Vous est-il déjà arrivé de regarder un match où l’équipe favorite mène 3-0 à la mi-temps… et finit par perdre aux tirs au but ? C’est exactement l’impression que donne la situation budgétaire actuelle. Vendredi soir, dans un hémicycle bondé et électrique, les députés ont purement et simplement balayé le volet « recettes » du projet de loi de finances pour 2026. Un rejet massif, presque unanime. Et maintenant ? On se retrouve avec un pays qui doit fonctionner sans savoir combien il va gagner ni combien il va dépenser l’an prochain. Bienvenue dans la saison 3 de la série « Crise politique française ».
Un vote qui sent la poudre
Imaginez la scène. Il est tard, les travées sont pleines – chose rare en cette fin novembre. Le texte arrive en nouvelle lecture après un passage au Sénat qui n’a rien arrangé. Et là, patatras. Les oppositions, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les républicains classiques, votent contre. Même une partie des alliés habituels du pouvoir s’abstient ou vote non. Résultat : 512 voix contre, une poignée pour. Historique.
Ce qui frappe, ce n’est pas seulement le score. C’est l’unité inhabituelle de l’opposition. D’habitude, on assiste à des alliances de circonstance fragiles. Là, non. Tout le monde a compris que faire tomber les recettes, c’est faire tomber tout le budget. Et donc ouvrir grande la porte à une crise institutionnelle majeure.
« Il y aura une deuxième partie, car la France sera dotée d’un budget pour 2026 »
Une ministre, visiblement épuisée, devant les députés
La phrase a fait sourire dans l’hémicycle. Parce que juste après, elle a ajouté, presque dans un souffle : « Je ne sais pas quel gouvernement sera là pour l’appliquer. » Autant dire que même à l’intérieur du dispositif, plus personne n’y croit vraiment.
Pourquoi un tel rejet ?
Pour comprendre, il faut revenir quelques mois en arrière. Depuis les législatives de 2024, plus aucune majorité claire à l’Assemblée. Le bloc central doit négocier à droite, à gauche, au centre… et finit toujours par mécontenter tout le monde. Le budget 2026 était présenté comme « équilibré », « responsable », « courageux ». En réalité, il mélangeait hausses d’impôts ciblées, baisse de certaines dépenses et beaucoup de communication.
Problème : personne n’a voulu porter le bébé.
- La gauche a crié au « budget d’austérité déguisée » et à la « trahison des classes populaires »
- La droite a dénoncé « l’explosion des dépenses publiques » et réelles ou supposées
- Le Rassemblement national a joué la carte du « tous pourris » en votant contre par principe
- Même certains députés de la majorité relative ont préféré s’abstenir plutôt que d’endosser un texte impopulaire
Résultat des courses : le texte est mort dans l’œuf. Et avec lui, toute chance d’avoir un budget voté normalement avant la fin de l’année.
Quelles options sur la table maintenant ?
On entre dans le vif du sujet. Constitutionnellement, plusieurs scénarios sont possibles, et aucun n’est vraiment réjouissant.
Scénario 1 : Le 49.3 en mode kamikaze
Le gouvernement peut décider d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer le budget en force. C’est l’arme nucléaire législative. Avantage : ça garantit qu’il y aura bien un budget 2026. Inconvénient : chaque 49.3 expose à une motion de censure. Et vu l’ambiance actuelle, elle a toutes les chances d’être votée. Ce qui signifierait la chute du gouvernement… et probablement une dissolution dans la foulée.
Scénario 2 : La reconduction pure et simple du budget 2025
Si rien n’est voté avant le 31 décembre, les dépenses de l’État sont automatiquement reconduites à l’identique (hors mesures nouvelles). On appelle ça le « budget par douzièmes ». En gros, la France vivrait un an sur le budget de l’année précédente. C’est déjà arrivé (2005, notamment). Mais jamais dans un contexte aussi dégradé des finances publiques. Les agences de notation adoreraient.
