pas là. Un préfet mécontent, un recours en urgence, et voilà que le juge vient de remettre une partie des camions sur les boulevards. Retour à la case départ ? Pas tout à fait. Laissez-moi vous raconter cette saga qui illustre parfaitement les tiraillements entre qualité de vie et réalités économiques.
Un bras de fer qui dure depuis des mois
Reprenons depuis le début. Melun, ville-préfecture de Seine-et-Marne, n’a jamais été conçue pour absorber des milliers de poids lourds chaque jour. Pourtant, avec l’autoroute A5 souvent saturée et les GPS qui adorent les raccourcis, la Route nationale Nord (D605) et tout le enchaînement boulevard Chamblain – avenue Thiers – avenue du Général-Leclerc (D606) se sont transformées en autoroute bis gratuite.
Résultat ? 43 % des camions qui passent dans Melun n’y ont strictement rien à faire. Ils vont de Provins à Corbeil, de Nemours à Roissy, ou d’encore plus loin. Ils traversent, polluent, font du bruit, abîment les trottoirs et repartent. Les riverains, eux, restent avec les vibrations et la suie sur les balcons.
Le maire, Kadir Mebarek, a fini par dire stop. Le 3 septembre 2025, il signe un arrêté municipal : interdiction totale de circulation pour les poids lourds en transit sur l’ensemble du réseau routier de la commune, sauf desserte locale. Entrée en vigueur le 1er novembre. Les associations de riverains exultent. Les transporteurs crient au scandale.
Le préfet monte au créneau immédiatement
Dès le mois de septembre, le préfet Pierre Ory émet un avis défavorable. Pour lui, la mesure est disproportionnée. Il avance plusieurs arguments qui pèsent lourd :
- Le trafic de transit ne représente que 2,9 % du trafic total (chiffre contesté par la ville, soit dit en passant)
- Il n’existe aucun itinéraire alternatif crédible pour absorber ces flux
- Les camions devront faire des détours énormes, ce qui augmentera les émissions de CO2
- Atteinte à la liberté d’aller et venir et aux activités économiques
En clair : oui, les riverains souffrent, mais on ne règle pas un problème local en créant des problèmes nationaux. Classique débat français.
« On ne peut pas décider seul dans son coin de bloquer une partie du réseau routier départemental sans concertation »
– L’argument récurrent du préfet et du département
Le juge tranche… à moitié
Ce vendredi 22 novembre 2025, le tribunal administratif de Melun rend sa décision en référé-suspension. Et là, surprise : le juge reconnaît un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté, mais uniquement sur deux axes précis :
- La D605 (la fameuse Route nationale Nord)
- La D606 (boulevard Chamblain – avenue Thiers – avenue du Général-Leclerc)
Ces deux routes ont un statut particulier : elles assurent le délestage du réseau autoroutier départemental. Le juge estime qu’une commune ne peut pas, à elle seule, interdire le transit sur des voies qui dépassent son simple intérêt local. Conséquence immédiate : les camions en transit peuvent à nouveau circuler librement sur ces axes tant que le tribunal n’a pas statué au fond.
Sur tout le reste du réseau melunais ? L’interdiction reste en vigueur. C’est donc une victoire en demi-teinte pour tout le monde.
Les riverains entre colère et résignation
Quand la nouvelle est tombée vendredi matin, les groupes WhatsApp des quartiers concernés ont explosé. Christelle, une habitante de l’avenue Thiers que je connais bien, m’écrivait : « On nous avait promis le calme, on retrouve les camions dès lundi. On se sent trahis. »
Il faut dire que les deux axes suspendus, c’est justement là où passe la majorité des poids lourds. Le soulagement espéré risque d’être très limité. Certains parlent déjà de nouvelles actions : blocages filtrants, pétitions renforcées, voire candidature aux municipales sur ce seul thème.
Et les transporteurs dans tout ça ?
De leur côté, les professionnels du transport routier savourent une victoire partielle. Ils n’ont jamais caché qu’une interdiction totale aurait des effets domino catastrophiques : reports de trafic sur des petites routes de campagne, augmentation des kilomètres parcourus, donc plus de carburant, plus de CO2, sans parler des retards de livraison.
Un patron de PME de transport que j’ai eu au téléphone vendredi après-midi résumait bien la situation : « On n’est pas des monstres. On sait que ça gêne les gens. Mais il faut des solutions globales, pas des arrêtés brutaux qui nous renvoient vingt ans en arrière. »
Quelles solutions à long terme ?
Parce que c’est bien là le cœur du problème : tout le monde est d’accord sur le diagnostic, personne sur la thérapie.
La ville réclame depuis des années une déviation ou un contournement digne de ce nom. Le département et l’État bottent en touche, arguant du coût (on parle de plusieurs centaines de millions d’euros) et des oppositions écologiques inévitables.
- Création d’une vraie rocade est ? Trop cher, trop long, impact environnemental
- Renforcement des contrôles et verbalisations ? Insuffisant face au volume
- Incitation au report modal (train, fleuve) ? La Seine est là, mais les infrastructures manquent cruellement
- Péage urbain ou écotaxe locale ? Politiquement suicidaire
En attendant, on bricole. On met des ralentisseurs, des panneaux, des arrêtés… qui finissent devant les tribunaux.
Et maintenant ?
Le feuilleton est loin d’être terminé. L’audience sur le fond aura lieu dans plusieurs mois. D’ici là, les camions circuleront à nouveau sur la D605 et la D606. Les riverains vont continuer à compter les passages. Le maire, lui, promet de ne rien lâcher et attend de l’État qu’il prenne enfin ses responsabilités.
Ce qui est sûr, c’est que cette décision du juge a remis tout le monde autour de la table. Des réunions intercommunales sont déjà prévues début 2026. Peut-être que cette demi-défaite municipale fera enfin avancer les choses. Ou peut-être pas.
En attendant, si vous passez par Melun ces prochains jours, préparez-vous à revoir les bahuts. Et klaxonnez doucement en pensant aux riverains qui n’ont pas choisi de vivre sur une nationale.
Parce qu’au fond, cette histoire n’est pas seulement melunaise. C’est le même combat qui se joue dans des dizaines de villes françaises traversées par des flux qu’elles n’auraient jamais dû supporter. Un combat entre le droit au calme et le droit de circuler, entre l’intérêt local et l’intérêt général, entre ceux qui subissent et ceux qui font tourner l’économie.
Et vous, vous en pensez quoi ? Vous habitez une ville traversée par les camions ? Vous êtes transporteur et vous galérez avec les restrictions ? Dites-le moi en commentaire, ça m’intéresse vraiment.
En attendant la suite de cette bataille qui, je vous le parie, va encore faire parler pendant longtemps.
