Parfois, l’actualité vous tombe dessus comme une enclume. Cette semaine de novembre 2025 en fait partie. Cinq femmes mortes, tuées par celui qui était censé les aimer ou qui refusait de les laisser partir. Cinq prénoms qui résonnent désormais comme des coups de poing : Zaïa, Béatrice, Mélina, Élodie, Laure. Derrière les statistiques froides, il y a des visages, des familles dévastées, des collègues en larmes. Et surtout une question qui revient sans cesse : comment est-ce encore possible en 2025 ?
Je ne vais pas vous asséner des chiffres dès le début, même si l’on sait qu’ils sont terrifiants. Non, je préfère qu’on prenne le temps de regarder ces cinq histoires une à une. Parce que réduire ces drames à un simple « +11 % de féminicides en un an » serait indécent.
Une semaine qui a fait basculer cinq familles
Zaïa, 27 ans, aide-soignante à l’avenir tout tracé
Mercredi matin, dans un bois de l’Isère. Une voiture qui brûle. À l’intérieur, le corps calciné d’une jeune femme de 27 ans. Zaïa travaillait dans un Ehpad. Ceux qui l’ont connue parlent d’une personne lumineuse, toujours un sourire pour les résidents. Sur les réseaux, son établissement a publié un message qui serre le cœur : ils la remerciaient d’avoir croisé leur chemin.
Son compagnon, 39 ans, a été arrêté deux jours plus tard. Il a fini par reconnaître les faits. Une dispute nocturne, dit-il. Puis la panique. Il aurait transporté le corps dans la voiture de Zaïa et mis le feu pour faire disparaître les traces. Les enquêteurs cherchent encore à savoir si l’idée était de faire croire à un suicide. L’homme avait déjà été condamné pour violences il y a quelques années. Un détail qui, avec le recul, prend tout son poids.
Béatrice, 56 ans, prof d’histoire-géo adorée de ses élèves
Jeudi, dans les Ardennes. Béatrice, enseignante dans un collège, mère de trois enfants. Retrouvée morte au sous-sol de sa maison. Son conjoint, agent municipal, sans antécédents judiciaires connus, a tout avoué après avoir provoqué un accident de voiture pour, selon lui, en finir.
« Une dispute à propos de l’une de leurs filles », aurait-il expliqué. Il l’aurait frappée avec une statuette, puis étouffée avec un oreiller, avant de lui porter plusieurs coups de couteau.
L’homme souffrait de troubles psychiatriquesques, suivis, mais ça n’a pas suffi. Quand on lit ça, on se demande toujours la même chose : qui savait ? Qui aurait pu voir venir ? Et surtout, pourquoi personne n’a pu empêcher ça ?
Mélina, 45 ans, mère de deux ados
Le même jeudi, en Gironde. Mélina (ou Mélanie, comme elle préférait) voulait partir. Son compagnon, 60 ans, n’a pas supporté. Un aspirateur qui fait trop de bruit, une remarque de trop, et tout bascule. Il prend son fusil de chasse « juste pour menacer », dit-il. Elle aurait couru avec un couteau. Corps-à-corps. Deux plaies au cou. Traces de strangulation. Nez cassé.
Il a appelé les gendarmes lui-même pour dire qu’il venait de tuer sa femme. Parfois, je me dis que la séparation est le moment le plus dangereux pour une femme qui veut s’en aller. Les chiffres le confirment cruellement.
Élodie, 50 ans, dans l’enfer de l’alcool à deux
Toujours jeudi – oui, quatre féminicides le même jour. Bouches-du-Rhône et Gard. Élodie, 50 ans, retrouvée morte dans l’appartement de son compagnon, le visage tuméfié. Lui, journaliste de 61 ans, affirme qu’elle aurait « fait une chute ». L’autopsie parle d’autre chose.
Ils buvaient beaucoup tous les deux, reconnaît-il. Il y a quelques mois, elle avait obtenu une ordonnance de protection avec interdiction d’approche pendant trois mois après des violences. L’interdiction avait expiré. On connaît la suite.
Laure, 32 ans, abattue devant chez elle
Et puis Laure, à Besançon. 32 ans. Supporter passionnée du club local. Elle sortait de chez elle pour aller travailler. Son ex-compagnon l’attendait avec une carabine. Plusieurs tirs. Elle n’a pas eu le temps de crier.
Elle avait porté plainte deux fois ces derniers mois. Elle portait même un dispositif d’alerte « bouton rouge ». Elle l’avait sur elle ce matin-là. Mais quand les balles partent, même le plus rapide des boutons ne sert plus à rien.
Son ex avait un passé chargé : violences, harcèlement, hospitalisations psychiatriques. Il s’est rendu après s’être retranché chez lui, armé. Il a expliqué son geste par la séparation. Comme souvent.
Ce que ces cinq histoires ont en commun
Si je mets tout ça côte à côte, des points communs sautent aux yeux. Et ils font mal.
- Quatre cas sur cinq impliquent une séparation en cours ou récente.
- Dans au moins trois situations, il y avait des antécédents de violences ou des plaintes déposées.
- Deux hommes présentent des troubles psychiatriques connus.
- Une arme (fusil, carabine, couteau) a été utilisée dans trois affaires.
- Tous les auteurs présumés ont été placés en détention provisoire.
On pourrait presque cocher des cases. Et c’est ça qui est insupportable : cette répétition tragique, presque mécanique.
Pourquoi on n’arrive toujours pas à enrayer la machine
On a les bracelets anti-rapprochement, les téléphones grave danger, les ordonnances de protection, les plaintes en ligne, les formations des policiers, les spots de sensibilisation… Et pourtant. Pourtant, on est là, à compter cinq mortes en une semaine.
Je ne vais pas refaire le procès de l’ensemble du système, d’autres le font très bien. Mais force est de constater que quelque chose coince encore terriblement. Entre le moment où une femme dit « stop » et le moment où elle est vraiment protégée, il y a un gouffre. Et certaines n’ont pas le temps de le traverser.
Il y a aussi cette idée reçue tenace : « si c’était si grave, elle serait partie plus tôt ». Comme si quitter un conjoint violent était une formalité. Comme si on ne risquait pas tout quand on claque la porte.
Et maintenant ?
Cette semaine noire ne doit pas juste rester une semaine noire. Elle doit faire bouger les lignes. Encore. Plus fort.
Parce qu’on sait très bien ce qu’il faudrait faire :
- Former encore plus les policiers et les magistrats à la réalité des violences conjugales.
- Rendre les ordonnances de protection systématiquement assorties d’éloignement immédiat.
- Généraliser le bracelet anti-rapprochement et le téléphone grave danger dès la première plainte.
- Créer des places d’hébergement d’urgence en nombre suffisant – on en manque cruellement.
- Travailler sur les auteurs, dès les premières violences : suivi obligatoire, thérapie, retrait d’armes.
Et surtout, arrêter de se dire « ça n’arrive qu’aux autres ».
Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Tous les trois jours.
Zaïa, Béatrice, Mélina, Élodie, Laure. Cinq prénoms pour cette semaine. Cinq de trop. Et demain, il y en aura peut-être un sixième. À moins qu’on décide, collectivement, que ça suffit.
Si vous êtes concernée, si vous connaissez κάποια qui l’est, n’attendez pas. Le 3919 est là, anonyme, gratuit, 24 h/24. Un appel peut tout changer.
Parce que derrière chaque prénom, il y avait une vie. Et que ces vies-là méritaient mieux que ça.
