Vous souvenez-vous de l’époque où un budget se votait dans le calme, avec quelques ajustements techniques et une poignée de mains à la sortie ? Moi non plus. Ces derniers jours, on a plutôt l’impression d’assister à un règlement de comptes en direct, version XXL. Et au centre du ring, un homme qui n’a plus rien à perdre : Bruno Retailleau.
Revenu au Sénat après avoir claqué la porte du ministère de l’Intérieur, le patron des Républicains a retrouvé sa liberté de parole. Et croyez-moi, il en profite. Il ne tape plus avec des gants : il cogne.
Un divorce consommé avant même les fêtes
Ce week-end, l’ancien locataire de la place Beauvau a balancé une phrase qui résume tout : le gouvernement « hypothèque l’avenir collectif » pour « se maintenir quelques semaines ». Autrement dit, on vendrait la France à prix cassé juste pour rester au pouvoir jusqu’à Noël. Difficile de faire plus brutal.
Le timing n’est pas anodin. Le Sénat, à majorité de droite, examine le projet de loi de finances à partir de jeudi. La chambre haute est déjà en train de démonter pièce par pièce le budget de la Sécurité sociale voté à l’Assemblée. Autant dire que l’ambiance est électrique.
Retailleau dégaine le bazooka
Ce qui a mis le feu aux poudres ? Les concessions faites, selon lui, aux socialistes pour obtenir leur soutien. Il le dit sans filtre : « Olivier Faure décide, le Premier ministre exécute. » On croirait entendre un opposant de gauche sous un précédent quinquennat. Sauf que là, c’est le chef de file de la droite qui tire à boulets rouges sur un gouvernement censé être allié.
« Le gouvernement hypothèque notre avenir collectif pour se maintenir quelques semaines. »
Bruno Retailleau
Et il en rajoute une couche sur la fameuse loi spéciale de reconduction du budget précédent. Pour lui, c’est même la solution préférable à un texte qui « continuera à déclasser la France et à appauvrir les Français ». En clair : plutôt la crise institutionnelle que le compromis au rabais.
La riposte immédiate du gouvernement
Il ne fallait pas attendre longtemps pour que la réponse tombe. Amélie de Montchalin, ministre de l’Action et des Comptes publics, était invitée sur un plateau télé ce dimanche matin. Elle n’a pas pris de gants non plus.
Son message est limpide : certains préfèrent jouer leur partition pour 2027 plutôt que de penser à 2026. Et quand elle parle « d’ambitions tellement visibles qu’elles empêchent tout compromis », on comprend très bien à qui elle pense.
« La question pour moi, c’est de savoir si les ambitions pour 2027 sont tellement visibles qu’elles empêchent de trouver un compromis pour 2026. »
Amélie de Montchalin
Elle ironise même sur cette loi spéciale présentée comme la panacée par certains. Rappel utile : l’an dernier, elle a déjà coûté 12 milliards d’euros de pertes. Et elle ne tiendrait que quelques semaines. Traduction : c’est un pansement sur une jambe de bois.
Pourquoi ça bloque autant ?
Pour comprendre, il faut revenir quelques mois en arrière. Le gouvernement n’a plus de majorité absolue à l’Assemblée depuis 2022. Chaque texte devient un parcours du combattant. Cette fois, il a besoin des voix socialistes pour faire passer son budget. Et les socialistes, eux, ont des exigences : augmentation du SMIC, taxation des superprofits, etc.
Du côté du Sénat, la droite durcit le ton. Elle refuse de valider un budget qui, selon elle, ne réduit pas assez le déficit et augmente les dépenses. Résultat : on se retrouve avec deux chambres qui se regardent en chiens de faïence.
- À l’Assemblée : compromis à gauche pour survivre
- Au Sénat : ligne dure à droite pour exister
- Au milieu : un gouvernement qui marche sur des œufs
Et pendant ce temps, le déficit continue de creuser. On parle de plus de 6 % du PIB en 2025. La note de la France chez les agences de notation tremble déjà.
2027, déjà dans tous les esprits
Ce qui rend la situation explosive, c’est que tout le monde a déjà un œil rivé sur la présidentielle. Retailleau ? Il se positionne clairement comme le candidat naturel de la droite conservatrice. Refuser le compromis aujourd’hui, c’est préparer le terrain pour demain : « Moi, au moins, je n’ai rien lâché. »
De l’autre côté, le gouvernement sait que s’il cède trop, il perdra le peu de crédibilité qu’il lui reste auprès de l’électorat de centre-droit. Et puis il y a ceux qui, en coulisses, préparent déjà leur propre candidature. On ne va pas se mentir : chaque virgule du budget est scrutée à la lumière de 2027.
Et les Français dans tout ça ?
C’est la grande question qu’on oublie souvent. Pendant que les egos s’affrontent, les factures d’énergie grimpent, les retraites ne sont toujours pas indexées correctement, et les hôpitaux continuent de tourner à flux tendu. Un budget, ce n’est pas qu’un jeu politique. C’est aussi des choix concrets qui impactent le quotidien.
Si on finit par une loi spéciale, les conséquences seront immédiates :
- Gel de certaines dépenses prévues
- Report de réformes structurelles
- Signal désastreux envoyé aux marchés
- Et probablement une nouvelle dégradation de la note française
Autrement dit, tout le monde perd. Sauf peut-être ceux qui parient sur le chaos pour se démarquer.
Y a-t-il encore une sortie de crise ?
Franchement, j’en doute de plus en plus. La commission mixte paritaire sur le budget de la Sécu est attendue dans les prochains jours. Si elle échoue – et tout laisse penser que ce sera le cas –, on entrera dans une zone de turbulences inédite.
Le gouvernement brandit déjà la menace du 49.3. Mais au Sénat, on prépare la riposte. Certains parlent même d’un rejet global du projet de loi de finances. Ce serait du jamais-vu depuis des décennies.
Alors oui, on peut toujours espérer un sursaut de responsabilité. Mais quand on entend les uns parler de « capitulation » et les autres d’« ambitions personnelles démesurées », on se dit que le chemin vers le compromis ressemble de plus en plus à une impasse.
Ce que ça nous dit de la politique française en 2025
Ce bras de fer est révélateur d’une maladie plus profonde. La France n’a plus de majorité claire depuis trois ans. On gouverne à coups d’alliances fragiles et de concessions douloureuses. À force, plus personne ne veut payer le prix politique du compromis.
Résultat ? On assiste à une radicalisation des positions. La droite sénatoriale se droitise. Le gouvernement se recentre par la force des choses. Et au milieu, les Français regardent, sidérés, ce spectacle permanent.
J’ai l’impression qu’on vit une sorte de pré-campagne permanente. Chaque décision, chaque phrase, chaque silence est calculé en fonction de 2027. Et pendant ce temps, le pays, lui, continue de s’enfoncer.
Alors oui, le ton monte. Et il va continuer à monter. Parce que dans cette pièce de théâtre, personne ne semble prêt à baisser le rideau avant le grand soir électoral. Et nous, public malgré nous, on paiera la note. Comme toujours.
À suivre, évidemment. Mais une chose est sûre : ce budget 2026 ne ressemblera à aucun autre. Et pas forcément dans le bon sens du terme.
