Vous vous souvenez de Rasta Rockett ? Ce film culte où quatre Jamaïcains découvrent la neige et le bobsleigh juste pour vivre leur rêve olympique. Et si je vous disais qu’en France, en 2025, un gars de la banlieue parisienne vit exactement la même épopée… mais en version francilienne ?
Non, il n’est pas né sous le soleil de Kingston. Il a grandi à Enghien-les-Bains, a tapé dans des disques sur les pistes d’athlétisme de Franconville et n’avait probablement jamais mis un pied sur de la vraie glace avant ses 25 ans. Pourtant, Jérémy Baillard, 35 ans, s’apprête à tout donner pour décrocher sa deuxième sélection olympique en bobsleigh. Direction Milan-Cortina 2026. Et franchement, cette histoire mérite qu’on s’y arrête un bon moment.
Un rêve de gosse devenu réalité… deux fois
Quand on parle de bobsleigh en France, on pense souvent à des athlètes issus des stations alpines, habitués à la neige dès l’enfance. Et puis il y a Jérémy. Un pur produit du Val-d’Oise, là où la montagne la plus haute, c’est le toit du centre commercial Art de Vivre à Ermont.
Petit retour en arrière. Années 2000. Le gamin excelle au lancer de disque. Champion de France jeunes à plusieurs reprises, record de France cadets en poche… la voie royale, quoi. Jusqu’à cette saleté de mononucléose qui lui coupe les jambes – littéralement – et met un terme brutal à ses rêves d’athlétisme de haut niveau.
Mais Jérémy n’est pas du genre à rester sur le banc de touche. Direction le rugby. Espoirs au Stade Français, puis au Racing, ensuite quelques saisons solides en Fédérale 2. Le physique est toujours là, la puissance aussi. Reste à trouver un sport où la faire parler à 60 km/h sur une piste verglacée.
Le déclic : « Et pourquoi pas le bobsleigh ? »
Un jour, un recruteur de la Fédération française des sports de glace passe dans les clubs de rugby et d’athlétisme à la recherche de profils explosifs. Jérémy tente le coup. Premier test sur la piste de poussée à La Plagne. Résultat ? Il fracasse les chronos. Le genre de performance qui fait lever les sourcils des coachs.
Quelques mois plus tard, il est déjà dans un bob à quatre. Et en 2014, à même pas 28 ans, le voilà à Sotchi. Première participation olympique. Pour un mec qui n’avait jamais vu un vrai flocon avant ses 25 ans, avouez que c’est énorme.
« Quand tu descends à plus de 130 km/h dans un tube de glace, tu n’as plus le temps de penser que tu viens de Franconville. Tu pilotes, c’est tout. »
Dix ans après Sotchi : plus fort, plus mature
Aujourd’hui, Jérémy n’est plus le jeune pousse qui découvrait le grand frisson. Il est devenu pilote titulaire, celui qui tient le volant – ou plutôt les cordes – dans le bob à deux et à quatre. L’expérience de Sotchi, les saisons en Coupe du monde, les blessures aussi, tout ça l’a forgé.
Et il le dit lui-même : à 35 ans, il est probablement au sommet de sa maturité physique et mentale. Le genre d’âge où les sprinteurs déclinent, mais où les pilotes de bobsleigh atteignent leur prime. Parce que dans ce sport, la puissance brute ne suffit plus. Il faut la tête froide, l’analyse millimétrée de chaque courbe, la gestion parfaite de l’équipe.
Et ça tombe bien : Jérémy a toujours eu cette capacité à lire les trajectoires. Ancien lanceur de disque, il connaît la rotation, la force centrifuge, les angles. Tout ce qui fait qu’un bob reste sur la piste… ou finit dans le filet.
Le bobsleigh français : petit poucet mais costaud
Il faut le dire clairement : la France n’est pas une nation historique du bobsleigh. On est loin des Allemands, des Canadiens ou des Suisses qui alignent des dizaines de pilotes dès le plus jeune âge. Ici, on bricole souvent avec les moyens du bord.
Mais ces dernières années, ça bouge. La piste artificielle de La Plagne permet enfin de s’entraîner sans aller supplier les voisins allemands ou autrichiens. Et des athlètes comme Jérémy montrent qu’on peut venir de nulle part et performer au plus haut niveau.
- Des anciens footballeurs américains reconvertis ? On a nos lanceurs de disque du 95.
- Des sprinteurs jamaïcains ? On a nos rugbymen du 78.
- Un budget dix fois inférieur aux gros ? On compense avec du cœur et de l’intelligence.
Et ça marche. Depuis quelques saisons, les bobs français grattent des places, parfois même des podiums en Coupe d’Europe. L’objectif Milan-Cortina ? Entrer dans le top 10 mondial. Pas pour la gloire, mais parce que ça validerait tout un modèle : oui, on peut faire du haut niveau en bobsleigh sans être né à 2000 mètres d’altitude.
La préparation : entre Franconville et les Alpes
Alors concrètement, comment s’entraîne un pilote de bobsleigh quand il habite à vingt minutes de Roissy ? Réponse : partout où il peut.
L’été, c’est piste de poussée à La Plagne ou à l’étranger. Musculation intensive, sprint, pliométrie. L’hiver, stages à l’infini : Allemagne, Autriche, Lettonie, Canada parfois. Entre deux, Jérémy rentre à Franconville, retrouve la famille, le boulot à côté – parce que oui, même les olympiens français ont besoin de payer les factures.
Et puis il y a les sacrifices qu’on ne voit pas. Les Noël loin des proches, les blessures (genou, dos, côtes), les saisons où le bob finit trop souvent dans les filets de sécurité. Mais à chaque fois, il se relève. Parce que quand tu as goûté aux JO une fois, tu sais que ça vaut tous les bleus du monde.
2026 : l’année ou jamais ?
À un an des Jeux de Milan-Cortina, la concurrence est rude. Les jeunes poussent, les nations historiques investissent encore plus. Mais Jérémy a un avantage : l’expérience. Et surtout une envie intacte.
Il le répète souvent : « À Sotchi, j’étais un gamin qui découvrait. Là, je veux aller chercher quelque chose. Pas juste participer. » Traduction : un top 8, voire mieux. Dans un sport où la moindre erreur coûte dix places, c’est un objectif ambitieux. Mais réaliste.
Et puis il y a ce symbole. Un gars du 95, avec ses dreads, son accent banlieusard et son mental d’acier, qui représente la France sur la plus belle piste du monde, à Cortina. Franchement, si ça ce n’est pas l’esprit olympique…
Ce qu’on peut tous en retenir
Au-delà du sport, l’histoire de Jérémy Baillard dit quelque chose de puissant. Peu importe d’où tu viens, peu importe si ton sport n’existe quasiment pas dans ton pays, peu importe si tout le monde te prend pour un fou. Quand tu as un rêve chevillé au corps, tu trouves toujours un chemin.
Et quelque part, dans une France parfois blasée, ça fait du bien de voir des gars comme lui. Des mecs qui n’ont pas attendu que tout soit parfait pour se lancer. Qui ont juste pris leur courage, leur puissance, et qui ont foncé. Tout droit dans la glace.
Alors oui, en février 2026, quand les anneaux olympiques brilleront à Cortina, cherchez bien le bob français. Il y aura peut-être un pilote qui vient de Franconville au volant. Et s’il monte sur la boîte, on pourra tous se dire qu’on a un peu participé à ce rêve de gosse devenu réalité.
Parce que finalement, le vrai Rasta Rockett… il est peut-être bien français.
