Vous souvenez-vous de l’hiver dernier ? 17 000 morts. Des urgences saturées, des services qui craquent, et cette sensation pesante que quelque chose cloche encore dans notre façon de gérer les épidémies saisonnières. Moi oui, très bien. Et manifestement, le Sénat s’en souvient aussi.
Ce dimanche 23 novembre 2025, pendant que beaucoup profitaient du week-end, les sénateurs ont tranquillement remis sur la table une mesure que l’Assemblée avait balayée d’un revers de main : l’obligation vaccinale contre la grippe pour certains professionnels de santé exerçant en libéral. Retour en force, donc. Et franchement, ça mérite qu’on s’y arrête cinq minutes.
Un revirement qui en dit long sur nos priorités
Reprenons depuis le début, calmement. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 contenait, dans sa version initiale, deux mesures phares : rendre la vaccination antigrippale obligatoire (sous réserve d’un avis favorable de la Haute Autorité de santé) d’une part pour les résidents d’Ehpad, d’autre part pour une partie des soignants libéraux.
À l’Assemblée nationale ? Refus net. Une alliance inhabituelle a fait tomber l’article. On a entendu parler de « liberté vaccinale » d’un côté, de craintes sur le sort des personnes âgées récalcitritrantes de l’autre. Classique débat post-Covid, vous me direz.
Mais au Sénat, l’ambiance était différente. À main levée – oui, vous avez bien lu, à main levée – les sénateurs ont décidé de rétablir l’obligation… mais uniquement pour les soignants libéraux. Les résidents d’Ehpad, eux, passent entre les gouttes. Et là, ça devient intéressant.
Pourquoi épargner les résidents d’Ehpad ?
La rapporteure générale, Corinne Imbert, a été très claire. Oui, le taux de vaccination dans les Ehpad dépasse déjà les 83 % – ce qui est plutôt pas mal. Mais imposer le vaccin à des personnes très âgées, parfois atteintes de troubles cognitifs sévères, pose un vrai problème éthique.
« Aucune conséquence concrète ne pourrait être tirée d’un refus. On n’imaginera pas expulser une personne vulnérable de son lieu de vie parce qu’elle dit non au vaccin. »
– Argument décisif retenu au Sénat
Et là, on touche du doigt quelque chose de profond : le consentement. Peut-on vraiment parler de consentement éclairé quand la personne en face ne se souvient plus de son propre nom certains jours ? La question est brutale, mais elle est posée. Et le Sénat a choisi la prudence. Personnellement, je trouve ça plutôt sain.
Les libéraux dans le collimateur : qui est concerné ?
Maintenant, penchons-nous sur ceux qui n’ont pas eu cette clémence : les soignants exerçant à titre libéral. Infirmiers libéraux, kinés, médecins généralistes de ville… Un décret à venir précisera exactement qui rentre dans le filet, en fonction du niveau d’exposition et du type de patientèle.
- Infirmiers qui font les tournées à domicile (beaucoup de personnes âgées)
- Kinés qui interviennent auprès de patients fragiles
- Médecins libéraux voyant régulièrement des patients à risque
- Peut-être certains orthophonistes ou podologues ? À suivre…
Pourquoi eux précisément ? Parce qu’ils sont souvent le dernier rempart avant l’hôpital. Un infirmier libéral qui passe chez dix personnes âgées par jour, s’il attrape la grippe et la transmet… c’est la catastrophe assurée. On l’a vu, on le sait.
Le chiffre qui fait mal : seulement 21 % des soignants vaccinés
Accrochez-vous. On nous répète sans cesse que les soignants sont les mieux informés, les plus conscients des risques. Pourtant, le taux de vaccination antigrippale chez eux tourne autour de 21 %. Vingt-et-un pour cent. Laissez-moi reformuler : quatre soignants sur cinq ne se vaccinent pas contre la grippe.
Comment expliquer ça ? Fatigue vaccinale post-Covid ? Méfiance ? Sentiment que « de toute façon, c’est une petite grippe » ? Un peu de tout ça probablement. Mais quand on voit le bilan 2024 – 17 000 morts, des services hospitaliers au bord de l’implosion – on se dit que le luxe de l’hésitation collective, on ne l’a plus vraiment.
Et les hospitaliers, alors ?
Ils ne sont pas encore concernés… mais ça vient. La Haute Autorité de santé doit rendre un avis au printemps 2026 sur une éventuelle obligation pour tout le personnel des hôpitaux et structures médico-sociales. Autant dire que le débat ne fait que commencer.
D’ailleurs, petite confidence : dans les couloirs, on murmure déjà que l’avis sera positif. Parce que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Parce que les directeurs d’hôpital en ont marre de fermer des lits chaque hiver à cause des absences en cascade. Parce que, soyons honnêtes, on a déjà donné avec les épidémies mal gérées.
Liberté individuelle ou responsabilité collective ?
Évidemment, la question qui brûle toutes les lèvres : et la liberté, dans tout ça ? On a beaucoup entendu le mot « liberté vaccinale » ces dernières années. Et je comprends. Vraiment. Personne n’aime qu’on lui impose quoi que ce soit, surtout quand ça touche le corps.
Mais il y a un moment où la liberté de l’un s’arrête là où commence la vulnérabilité de l’autre. Quand vous êtes infirmier libéral et que vous entrez tous les jours dans la chambre d’une mamie de 92 ans sous oxygène, votre choix personnel devient un choix collectif. C’est dur à entendre, mais c’est la réalité du terrain.
« Protéger les plus fragiles, c’est aussi parfois accepter de se protéger soi-même. »
Je ne dis pas que c’est facile. Je dis juste que le débat mérite mieux que des slogans.
Ce que ça change concrètement dès l’hiver prochain
Pour l’instant ? Pas grand-chose encore. L’article doit repartir à l’Assemblée, passer en commission mixte paritaire, tout le tralala législatif habituel. Mais le signal est clair : la page de la grande tolérance vaccinale tous azimuts est en train de se tourner.
- Dès l’automne 2026 (si le texte est adopté définitivement), certains libéraux devront justifier d’une vaccination à jour
- Contrôles probable par les ARS ou l’Assurance maladie
- Sanctions possibles : suspension d’activité ? Amende ? Le décret le dira
- Exemptions médicales évidemment prévues (rares, mais existantes)
Et pendant ce temps, les campagnes de sensibilisation vont redoubler. Parce que oui, l’obligation, c’est la solution de dernier recours. L’idéal reste que les soignants se vaccinent… parce qu’ils comprennent l’enjeu. Pas parce qu’on les y force.
Un précédent qui pèse lourd
On ne va pas se mentir : ce qui se passe aujourd’hui avec la grippe, c’est aussi l’héritage du Covid. On a vu ce que coûte l’hésitation collective. On a vu des services entiers fermés faute de personnel. On a vu des patients décéder parce qu’il n’y avait plus de place.
Alors oui, certains crieront au retour de la dictature sanitaire. D’autres diront enfin du bon sens. Moi ? Je vois surtout des décideurs qui tentent, maladroitement peut-être, de ne pas revivre le cauchemar. Et entre nous, je préfère une mesure imparfaite mais protectrice, qu’une liberté totale… dans un hôpital bondé.
La grippe, ce n’est pas le Covid. Mais chaque hiver, elle tue. Silencieusement. Et cette année, le législateur a décidé qu’on ne pouvait plus regarder ailleurs.
À suivre, donc. Très attentivement.