Scénario 3 : Un compromis de la dernière chance
Théoriquement possible, mais franchement utopique. Il faudrait que le gouvernement accepte de retirer les mesures les plus clivantes (hausse de la fiscalité sur les hauts revenus, baisse des aides aux entreprises, etc.) et que l’opposition accepte de voter le reste. Autant demander à un chat et une souris de faire la paix pour Noël.
Scénario 4 : La dissolution
Le président peut dissoudre l’Assemblée à tout moment (sauf dans les six mois suivant la précédente dissolution). Avec un budget dans l’impasse, certains y voient l’issue inévitable. Nouvelles élections début 2026, nouveau Parlement, nouveau gouvernement… et pendant ce temps, le pays tourne avec les douzièmes. Risqué, très risqué.
Et les Français dans tout ça ?
C’est la question que tout le monde devrait se poser plus souvent. Parce que pendant que les élus jouent au poker menteur, ce sont les citoyens qui trinquent.
Concrètement, un budget qui n’est pas voté signifie :
- Des incertitudes sur les recrutements dans la fonction publique
- Des projets d’investissement gelés ou reportés
- Des collectivités locales qui ne savent pas sur quel pied danser
- Une image désastreuse à l’international (les marchés détestent le vide)
- Et, cerise sur le gâteau, probablement une hausse des taux d’intérêt sur la dette française
Autant dire que le coût politique et économique pourrait être colossal.
J’ai discuté récemment avec un chef d’entreprise qui emploie 120 personnes. Il m’a dit, textuellement : « Si je ne sais pas en janvier si je vais bénéficier ou non du crédit d’impôt recherche renforcé, je gèle tous les embauches prévues. » Multipliez ça par des milliers d’entreprises, et vous avez une idée du blocage.
Un précédent qui fait froid dans le dos
On a tendance à l’oublier, mais la France a déjà connu des crises budgétaires graves. En 1995-1996, le plan Juppé avait mis en grande partie à cause des manifestations, mais aussi parce que le Parlement était très divisé. Plus récemment, en 2023, le gouvernement avait déjà dû utiliser le 49.3 à de multiples reprises pour faire passer les retraites puis le budget.
Mais là, on passe un cap. Pour la première fois depuis 1958, on risque de ne pas avoir de loi de finances votée du tout. C’est du jamais vu sous la Ve République.
Et maintenant, on fait quoi ?
Sincèrement ? Personne ne le sait. Les couloirs de l’Assemblée bruissent de rumeurs. Certains parlent d’un remaniement express pour tenter de calmer le jeu. D’autres évoquent déjà une cohabitation forcée après une dissolution. Il y a même ceux qui parient sur un référendum (totalement improbable constitutionnellement sur un budget).
Ce qui est sûr, c’est que la semaine qui vient va être décisive. Soit le gouvernement trouve un miracle et parvient à rallier assez de voix pour passer en force sans se faire censurer. Soit il craque et on entre dans une zone de turbulences institutionnelles inédites.
Une chose me frappe particulièrement dans cette séquence : l’absence totale de pédagogie. À force de présenter des budgets comme des exercices comptables froids, on a oublié d’expliquer aux Français pourquoi on fait tel ou tel choix. Résultat : dès qu’il y a une mesure un peu douloureuse, c’est la levée de boucliers générale.
Peut-être que le vrai problème n’est pas technique. Il est politique. Et humain.
Parce qu’au fond, un budget, c’est le reflet de ce qu’on veut faire ensemble comme société. Et là, on a l’impression que plus personne n’est d’accord sur rien. Ni sur la justice fiscale, ni sur le niveau de protection sociale, ni sur le rôle de l’État.
Alors oui, il y aura forcément un budget en 2026. La question, c’est à quel prix. Et avec quelles cicatrices pour la démocratie française.
À suivre, évidemment. De très près.
