Il y a des soirs où le foot ressemble à une longue attente. Samedi à Bollaert, sous le froid mordant du Nord, on a eu l’impression de voir deux mecs bourrés de talent tourner en rond devant une porte fermée à double tour. Emmanuel Emegha et Joaquin Panichelli, les deux têtes d’affiche de l’attaque strasbourgeoise, ont encore passé quatre-vingt-dix minutes sans jamais se trouver. Résultat : 0-1, zéro tir cadré décisif, et cette question qui commence à peser lourd : quand est-ce que ce duo va enfin prendre feu ?
Un duo sur le papier irrésistible, sur le terrain fantomatique
Quand le Racing a bouclé l’arrivée de Panichelli l’été dernier pour venir épauler Emegha, on s’est tous dit la même chose : avec un Néerlandais de 22 ans déjà international et un Argentin de 23 ans qui sort d’une saison monstrueuse en Serie B, Strasbourg tenait enfin un tandem capable de faire mal à tout le monde. Puissance, vitesse, technique, sens du but… tout y était. Sauf que quatre matchs plus tard, le compteur est bloqué à zéro réalisation commune.
Contre Lens, ils n’ont échangé que deux passes en quatre-vingt-dix minutes. Deux. Même mon grand-père et moi on fait mieux quand on se refile le sel à table.
« On a deux des meilleurs jeunes attaquants d’Europe, mais c’était seulement leur quatrième match ensemble. Les automatismes vont arriver. Ça prend du temps mais ça va payer. »
Justin Walker, entraîneur adjoint du Racing
Panichelli trop bas, Emegha trop seul
Le problème, c’est que pour l’instant, les deux garçons ne jouent pas vraiment ensemble. L’Argentin a passé la moitié du match plus bas que les milieux relayeurs. Résultat : Emegha se retrouve esseulé face à des défenseurs rugueux comme Malang Sarr, sans ballon dans les pieds et avec l’envie qui monte vite.
On a vu le Néerlandais s’énerver, gesticuler, lever les bras au ciel. Normal. Quand tu es un pur neuf et que ton supposé compère d’attaque vient défendre sur les latéraux adverses, tu finis par te demander si tu joues en 9-1 ou en 10-0.
- Position moyenne de Panichelli : plus basse que Lemaréchal, Doué, Barco et Moreira
- Zéro tir tenté par l’Argentin
- Une occasion énorme ratée par Emegha sur un contre mal géré
- Seulement 11 centres tentés par les pistons
Un xG historiquement bas qui fait mal
Le chiffre qui fait peur : 0,45 xG. C’est tout simplement le pire total de la saison pour Strasbourg. Et quand tu regardes les trois derniers matchs de Ligue 1, le Racing n’a cadré que deux tirs ou moins à chaque fois. On n’avait plus vu ça depuis presque trois ans.
Autrement dit, ce n’est pas qu’une histoire de finition. C’est toute la construction qui patine. Les pistons ne débordent plus comme avant, les milieux ne trouvent plus les appels, et les deux attaquants finissent par errer comme des âmes en peine dans la surface.
Pourquoi ça coince autant ?
D’abord parce que le système de Liam Rosenior demande beaucoup de mouvement et de sacrifice défensif. Panichelli, qui a l’habitude de jouer en pointe fixe ou en second attaquant libre, se retrouve à boucher les couloirs. Il le fait bien, attention – Walker l’a d’ailleurs félicité pour son abattage – mais du coup il disparaît offensivement.
Ensuite, il y a la complémentarité qui n’existe pas encore. Emegha adore les appels en profondeur, les duels aériens, la puissance. Panichelli, lui, aime redescendre, combiner, créer des décalages. Sur le papier c’est parfait. Sur le terrain, pour l’instant, c’est l’un ou l’autre, jamais les deux en même temps.
Et puis il y a cette pression énorme. À 22 et 23 ans, on leur demande déjà d’être le moteur d’une équipe qui vise le haut de tableau. C’est beaucoup. Très beaucoup.
Les exemples qui doivent les faire rêver
Pourtant, l’histoire du foot est remplie de duos qui ont mis du temps avant d’exploser.
Prenez Haaland et Alvarez à Manchester City il y a deux ans. Au début, ça grinçait. L’un voulait tout le ballon dans la surface, l’autre cherchait à combiner. Puis Pep a ajusté, ils ont compris les courses de l’autre, et ça a fini en pluie de buts.
Plus près de nous, regardez Sorba Thomas et Delano Burgzorg à Nantes l’an dernier. Six mois pour se trouver, et ensuite ils ont porté l’équipe jusqu’au maintien.
« Parfois il faut se sacrifier pour l’équipe. Offensivement, on a eu plus de mal à le trouver. Ce n’est pas de sa faute. »
Justin Walker, à propos de Panichelli
Ce que le Racing doit corriger rapidement
Première chose : clarifier les rôles. Soit Panichelli accepte d’être un vrai second attaquant qui reste haut, soit on change de système pour le libérer plus bas. Mais on ne peut pas lui demander d’être à la fois piston gauche et finisseur.
Deuxième chose : redonner de la largeur. Doué et Moreira doivent retrouver leur folie des grands soirs. Sans centres, sans débordements, aucun duo au monde ne peut s’exprimer.
Troisième chose : de la patience, oui, mais pas trop. Parce que dans trois semaines il y a le derby contre Metz, puis la réception de Paris. Si le duo n’a toujours pas marqué d’ici là, la pression va devenir insupportable.
Et si c’était juste une question de confiance ?
J’ai revu les actions du match contre Bröndby en Conference League. Déjà là, on sentait que quelque chose pouvait naître. Un une-deux, un appel croisé, une occasion franche. Ça existe. Il manque juste le déclic.
Parfois, un but un peu moche, un pénalty généreux, une déviation heureuse, et tout se débloque. Le foot, c’est aussi ça.
En attendant, Strasbourg avance au ralenti offensivement. Et chaque semaine sans victoire fait un peu plus mal.
Moi je veux y croire. Parce que quand tu as deux gamins de cet âge-là, avec ce potentiel, dans la même équipe, ça finit toujours par payer. La question, c’est juste de savoir si ça paiera avant que la patience des supporters ne s’épuise.
À eux de nous prouver que Justin Walker a raison. Que ça prend du temps, mais que ça va payer.
Vite, quand même.
