Imaginez-vous un instant assis dans une salle des ventes parisienne, le cœur qui bat un peu plus fort quand le commissaire-priseur annonce le lot suivant. Pas une toile de maître, pas un bijou royal… non, juste quelques cheveux. Oui, vous avez bien lu. Des cheveux. Et pourtant, la tension est palpable. Parce que ces cheveux-là n’appartiennent pas à n’importe qui.
C’est exactement ce qui s’est passé un samedi de novembre à Paris. Deux icônes absolues de la chanson française, Claude François et Johnny Hallyday, se sont retrouvées face à face… ou plutôt mèche contre peignes. Et le résultat a de quoi faire sourire : les deux lots ont terminé à 780 euros chacun, frais compris. Un match nul parfait entre deux géants qui, de leur vivant, se disputaient déjà le cœur du public.
Quand la nostalgie vaut plus que l’or
Il y a quelque chose de fascinant dans notre rapport aux objets ayant appartenu à ceux qu’on a aimés. Un simple peigne devient relique. Une mèche de cheveux, presque une sainte relique. On se moque parfois des fans qui dépensent des fortunes pour un bout de tissu porté par leur idole, mais avouons-le : qui n’a jamais rêvé de toucher du doigt un morceau de légende ? Moi le premier.
La mèche de Cloclo : un trésor capillaire authentifié
Commençons par Claude François. La fameuse mèche provient d’une brosse utilisée exclusivement par le chanteur en février 1976, deux ans seulement avant sa disparition tragique. Son coiffeur personnel l’avait conservée avec l’accord de l’artiste. Présentée dans un petit cadre, accompagnée d’un certificat, elle incarnait un bout d’intimité de l’homme qui faisait hurler les foules avec Alexandrie Alexandra.
Estimée entre 1 000 et 1 200 euros, elle a finalement trouvé preneur à 780 euros. Un peu en dessous des attentes, diront certains. Moi je trouve ça plutôt raisonnable quand on sait que d’autres mèches de stars ont atteint des sommes folles à l’étranger. Rappelez-vous les 40 000 dollars pour une touffe d’Elvis Presley il y a quelques années…
Les peignes de Johnny : lancés à la foule en 1976
De l’autre côté, Johnny Hallyday entre en scène, ou plutôt ses peignes. Deux petits objets en plastique noir, comme on en trouvait à l’époque dans toutes les poches. Sauf que ceux-là ont été jetés par le Taulier lui-même dans le public lors de ses concerts incendiaires au Palais des Sports en octobre 1976. Quelques cheveux y étaient encore accrochés. Un fan les avait récupérés ce soir-là et conservés précieusement près de cinquante ans.
Ces peignes, c’est un peu comme si Johnny vous avait tendu la main depuis la scène. Un contact direct, brut, électrique.
Estimés modestement entre 250 et 300 euros, ils ont largement dépassé les prévisions en atteignant eux aussi 780 euros. Preuve que quand il s’agit de Johnny, la ferveur ne faiblit jamais, même pour des objets aussi modestes en apparence.
Un symbole fort : deux France, deux époques, même passion
Ce qui m’a le plus marqué dans cette coïncidence de prix, c’est le symbole. D’un côté Claude François, le roi du show à l’américaine, perfectionniste jusqu’à l’obsession. De l’autre Johnny Hallyday, le rockeur rebelle, généreux, instinctif. Deux styles, deux générations, deux façons d’aimer le public. Et pourtant, près de cinquante ans après, leurs reliques se valent à l’euro près.
Comme si les collectionneurs avaient voulu rendre hommage à égalité à ces deux monstres sacrés qui ont façonné la chanson française populaire. Ni l’un ni l’autre ne l’emporte. Ils trônent ensemble, côte à côte, dans le panthéon de la mémoire collective.
Et les autres lots ? Gainsbourg et Mike Brant en tête d’affiche
Cette vente ne se résumait pas à nos deux têtes d’affiche. Plus de 400 lots étaient proposés, et une grande partie tournait autour de Johnny Hallyday – veste d’armée de son service militaire en 1964 partie à 2 600 euros, entre autres. Mais deux objets ont particulièrement fait grimper les enchères.
- Un agenda trimestriel de Serge Gainsbourg datant de 1961 : adjugé 5 070 euros
- Un trophée remis à Mike Brant en 1974, alors que le chanteur luttait déjà contre ses démons : 15 210 euros
Ce dernier prix m’a personnellement scotché. Mike Brant, disparu tragiquement à 28 ans, reste une figure bouleversante. Voir un simple trophée atteindre une telle somme montre à quel point son aura continue de hanter les mémoires.
Pourquoi payer si cher pour si peu de matière ?
On pourrait se moquer. 780 euros pour trois cheveux et deux peignes en plastique ? Mais ce serait oublier l’essentiel : ces objets sont des madeleines de Proust collectives. Ils nous ramènent à une époque où la télévision n’avait que trois chaînes, où les 45 tours faisaient la loi, où l’on attendait le dimanche soir pour voir son idole.
Acheter ces reliques, c’est acheter un bout d’enfance, un morceau de rêve français. C’est aussi, quelque part, refuser que ces géants disparaissent complètement. Tant qu’il y aura des collectionneurs prêts à ouvrir leur portefeuille, Cloclo continuera de danser et Johnny de hurler Allumer le feu quelque part dans nos têtes.
Le marché des memorabilia : une passion qui ne faiblit pas
Le marché des objets ayant appartenu à des stars de la chanson française se porte mieux que jamais. Guitares, costumes de scène, disques dédicacés, mais aussi ces petits objets du quotidien qui prennent une valeur inestimable avec le temps. Les ventes spécialisées se multiplient et les prix grimpent régulièrement.
Et on n’est pas près de voir ce phénomène s’essouffler. Au contraire. Plus le temps passe, plus ces témoins d’une époque révolue deviennent rares. Et donc précieux. Un peu comme les vinyles, finalement : on les croyait ringards, ils sont revenus en force.
Et demain ? Quelles reliques va-t-on s’arracher ?
On peut déjà imaginer les futures stars dont les objets atteindront des sommets. Un micro utilisé par Mylène Farmer ? Une robe de scène de Céline Dion ? Un bonnet de Stromae ? Le temps fera son œuvre. Dans trente ou quarante ans, d’autres collectionneurs se battront peut-être pour un bout de costume d’Orelsan ou un médiator de Gazo.
La boucle est bouclée. Ce qui nous semble aujourd’hui banal deviendra demain un trésor. Et c’est peut-être ça, finalement, la plus belle définition de la gloire : laisser derrière soi des objets qui, des décennies plus tard, font encore battre le cœur des gens.
Alors la prochaine fois que vous jetterez un vieux peigne ou que vous passerez le balai en pestant contre les cheveux partout, pensez-y. Peut-être qu’un jour, quelqu’un paiera une fortune pour ça. Stranger things have happened, comme disait l’autre.
