Il est deux heures du matin, l’hémicycle est glacial, les caméras tournent encore. 577 sièges, mais une seule main se lève pour dire « oui ». Les 488 autres députés présents viennent soit de voter contre, soit de s’abstenir. Ce « oui » solitaire résonne comme un coup de tonnerre dans une nuit déjà explosive. L’homme qui vient de créer l’événement ? Harold Huwart. À 43 ans, ce député d’Eure-et-Loir entre dans l’histoire parlementaire par la petite porte… ou plutôt par la seule porte restée ouverte.
Franchement, quand on suit la politique française depuis des années, on croyait avoir tout vu. Des 49.3 à répétition, des motions de censure, des nuits entières de débat. Mais un vote unique en faveur du budget de l’État ? Ça, c’est du jamais-vu sous la Ve République. Et ça mérite qu’on s’y arrête cinq minutes. Voire beaucoup plus.
Un vote qui en dit long sur la fracture actuelle
Reprenons depuis le début. Nous sommes dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 novembre 2025. L’Assemblée examine la première partie du projet de loi de finances 2026, celle des recettes. Le gouvernement, minoritaire, sait déjà que ça va être compliqué. Et ça l’est. Massivement. Le texte est balayé : 404 voix contre, 84 abstentions… et donc une seule voix pour.
Ce vote unique n’est pas anodin. Il révèle à quel point l’hémicycle est fracturé. D’un côté, la droite et l’extrême droite refusent toute hausse d’impôts. De l’autre, la gauche dure rejette les économies jugées trop brutales. Au milieu, les centristes et quelques modérés cherchent encore leurs marques. Et puis il y a Harold Huwart, membre du petit groupe LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), qui choisit de dire oui. Seul.
« Je vote en mon âme et conscience, pas en suivant un camp ou un autre. »
– Harold Huwart, quelques heures après son vote
Qui est vraiment Harold Huwart ?
À première vue, rien ne prédestinait cet homme discret à devenir la star inattendue d’une nuit parlementaire. Né en janvier 1982 à Chartres, Harold Huwart grandit dans une famille où la politique coule dans les veines. Son père, François Huwart, a été maire de Nogent-le-Rotrou pendant des décennies et même secrétaire d’État sous Lionel Jospin. Autant dire que les réunions de famille devaient parfois ressembler à des conseils municipaux.
Mais Harold n’a pas simplement hérité du nom. Il a construit son propre chemin. Énarque de formation – oui, il a passé le concours de l’ENA, comme beaucoup d’administrateurs territoriaux –, il grimpe les échelons locaux avec une patience de bénédictin.
- 2015 : élu conseiller régional du Centre-Val de Loire
- 2020 : il succède à son père à la mairie de Nogent-le-Rotrou
- 2021 : vice-président de la région chargé du développement économique
- Juillet 2024 : élu député de la 3e circonscription d’Eure-et-Loir
- Novembre 2025 : entre dans les annales avec son vote solitaire
Ce parcours, c’est celui d’un homme de terrain qui connaît les dossiers économiques sur le bout des doigts. Quand il était vice-président de région, il gérait des millions d’euros d’aides aux entreprises. Il sait ce que coûte une fermeture d’usine dans une petite ville de 10 000 habitants. Peut-être est-ce pour ça qu’il a refusé de jouer le jeu du « tous contre le budget ».
Un positionnement politique difficile à classer
Harold Huwart siège au groupe LIOT, ce petit rassemblement d’élus ultramarins, corses, centristes et régionaux qui pèse parfois lourd dans les votes serrés. Financièrement rattaché à Régions et Peuples Solidaires, il défend une ligne qu’on pourrait qualifier de territoriale et pragmatique.
Il n’est ni macroniste pur jus, ni opposant systématique. Il vote parfois avec la majorité, parfois contre. Il a soutenu certaines réformes retraites, mais s’est abstenu sur d’autres textes sensibles. En clair : il agace tout le monde un peu, ce qui est souvent le signe qu’on est au centre… ou nulle part, selon le point de vue.
