Vous êtes-vous déjà demandé ce que l’on ressent quand, pour la simple raison que l’on est accompagné de son chien-guide, on vous refuse l’entrée quelque part ? Pas une fois, pas deux, mais régulièrement. Comme si la loi n’existait pas. Comme si votre handicap n’était qu’un détail gênant.
Cette réalité, Vincent la vit presque tous les mois. À 46 ans, père de famille, ce Francilien malvoyant a décidé de ne plus se taire. Son histoire, c’est celle de milliers de personnes en France qui, malgré un cadre légal clair, se heurtent encore à des refus, des remarques, parfois des humiliations publiques. Et franchement, en 2025, on aimerait croire que c’est du passé… mais non.
Un quotidien fait de portes qui se ferment
Imaginez la scène. Vous montez dans le bus avec votre chien-guide, ce compagnon dressé pendant deux ans, qui représente vos yeux au quotidien. Le harnais orange, l’écusson officiel, tout est là. Et pourtant, la phrase tombe, froide :
« Le monsieur avec le chien, vous descendez s’il vous plaît. »
Année dernière, dans un bus bondé, le chauffeur a même pris le micro pour le dire. Vincent a dû expliquer, calmement, qu’il était malvoyant. Que son chien n’était pas un animal de compagnie ordinaire. Que la loi l’autorisait – non, l’obligeait – à le laisser monter. Ce n’est qu’après l’intervention de plusieurs passagers que le bus a redémarré.
Et ce n’est pas un incident isolé. Fin octobre, même scénario à Sucy-en-Brie. Nouveau bus, même refus catégorique. « Au prochain arrêt, vous descendez, les chiens sont interdits. » Comme si le harnais orange n’existait pas. Comme si la cécité était invisible aux yeux de certains.
Et ce n’est pas que dans les transports
Le plus rageant ? Ça arrive aussi dans des restaurants. Vincent raconte une soirée où, après avoir réservé une table, il s’est vu refuser l’entrée. Le gérant, droit dans ses baskets : « Désolé, pas de chien ici. » Peu importe l’explication, peu importe la loi. Le ton est monté. L’humiliation était totale.
Je me souviens d’un ami non-voyant qui m’avait dit un jour : « Quand on te refuse l’accès, c’est comme si on te disait que tu n’as pas le droit d’exister dans l’espace public. » Et quand j’entends Vincent raconter ça, je me dis que rien n’a vraiment changé.
Une loi claire… mais ignorée
Pourtant, tout est écrit noir sur blanc. Depuis 2005, la loi est formelle : l’accès aux lieux publics, transports, établissements recevant du public est garanti aux personnes handicapées accompagnées de leur chien-guide. Pas de « sauf si », pas de « à la discrétion de ». C’est un droit absolu.
Et ce n’est pas tout. Le refus est passible d’une amende de 450 €, voire plus en cas de récidive. Alors pourquoi, vingt ans après, des chauffeurs de bus, des restaurateurs, des taxis continuent de dire non ?
Manque de formation ? Peur des allergies ? Simple ignorance ? Un peu de tout ça, sans doute. Mais le résultat est le même : des personnes déjà fragilisées se retrouvent mises à l’écart, parfois en public, souvent avec un sentiment profond d’injustice.
Musher, bien plus qu’un chien
Parce qu’il faut le dire : un chien-guide, ce n’est pas un toutou classique. Musher, le labrador de Vincent, a été formé pendant deux ans dans une école spécialisée. Il connaît plus de 50 commandes. Il sait éviter les obstacles, trouver les passages piétons, repérer les sièges libres dans le métro. Il est calme, propre, discret.
Pour Vincent, Musher représente l’autonomie. La liberté de sortir seul. D’aller chercher ses enfants à l’école. De faire ses courses. Sans lui, la vie serait infiniment plus compliquée. Et pourtant, certains le réduisent à « un chien qui gêne ».
« Quand on me refuse l’accès à cause de lui, c’est comme si on m’arrachait mes yeux une deuxième fois. »
Vincent
Pourquoi tant de refus persistent en 2025 ?
On pourrait croire que le problème s’amenuise. Que la société progresse. Et pourtant, les associations de personnes malvoyantes reçoivent encore des centaines de signalements chaque année. Les chiffres sont édifiants :
- Près d’1 malvoyant sur 2 a déjà été refusé dans un transport en commun
- 30 % dans un commerce ou un restaurant
- Des cas signalés même dans des administrations publiques
Et le pire ? Beaucoup ne portent pas plainte. Par fatigue. Par honte. Parce qu’on leur a appris à « ne pas faire d’histoires ». Vincent, lui, a décidé que ça suffisait.
Vincent a décidé de parler, fort
Aujourd’hui, il témoigne. Il raconte. Il veut que son histoire serve à quelque chose. Il contacte les associations, parle aux médias, sensibilise autour de lui. Parce que, comme il dit :
« Ce n’est pas une histoire personnelle. C’est notre quotidien à tous. Tant que ça arrivera à quelqu’un, ça nous concernera tous. »
Et il a raison. Ce n’est pas qu’une question de chien. C’est une question de dignité. D’égalité. De respect des lois dans un pays qui se veut exemplaire en matière de droits des personnes handicapées.
Et nous, dans tout ça ?
La prochaine fois que vous verrez une personne avec un chien-guide se faire refuser l’accès quelque part, qu’allez-vous faire ? Rester silencieux ? Changer de trottoir ? Ou intervenir, calmement mais fermement, pour rappeler la loi ?
Parce que oui, la sensibilisation commence aussi par là. Par nous tous. Par un chauffeur de bus mieux formé. Par un restaurateur qui connaît ses obligations. Par un passant qui ose dire : « Non, vous n’avez pas le droit de faire ça. »
Vincent ne demande pas la pitié. Il demande le respect. Le même que celui qu’on accorde à n’importe qui. Ni plus, ni moins.
Alors la prochaine fois que vous croiserez un duo malvoyant-chien guide, regardez-les vraiment. Ce ne sont pas « un monsieur avec un chien ». C’est une personne qui se bat, chaque jour, pour avoir les mêmes droits que vous.
Et si on arrêtait, enfin, de leur mettre des bâtons dans les roues ?
Parce qu’en 2025, franchement, on devrait pouvoir faire mieux que ça.
