Vous êtes déjà passé sous le métro aérien de Barbès un samedi après-midi ? Ce chaos organisé, ces odeurs de poulet yassa, ces vendeurs à la sauvette, ce flot humain qui ne s’arrête jamais… Et puis, au milieu de tout ça, cet énorme bâtiment qui semble figé dans le temps. L’ancien Tati. Celui qu’on appelait « le magasin le moins cher de France ». Fermé depuis 2021. Et toujours là, comme un fantôme rose et blanc qui refuse de partir.
J’y passe régulièrement. Et à chaque fois, la même question me trotte dans la tête : mais qu’est-ce qu’il attend, ce bâtiment, pour revivre ?
Un projet ambitieux qui devait tout changer
Quand le rideau est tombé sur le Tati de Barbès en 2021, on nous avait vendu du rêve. Un promoteur belge connu devait transformer ces 7 500 m² en quelque chose de complètement nouveau. Pas juste un énième centre commercial, non. On parlait d’un lieu mixte, comme on dit dans le jargon immobilier : des bureaux modernes, des commerces de qualité, et même – accrochez-vous – une salle de spectacle de six mètres de hauteur d’emblée à l’angle des deux boulevards.
Franchement, l’idée avait de la gueule. Redonner vie à un symbole du Paris populaire tout en le modernisant. Créer un lieu qui parlerait à tout le monde : aux habitants historiques du quartier, aux bobos qui commencent à s’y installer, aux touristes qui passent en vitesse pour prendre leur train à Gare du Nord.
Mais quatre ans plus tard ? Rien. Ou presque.
Un bâtiment qui fait de la résistance
En surface, il se passe quand même des choses. De temps en temps, la vitrine du rez-de-chaussée change d’occupation. Il y a quelques mois, c’était une expo-vente d’objets de décoration africaine. Aujourd’hui, on y trouve des coussins colorés, des tee-shirts un peu branchés, de la vaisselle aux motifs wax. C’est joli. C’est propre. C’est… temporaire.
Le reste ? Les étages sont vides. Les travaux n’ont jamais vraiment commencé. L’enseigne Tati, elle, trône toujours tout en haut, éteinte mais toujours là. Comme un rappel. Ou une provocation.
« Le marché est complètement saturé »
Un professionnel de l’immobilier commercial parisien
Et cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois. Pas seulement pour Barbès. Pour tout Paris intra-muros, en fait.
Pourquoi personne n’en veut ?
Alors oui, on pourrait se dire : 7 500 m² en plein Barbès, à deux pas de Montmartre et de Gare du Nord, c’est la poule aux œufs d’or. Sauf que non. Pas en 2025.
Premier problème : les bureaux. Qui veut encore s’installer dans des bureaux neufs quand la moitié des entreprises parisiennes cherchent à réduire leurs surfaces ? Le télétravail est passé par là. Les loyers restent élevés, mais la demande a chuté. Et Barbès, soyons honnêtes, ce n’est pas La Défense ni le Triangle d’Or.
Deuxième problème : le commerce. Le quartier est déjà ultra saturé. Entre les enseignes de téléphonie, les magasins de vêtements à bas prix, les supérettes ouvertes 24h/24 et les boutiques éphémères, il y a de quoi faire. Ouvrir un nouveau commerce ici, c’est prendre le risque de se battre pour des miettes.
- Concurrence féroce avec les acteurs déjà présents
- Loyers élevés pour un quartier perçu comme « difficile »
- Image parfois négative qui freine certaines enseignes grand public
- Clientèle locale au pouvoir d’achat limité
- Risque de vacance prolongée qui fait peur aux investisseurs
Et puis il y a cette salle de spectacle promise. Six mètres de hauteur sous plafond, c’est magnifique sur le papier. Dans la réalité ? Trouver un opérateur prêt à investir dans un quartier aussi dense, avec tous les problèmes de stationnement, de sécurité et d’accessibilité que ça implique, c’est une autre paire de manches.
Barbès, entre mythe et réalité
Il faut dire ce qui est : Barbès, on l’aime ou on le déteste. Pour certains, c’est le cœur battant du Paris multiculturel, vivant, authentique. Pour d’autres, c’est le symbole de tout ce qui ne va pas : insécurité, traffic en tout genre, saleté.
La vérité, comme souvent, est au milieu. Le quartier change. Lentement, mais sûrement. Des cafés branchés ouvrent. Des jeunes créatifs s’installent. Des familles reviennent. Mais la transformation est inégale. Et l’ancien Tati, au milieu de tout ça, cristallise parfaitement cette ambivalence.
Il pourrait devenir le symbole d’une réussite. D’un Barbès qui se réinvente sans renier son âme. Ou rester la preuve que certains endroits, malgré leur emplacement en or, peinent à trouver une seconde vie.
Et maintenant ?
Le promoteur, lui, ne communique plus beaucoup. On parle de renégociation du projet. De réduction de la voilure. Peut-être plus de logements ? Moins de bureaux ? Une occupation temporaire plus longue en attendant des jours meilleurs ?
Ce qui est sûr, c’est que le temps joue contre. Plus le bâtiment reste vide, plus il se dégrade. Plus il coûte cher à entretenir. Plus il devient difficile à vendre ou à louer.
Et pendant ce temps, les habitants passent devant tous les jours. Certains avec nostalgie. D’autres avec agacement. Quelques-uns avec indifférence.
Moi ? Je continue à espérer. Parce que Barbès mérite mieux qu’une friche géante au cœur de son carrefour le plus emblématique. Parce que ce bâtiment a une histoire. Et qu’il pourrait en écrire une nouvelle. Mais pour ça, il va falloir que quelqu’un croie encore au quartier. Vraiment.
En attendant, l’enseigne Tati continue de veiller sur le carrefour. Éteinte, mais toujours là. Comme un rappel que dans cette ville, rien n’est jamais complètement fini. Ni complètement commencé.
(Article mis à jour novembre 2025 – suivi depuis 2022)
