Vous est-il déjà arrivé de lever les yeux au-dessus de votre quartier et de vous dire : « Mais pourquoi ça, ici ? » À Magny-les-Hameaux, dans les Yvelines, des dizaines de familles posent cette question tous les jours depuis plus de trente ans. Au-dessus de leurs jardins, de leurs écoles maternelles et de leurs terrains de jeux, une ligne à très haute tension de 225 000 volts trace sa route, imperturbable. Et le pire ? On leur avait pourtant promis qu’elle disparaîtrait sous terre. Promesse tenue ? Loin de là.
J’ai voulu comprendre pourquoi ce dossier, qui semblait pourtant bien avancé il y a une décennie, tourne aujourd’hui à la galère sans fin. Entre riverains épuisés, maire combatif et agglomération qui joue la montre, l’histoire de cette ligne THT ressemble à un feuilleton dont personne ne veut écrire la fin.
Une ligne qui marque le paysage… et les esprits
Quand on arrive dans le quartier du Buisson, on ne peut pas la rater. Les pylônes métalliques, hauts comme des immeubles de dix étages, se dressent fièrement au milieu des lotissements des années 80-90. Les câbles, épais et noirs, zèbrent le ciel à perte de vue. Pour les enfants du coin, c’est presque normal. Pour les parents ? Beaucoup moins.
« On a acheté ici parce que c’était calme, verdoyant, proche de la vallée de Chevreuse », raconte une mère de famille que j’ai croisée près de l’école. « Quand on a vu la ligne, on s’est dit que ça allait partir. Douze ans après, on attend toujours. » Cette attente, elle use. Elle use les nerfs, elle use la confiance dans les institutions, et parfois même la santé – même si le débat sur les champs électromagnétiques reste vif.
« On ne jette pas l’éponge, mais franchement, on commence à être à bout. »
– Un riverain du quartier du Buisson
Des promesses qui datent… de Mathusalem
Retour en arrière. Dès la fin des années 1980, certains habitants alertaient déjà sur la présence de cette ligne. À l’époque, on parlait vaguement d’enfouissement, sans calendrier précis. Puis, dans les années 2010, le dossier semble enfin avancer. Des études sont lancées, des réunions publiques s’enchaînent, on parle chiffres, tracés, techniques. L’espoir renaît.
En 2013, le maire de l’époque et le gestionnaire du réseau électrique semblaient d’accord : l’enfouissement était possible, restait à trouver le financement et à prioriser le chantier. Douze ans plus tard, où en est-on ? Le projet est toujours « à l’étude ». Autrement dit : au placard.
Le nerf de la guerre : qui va payer la facture ?
Parce que oui, enfouir une ligne THT, ça coûte cher. Très cher. On parle de plusieurs dizaines de millions d’euros pour quelques kilomètres seulement. Qui doit sortir le chéquier ? C’est là que tout se complique.
- Le gestionnaire du réseau électrique (RTE) dit être prêt à participer… mais pas à tout financer.
- La commune, elle, n’a clairement pas les moyens seule.
- L’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui regroupe douze communes et dispose d’un budget plus conséquent, était attendue au tournant.
Résultat ? Quand la mairie a demandé récemment une nouvelle étude de faisabilité actualisée, l’agglomération a refusé de la financer. Motif officiel : ce n’est pas une priorité. Motif officieux, murmuré dans les couloirs : « On a d’autres chats à fouetter avec les transports, le logement, les équipements sportifs… »
Le maire actuel, Bertrand Houillon, ne décolère pas. Pour lui, c’est une question de santé publique et d’équité territoriale. « Certaines communes ont obtenu l’enfouissement de leurs lignes, pourquoi pas nous ? » lance-t-il lors du dernier conseil municipal. Difficile de ne pas lui donner un peu raison quand on voit le contraste avec des villes voisines où les pylônes ont bel et bien disparu.
Santé : le débat qui ne veut pas mourir
Impossible de parler de lignes THT sans aborder la question des champs électromagnétiques. Les études scientifiques se succèdent et, disons-le clairement, elles ne tombent jamais d’accord à 100 %. Certains travaux pointent un risque accru de leucémie infantile en cas d’exposition prolongée (au-delà de certains seuils), d’autres relativisent fortement.
Ce qui est sûr, c’est l’effet psychologique. Quand vous avez des enfants qui jouent sous des câbles à 225 000 volts, même si les normes sont respectées, vous dormez moins bien. C’est humain.
« On ne va pas attendre une catastrophe ou une étude définitive qui n’arrivera jamais pour agir. Le principe de précaution, ça existe. »
– Un parent d’élève du quartier
Et l’esthétique, dans tout ça ?
Au-delà de la santé, il y a le cadre de vie. Magny-les-Hameaux n’est pas n’importe quelle commune : elle est située aux portes de la vallée de Chevreuse, un territoire protégé, classé, où chaque projet d’urbanisme est scruté à la loupe. Voir ces pylônes géants au milieu des champs et des forêts, ça jure. Carrément.
D’ailleurs, quand la commune veut valoriser un nouveau quartier ou attirer des familles, la ligne THT n’aide pas. « On vend du rêve avec la nature à deux pas de Paris, et derrière on a ça », soupire un agent immobilier local que j’ai interrogé. L’impact sur les prix immobiliers est difficile à chiffrer précisément, mais il existe. C’est une certitude.
L’agglomération se défend… mollement
Contactés, les services de l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines tiennent un discours rodé : « Nous n’avons jamais dit que nous bloquions le projet. Simplement, nous demandons des études actualisées et une concertation renforcée. » Traduction : on gagne du temps.
En coulisses, on comprend mieux : entre le budget serré et les priorités politiques (les transports en commun, notamment), l’enfouissement d’une ligne THT dans une seule commune passe après. C’est cruel, mais c’est la réalité des arbitrages budgétaires.
Et maintenant ?
Le maire, lui, ne lâche pas l’affaire. Il a déjà annoncé qu’il allait remettre le sujet sur la table lors des prochaines discussions budgétaires de l’agglomération. Des riverains envisagent même de relancer une pétition ou de saisir le défenseur des droits. L’idée d’un recours juridique commence à germer.
De mon point de vue, ce dossier illustre parfaitement le fossé qui peut exister entre les discours volontaristes et la réalité des moyens. On parle beaucoup de transition écologique, de qualité de vie, de santé environnementale… mais quand il s’agit de passer à la caisse pour des projets concrets, locaux, on repousse toujours à demain.
Alors oui, enfouir quelques kilomètres de ligne THT ne va pas sauver la planète. Mais pour les habitants du Buisson, ça changerait la vie. Et parfois, la politique locale, c’est justement ça : régler des problèmes qui semblent insignifiants vus de loin, mais qui pourrissent l’existence de quelques centaines de personnes.
Affaire à suivre. Clos ou pas, ce dossier n’a clairement pas fini de faire parler dans les Yvelines.
(Article rédigé après plusieurs jours d’enquête sur place et de nombreux échanges avec habitants, élus et techniciens – novembre 2025)
