Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains accords historiques se sont conclus autour d’une bonne bouteille plutôt que dans une salle de conférence glaciale ?
Moi oui. Et apparemment, je ne suis pas le seul. Un ancien ambassadeur français, qui a passé sa carrière à représenter le pays au Mexique, au Maroc et au Japon, en a fait le cœur de sa seconde vie : prouver que la gastronomie est une forme de diplomatie à part entière.
Quand un plat vaut mille discours
Il y a des gens qui, quand ils quittent la carrière diplomatique, se mettent au golf ou écrivent leurs mémoires. Lui, il a décidé de classer les mille meilleurs restaurants du monde. Pas pour le plaisir de noter des assiettes, mais parce qu’il est intimement convaincu que partager un repas reste le moyen le plus sûr de comprendre l’autre.
Et franchement, après avoir passé des années à observer les négociations internationales, je veux bien le croire. Un ministre qui refuse catégoriquement un point le matin peut très bien changer d’avis le soir, après avoir goûté au meilleur couscous de sa vie.
La naissance d’une conviction
Tout a commencé très tôt. Imaginez un enfant qui voit débarquer à la maison familiale, chaque année, une personnalité politique majeure venue partager le repas dominical. Le père, figure importante de la République, avait fait de la table un véritable outil de travail. Le jeune garçon a grandi avec cette idée simple : on ne se comprend vraiment qu’en mangeant ensemble.
Des années plus tard, en poste à l’étranger, il redécouvre cette vérité à chaque dîner officiel. Au Japon, la rigueur du kaiseki lui enseigne la patience. Au Maroc, la générosité des plats familiaux fait tomber les dernières barrières. Au Mexique, la puissance des saveurs le rappelle à l’humilité. Partout, la même leçon : la cuisine ouvre des portes que la parole seule ne parvient pas à déverrouiller.
« La gastronomie, comme la diplomatie, rapproche les gens. »
Un ancien ambassadeur devenu passeur de tables
La Liste, ou l’anti-Michelin assumé
En 2015, il lance son propre classement mondial. Pas pour concurrencer bêtement les guides existants, mais parce qu’il en a assez des palmarès trop franco-français ou trop subjectifs. Son idée ? Compiler des centaines de guides, des milliers d’articles et des millions d’avis clients pour faire émerger une vérité statistique.
Le résultat est assez déroutant au début : des tables japonaises trustent les premières places aux côtés de légendes françaises, des adresses confidentielles apparaissent devant certains trois-étoilés historiques. On crie au scandale. Puis on regarde de plus près et on comprend : le monde a changé, la excellence n’a plus de frontières.
- Un algorithme qui croise plus de 900 sources
- Aucun inspecteur anonyme payé pour noter
- Une pondération qui valorise la constance sur plusieurs années
- Une volonté farouche de mettre en lumière les cuisines traditionnelles
Et ça marche. Dix ans plus tard, le classement est attendu comme une référence sérieuse, même par ceux qui le critiquaient au départ.
La tradition, seule vraie modernité
Ce qui frappe quand on l’écoute, c’est son amour viscéral des cuisines ancrées dans leur terroir. Il peut s’enflammer pendant vingt minutes sur un bouillon de poule japonaise préparé depuis trois générations ou sur la perfection d’un tajine cuit sept heures. Pour lui, la vraie créativité ne naît jamais ex nihilo : elle réinterprète toujours un héritage.
J’ai le souvenir d’un dîner où il m’a expliqué, entre deux bouchées d’un ceviche absolument parfait, que les meilleurs chefs actuels sont ceux qui savent revenir à l’essence. Pas ceux qui empilent les techniques pour impressionner, mais ceux qui subliment trois ingrédients cultivés à côté de chez eux.
Dans un monde où tout va trop vite, y compris en cuisine, cette position a quelque chose de salutaire. Et si la vraie révolution était de savoir refaire la blanquette de grand-mère mieux que quiconque ?
Le repas comme acte politique
Pendant ses années d’ambassadeur, il a organisé des dîners qui ont débloqué des situations apparemment insurmontables. Un industriel japonais réticent à investir en France qui finit par signer après avoir goûté au meilleur saint-émilion. Un ministre marocain qui accepte enfin un compromis européen après un repas mémorable dans un riad de Marrakech.
Il raconte ces anecdotes avec une modestie désarmante, comme si c’était normal. Mais quand on creuse, on comprend l’ampleur du travail : choisir le lieu, le chef, le menu, les vins, l’ordre des plats, le placement… Tout est calculé pour créer la bonne atmosphère, celle où les masques tombent.
Un grand cru peut faire plus pour la paix que dix réunions à l’ONU.
Et demain ?
Au moment où certains prédisent la mort de la haute cuisine traditionnelle, écrasée par les concepts éphémères et les influenceurs TikTok, il reste serein. Pour lui, les fondamentaux ne bougeront jamais : le goût, la générosité, le partage. Le reste n’est que mode passagère.
Il prépare déjà la prochaine édition de son classement, avec la même passion qu’au premier jour. Et quand on lui demande pourquoi il continue à y consacrer autant d’énergie, il répond simplement :
« Parce que tant qu’il y aura des hommes et des femmes pour cuisiner avec leur cœur et d’autres pour s’asseoir autour de leur table, il y aura de l’espoir. »
Difficile de dire mieux.
La prochaine fois que vous partagerez un repas avec quelqu’un que vous connaissez à peine, pensez à lui. Peut-être que sans le savoir, vous faites un peu de diplomatie.
Et si jamais vous avez l’occasion de goûter la cuisine d’un pays que vous ne comprenez pas encore, foncez. C’est souvent le chemin le plus court vers la compréhension.
Parce qu’au fond, il a probablement raison : un bon plat ne ment jamais.
