Il y a des histoires qui vous prennent aux tripes dès la première ligne. Celle d’Enéa en fait partie. Une gamine de 18 ans qui s’éteint en novembre 2019 dans un hôpital landais après avoir ingéré une quantité hallucinante de médicaments. Derrière le drame, une ombre : celle de sa propre mère. Aujourd’hui, six ans plus tard, cette femme de 53 ans s’assoit sur le banc des accusés. On lui reproche non seulement d’avoir tué son aînée, mais d’avoir aussi empoisonné sa cadette et, cerise sur le gâteau macabre, d’avoir tenté de faire assassiner son ex-compagnon depuis sa cellule. Franchement, on se demande parfois où s’arrête la réalité et où commence le scénario d’un thriller psychologique.
Une adolescence brisée dans une maison rose
Remontons un peu le temps. Enéa n’avait pas une vie ordinaire. Déscolarisée depuis longtemps, elle passait le plus clair de son temps enfermée dans sa chambre. Les murs repeints en noir, des phrases morbides taguées un peu partout, un univers sombre qui faisait écho à sa dépression. À l’extérieur, la maison était rose bonbon, presque joyeuse. Le contraste est violent. C’est dans ce décor étrange que la jeune fille aurait été progressivement intoxiquée.
Les analyses toxicologiques, après son décès, ont parlé d’elles-mêmes : entre 50 et 70 cachets de bêtabloquants – ces médicaments qui ralentissent le cœur – et une vingtaine d’autres molécules ingérées au fil des mois. Une dose qui aurait pu terrasser un adulte en bonne santé. Comment une adolescente a-t-elle pu avaler tout ça ? La question a rapidement pointé vers la personne qui gérait ses traitements au quotidien : sa mère.
Des alertes ignorées pendant des années
Ce n’est pas la première fois que la santé des filles inquiète. La cadette a elle aussi enchaîné les hospitalisations inexpliquées, les malaises à répétition, les diagnostics qui ne collaient jamais vraiment. Les médecins ont fini par se poser la bonne question, celle que personne n’ose formuler : et si c’était la mère qui rendait ses enfants malades ?
Ce phénomène porte un nom : le syndrome de Münchhausen par procuration. Une pathologie rare où un adulte, le plus souvent la mère, provoque ou simule des symptômes chez son enfant pour attirer l’attention, jouer le rôle de parent irréprochable ou tout simplement exercer un contrôle absolu. J’ai lu des dossiers similaires à l’étranger, et à chaque fois le même schéma : des années d’errance médicale avant que la lumière soit faite.
« On voit des mamans qui deviennent les meilleures amies des infirmières, qui connaissent le nom de chaque médecin, qui dorment à l’hôpital… et en réalité, elles sont en train d’empoisonner leur enfant. »
D’après un psychiatre spécialisé dans ces affaires
Dans le cas présent, la mère se présentait comme ultra-impliquée. Elle parlait des traitements, des dosages, des effets secondaires avec une précision qui impressionnait le personnel soignant. Trop, peut-être.
L’engrenage judiciaire
Lorsque Enéa meurt, les soupçons deviennent trop lourds. L’enquête s’oriente rapidement vers un empoisonnement volontaire. La mère est placée en garde à vue, puis mise en examen. Et là, l’histoire prend une tournure encore plus sombre.
En détention provisoire, elle aurait tenté de mettre en place un projet d’assassinat contre son ancien conjoint. Des écoutes téléphoniques, des courriers, des intermédiaires douteux… Les enquêteurs découvrent une femme prête à tout pour éliminer ceux qui, selon elle, lui veulent du mal. On passe du drame familial à un scénario digne d’un polar noir.
- Novembre 2019 : décès d’Enéa à l’hôpital de Dax
- 2020 : mise en examen pour administration de substances toxiques ayant entraîné la mort
- 2021 : révélation du projet d’assassinat depuis la prison
- 2025 : ouverture du procès devant les assises des Landes
Un profil psychologique hors norme
Au cœur du procès, il y aura bien sûr les faits. Mais surtout elle. Cette femme de 53 ans qui oscille, selon les expertises, entre mythomanie, troubles de la personnalité et possible pathologie plus profonde. Les psychiatres se divisent. Certains parlent de manipulation froide, d’autres d’une mère submergée par ses propres démons.
Ce qui frappe, c’est la durée. Des années d’intoxication lente, progressive, presque invisible. Pas de violence physique spectaculaire, mais une emprise totale sur la santé de ses enfants. Une forme de maltraitance insidieuse, d’autant plus terrifiante qu’elle se cache derrière l’image de la mère protectrice.
Je me souviens d’une phrase d’une psychologue criminologue que j’avais interviewée il y a quelques années sur un dossier proche : « Le pire, c’est que ces femmes aiment vraiment leurs enfants. C’est justement cet amour déviant qui les pousse à les détruire pour les garder près d’elles, malades, dépendants. » Ça donne le vertige.
Ce que le procès va devoir trancher
À partir d’aujourd’hui, pendant plusieurs jours, la cour d’assises va plonger dans cet abîme. Les questions sont nombreuses :
- L’accusée avait-elle conscience de mettre en danger la vie de ses filles ?
- Souffre-t-elle d’une pathologie qui altère son discernement ?
- Le projet d’assassinat contre l’ex-conjoint était-il sérieux ou pure fantaisie mythomane ?
- Et surtout : comment a-t-on pu laisser une adolescente s’enfoncer ainsi sans que l’entourage médical ne réagisse plus tôt ?
Il y aura des expertises toxicologiques pointues, des témoignages de médecins qui se souviendront peut-être trop tard des signaux qu’ils avaient sous les yeux, des proches qui décriront une mère apparemment dévouée… et une famille détruite à jamais.
Un miroir dérangeant pour la société
Ces affaires, même si elles restent exceptionnelles, posent une question qu’on préfère souvent esquiver : jusqu’où peut aller la pathologie d’un parent ? Et surtout, comment la détecter avant qu’il ne soit trop tard ?
Dans les couloirs des hôpitaux pédiatriques, on parle parfois à voix basse de ces mères qu’on appelle les « habituées ». Celles qui connaissent tout le monde, qui restent des nuits entières au chevet, qui semblent tenir à bout de bras leur enfant fragile. Parfois, ce sont des héroïnes. Parfois… ce sont elles le poison.
Le procès qui s’ouvre va durer plusieurs jours. Les débats seront rudes. Mais au-delà du verdict, il restera cette image : une maison rose dans une petite ville tranquille, une chambre noire à l’étage, et une adolescente qui n’aura jamais eu la chance de devenir adulte.
Certains diront que c’est l’histoire d’un monstre. D’autres parleront d’une femme malade. La vérité, comme souvent, se situe probablement quelque part entre les deux. Et c’est précisément ce que la justice va tenter de démêler, au milieu des larmes, des expertises et des silences lourds.
Une chose est sûre : on n’en sortira pas indemne.
(Article mis à jour au fur et à mesure du déroulé du procès)
