Imaginez la scène : vous êtes au Stade de France, il fait un froid de canard, les Bleus viennent de coller 48 points à l’Australie… et pourtant, personne n’a vraiment le sourire franc. C’est exactement ce qu’on a vécu samedi soir. Une victoire large sur le papier, mais qui laisse un goût bizarre, comme quand on gagne un match en encaissant cinq essais. Bienvenue dans l’année 2025 du XV de France : paradoxale, frustrante, et sacrément intrigante.
Un titre qui sauve la saison, mais un bilan qui fait grincer des dents
On va être honnête deux minutes : quand on gagne le Tournoi des Six Nations, on a plutôt envie d’ouvrir le champagne. Et les Bleus l’ont fait, leur deuxième sacre sous l’ère actuelle après le Grand Chelem de 2022. C’est beau, c’est fort, ça fait plaisir au cœur. Mais quand on regarde le compteur global de l’année, on tombe de haut.
Six victoires. Cinq défaites. 55 % de succès. C’est tout simplement le pire ratio depuis que le staff actuel a pris les commandes en 2020. Pire encore que 2021 (63 %), l’année qu’on pensait être le creux de la vague. À l’époque, on se disait « c’est la reconstruction ». Quatre ans plus tard, on se demande si on n’est pas en train de reconstruire… sur des ruines.
Deux époques dans la même décennie
Ce qui frappe, c’est la cassure nette. Avant la Coupe du monde 2023, les Bleus tournaient à plus de 80 % de victoires. Quatorze succès d’affilée à un moment, une machine qui faisait peur à tout le monde. Depuis ? 62 % seulement. On est passé du rouleau compresseur à l’équipe qui gagne un match sur deux en moyenne. Et ça, même le sélectionneur l’a reconnu avec une franchise qu’on n’avait pas l’habitude d’entendre.
« Si on compare avec il y a quatre ans, on n’est pas au même niveau pour être honnête. Il y a quatre ans, on était sur quelque chose de plus solide, de plus homogène. »
– Le sélectionneur, samedi soir au Stade de France
Quand le patron dit ça avec cette sérénité presque désarmante, on comprend que quelque chose a profondément changé. Et non, ce n’est pas juste « la fatigue post-Mondial » ou « les blessures ». C’est structurel.
La défense, ce vieux fantôme qui revient hanter les Bleus
Parlons chiffres qui piquent. En 2025, les adversaires ont franchi la ligne française 3,4 fois par match en moyenne. C’est énorme. Pour vous donner une idée :
- 2022 (Grand Chelem) : 1,7 essai encaissé par match
- 2023 : 2,4
- 2024 : 2,7
- 2025 : 3,4… et même 5 rien que contre l’Australie
Contre les Wallabies, on a vu des séquences où la défense ressemblait à du gruyère. Des décalages trop faciles, des plaquages manqués en série, des turnovers mal négociés. On marque 48 points, oui, mais on en prend 33. À ce niveau-là, on ne gagne plus contre les grosses nations. Point.
J’ai revu les essais australiens plusieurs fois. Ce n’est pas seulement de la malchance ou des individualités en feu en face. C’est un problème collectif de replacement, d’agressivité, de lecture. La ligne de défense recule trop souvent au lieu d’avancer. Et quand on recule face à des équipes qui savent jouer vite… bonjour les dégâts.
L’indiscipline, l’autre cancer qui ronge les Bleus
Deuxième axe pointé par le staff : la discipline. On prend trop de cartons, trop de pénalités bêtes. Contre l’Australie encore, on a passé de longues minutes à 14, parfois à 13. Et pourtant on gagne. Imaginez ce que ça donne face à des équipes plus solides.
Ce n’est pas nouveau, mais c’est pire qu’avant. L’intensité émotionnelle des Bleus, c’est leur force quand c’est canalisé. C’est leur faiblesse quand ça déborde. Et là, ça déborde souvent.
Les moments qui ont marqué 2025
Revenons sur les grands chapitres de cette année folle.
Le Tournoi des Six Nations ? Une belle réussite. Les Bleus ont su saisir leur chance, battre les équipes qu’il fallait au bon moment, et ramener le trophée à la maison. Un vent de fraîcheur dans une année compliquée.
La tournée en Nouvelle-Zélande ? Un désastre. Trois défaites. On a pris cher dans tous les sens du terme. Physiquement, mentalement, tactiquement. Ce fut le révélateur brutal que non, on n’est plus l’équipe qui faisait trembler les All Blacks à domicile.
La tournée d’automne ? Mitigée. Une victoire large mais inquiétante contre l’Australie, et des matchs où on a senti que le fil était ténu. On gagne, mais on ne domine plus.
Et maintenant ? Le rendez-vous brûlant contre l’Irlande
Le Tournoi 2026 démarre dès le 5 février… un jeudi soir contre l’Irlande au Stade de France. Autant dire que ça ne rigole pas. Les Irlandais, eux, tournent à plein régime. Si on présente la même défense, la même indiscipline, ça peut faire très mal.
Il reste donc deux mois et demi au staff pour corriger le tir. Deux mois et demi pour retrouver de la solidité, de l’agressivité positive, de la discipline. C’est court. Très court. Mais c’est aussi l’ADN de cette équipe : savoir rebondir quand on touche le fond.
Mon sentiment personnel après cette année
Je ne vais pas vous mentir : je suis partagé. D’un côté, je suis fier de ce titre dans le Tournoi, fier de voir des gamins comme Louis Bielle-Biarrey mettre le feu, fier de voir Thomas Ramos tout tenter, fier de voir l’équipe se battre jusqu’au bout même quand ça part en vrille.
De l’autre, je suis inquiet. Vraiment. Parce qu’on a perdu cette aura d’équipe quasi invincible qu’on avait construite pendant quatre ans. On est redevenus une équipe forte… parmi d’autres. Et ça, pour une nation comme la France, ça ne suffit pas.
Mais vous savez quoi ? C’est peut-être le début de quelque chose de nouveau. Peut-être que cette claque était nécessaire. Peut-être qu’on va retrouver une faim qu’on avait un peu perdue dans l’euphorie des grandes victoires.
Une chose est sûre : 2025 aura été l’année du paradoxe. L’année où on a gagné un titre en étant moins bons qu’avant. L’année où on a compris qu’un trophée ne fait pas tout. L’année où les Bleus ont montré qu’ils étaient humains.
Et parfois, être humain, c’est le premier pas pour redevenir des monstres.
Rendez-vous en février pour voir si la métamorphose a commencé.