Récemment, il s’est réjoui publiquement du rapprochement entre Bernard Cazeneuve et Raphaël Glucksmann. Pour lui, c’est « l’amorce d’un rassemblement » dont la gauche modérée et sociale a cruellement besoin. Ça en dit long sur l’homme : il rêve d’un centre-gauche responsable, loin des postures extrêmes.
Pourquoi avoir voté oui ? Les coulisses d’une décision
Alors, pourquoi ce oui solitaire ? Plusieurs éléments permettent de comprendre.
D’abord, Harold Huwart siège à la Commission des affaires culturelles et de l’éducation. Il a donc vu de près les efforts faits sur les moyens pour l’école, la culture, les associations. Refuser le budget en bloc, c’était pour lui refuser ces avancées, même imparfaites.
Ensuite, il connaît la réalité des collectivités. Sans budget voté, c’est le chaos : plus de subventions, plus d’investissements, blocage total. Il l’a dit lui-même : « On ne peut pas gouverner un pays en bloquant systématiquement tout. »
Enfin, il y a peut-être une part de conviction personnelle. L’homme n’aime pas les postures. Voter contre parce que tout le monde vote contre, très peu pour lui. Il préfère assumer ses choix, même si ça le met en porte-à-faux.
« Je ne suis pas là pour faire de la figuration ou suivre un troupeau. Je suis là pour défendre ce en quoi je crois, même si je suis seul. »
Les réactions : entre moquerie et respect
Évidemment, les réseaux sociaux se sont enflammés. Certains y ont vu du courage, d’autres de l’inconscience. On a ressorti les vieux memes du « seul contre tous ». Mais dans les couloirs de l’Assemblée, le respect est réel. Même ses adversaires reconnaissent qu’il a eu le cran de ses opinions.
Un député de la majorité confiait, sous couvert d’anonymat : « Franchement, on aurait bien voulu qu’il y en ait quelques autres avec lui… » Côté opposition, on oscille entre ironie et agacement. Voter pour un budget qu’on rejette à 99 %, ça dérange. Ça rappelle qu’il existe encore des élus qui préfèrent la responsabilité à la surenchère.
Et maintenant ? Quelles conséquences pour Harold Huwart ?
Son quart d’heure de gloire warholien va-t-il se transformer en boulet ? Pas forcément. Dans sa circonscription, beaucoup d’électeurs apprécient les élus qui « font preuve de bon sens ». Les artisans, les agriculteurs, les petites entreprises qui ont besoin de visibilité budgétaire pourraient bien s’en souvenir en 2027.
À l’échelle nationale, il devient une figure. Pas une star, non. Mais un symbole. Celui de l’élu qui refuse la politique spectacle. Dans un paysage où tout le monde hurle pour exister, rester assis et voter selon sa conscience, c’est presque révolutionnaire.
Et puis, soyons honnêtes : dans deux ans, quand on cherchera des personnalités pour construire une alternative crédible au chaos actuel, son nom pourrait ressortir. Un type solide, compétent, qui connaît les territoires et qui n’a pas peur d’être impopulaire quand il le faut. Ça ne court pas les rues.
Ce que ce vote nous dit de la démocratie française en 2025
Au-delà de l’anecdote, il y a quelque chose de profond. Ce vote solitaire révèle une Assemblée nationale devenue ingouvernable. Quand plus personne ne veut assumer la moindre responsabilité, quand tout le monde préfère bloquer plutôt que construire, c’est tout le système qui vacille.
Harold Huwart, en disant oui tout seul, a peut-être posé la bonne question : jusqu’où peut-on aller dans l’obstruction sans tuer la démocratie ? Refuser un budget, c’est refuser de faire fonctionner le pays. Et ça, même imparfait, même critiquable, un budget reste le cœur battant de l’action publique.
Je ne dis pas qu’il avait forcément raison sur le fond – le texte comportait sans doute des points discutables. Mais sur la forme, il a rappelé une évidence : un parlement qui ne vote plus rien finit par ne plus servir à rien.
Alors oui, Harold Huwart est entré dans l’histoire avec un seul petit « pour ». Ridicule pour certains, courageux pour d’autres. Moi, j’y vois surtout le signe qu’il reste encore des élus qui préfèrent penser par eux-mêmes plutôt que de suivre la meute.
Et dans le climat actuel, c’est peut-être la plus belle des raretés.
