Il y a des affaires qui vous restent collées à la peau longtemps après avoir fermé le dossier. Celle-ci en fait partie. Un gamin de 21 ans – appelons-le simplement « le prévenu » pour ne pas rajouter de poids à son identité – qui se retrouve face à des juges avec, sur la table, 778 photos et vidéos qu’aucun être humain ne devrait jamais voir. Des images d’enfants violés, parfois des bébés. Et lui, là, tête baissée, qui bredouille que c’était « juste pour l’interdit ».
Je vous préviens tout de suite : ce qui suit est difficile à lire. Mais c’est nécessaire. Parce que derrière les chiffres froids des procès-verbaux, il y a des enfants réels qui ont souffert, et un système qui tente, tant bien que mal, de répondre à des dérives qu’on préférerait croire rares.
Une descente progressive vers l’inacceptable
Tout a commencé, comme souvent, par ce qu’on appelle la « pornographie classique ». Rien de bien original : des vidéos entre adultes consentants. Puis la machine s’est emballée. Besoin de plus fort, de plus trash, de plus jeune. D’abord des actrices de petite taille, puis des adolescentes, puis… plus bas encore. Jusqu’à rejoindre des groupes sur des messageries cryptées où les fichiers circulent comme des cartes Pokémon macabres.
À l’audience, il a murmuré ça d’une voix presque inaudible : « Au début c’était que des ados… et puis j’ai descendu en âge. » Descendu en âge. Comme on descend une pente savonneuse en se disant à chaque mètre « allez, juste encore un peu ». Sauf qu’à la fin, on est dans l’abîme.
« Ce sont des viols d’enfants filmés. Ils souffrent, ils ne sont absolument pas consentants. Vous alimentez ce commerce. »
La présidente du tribunal, reprenant une phrase que tous les magistrats répètent inlassablement
Et là, le jeune homme a répondu quelque chose qui m’a glacé : « Ce ne sont pas les enfants qui m’intéressaient, c’était l’interdit. » L’interdit. Comme si le viol d’un enfant de deux ans pouvait se réduire à un simple frisson transgressif. Comme si la souffrance filmée n’était qu’un détail technique.
Des adolescentes ciblées sur les réseaux
Mais l’histoire ne s’arrête pas au téléchargement passif. Le prévenu créait de faux profils de collégiens pour approcher des filles de 14 ans. Il leur demandait des photos dénudées, leur envoyait des clichés de son sexe en érection. Quand la juge lui a fait remarquer que ces adolescentes n’étaient pas forcément prêtes à recevoir ça, il a répondu, sincèrement perdu : « Je les forçais pas, je demandais seulement… »
Le consentement d’une gamine de 14 ans face à un adulte qui se fait passer pour un garçon de son âge, vous trouvez ça éclairé, vous ? La magistrate a posé la question. Il n’a pas su répondre. Juste « je sais pas ».
Le passage à l’acte sur une enfant de 6 ans
Et puis il y a eu cet épisode qui donne la nausée. Un après-midi banal, il garde la fille de la compagne de son oncle. Six ans. Ils sont allongés sur le canapé. Et lui, qui n’a « jamais rien fait avec personne », se masturbe avec les pieds de l’enfant. Il l’a avoué de lui-même aux enquêteurs – la petite, elle, n’en a gardé aucun souvenir conscient.
Son explication ? « J’ai saisi l’opportunité. » L’opportunité. Comme on saisit une promo sur un site de e-commerce. Sauf qu’il s’agissait d’un enfant.
Un profil qui interroge
À 21 ans, il vit encore chez ses parents, n’a jamais eu de vraie petite amie, souffre d’une timidité maladive. Il parle de masturbation compulsive, plusieurs fois par jour. Et, dans un coin de l’histoire qu’il n’a évoqué qu’à demi-mot, il y a cette agression sexuelle qu’il a lui-même subie en sixième, dans la cour de récréation, devant d’autres élèves. Un traumatisme jamais vraiment pris en charge.
Est-ce que ça excuse quoi que ce soit ? Évidemment non. Mais ça complexifie terriblement le tableau. On a affaire à quelqu’un qui a été victime, qui est devenu consommateur de violences filmées, puis auteur lui-même. Le cycle classique, hélas.
La réponse pénale : entre punition et soins
- Trois ans de prison, dont deux avec sursis
- Un an ferme sous bracelet électronique
- Suivi socio-judiciaire de trois ans avec obligation de soins
- Inscription au fichier des délinquants sexuels
- Interdiction de contact avec des mineurs
Le parquet avait requis plus lourd : dix-huit mois ferme avec incarcération immédiate. La défense a plaidé la prise en charge plutôt que la cage. Les juges ont tranché pour une peine mixte – ni tout répression, ni tout laxisme. Le bracelet électronique à domicile, c’est déjà une forme de prison, mais qui laisse une chance de travailler et de suivre une thérapie.
« Ma seule conviction, c’est que ce travail de réflexion ne se fera pas en prison, même si la tentation est grande de l’y envoyer. »
L’avocate du prévenu
Des chiffres qui donnent le vertige
Plus de 600 nourrissons accueillis en unité médico-judiciaire en 2024 pour des faits de violences sexuelles. Laissez répéter ce chiffre. Six cents bébés. Ce n’est pas une affaire isolée, c’est une hémorragie silencieuse.
Et derrière chaque fichier détenu par des types comme ce jeune de 21 ans, il y a un enfant qui a été violé, parfois torturé, pour satisfaire une demande. Oui, détention = complicité active de viols sur mineurs. Point.
Et maintenant ?
Il porte désormais un bracelet à la cheville. Il a un travail, un peu de vie sociale, il a commencé une thérapie. Il dit qu’il est « soulagé » que tout ait été découvert. On veut y croire. On veut croire que certains peuvent être sauvés avant qu’ils ne fassent pire. Mais on sait aussi que la récidive, dans ce genre d’affaires, est un risque réel.
Ce qui me hante, au fond, c’est la facilité avec laquelle on passe de l’autre côté de l’écran. De simple spectateur à acteur. De « je regarde seulement » à « j’ai saisi l’opportunité ». Et la question qui reste en suspens : combien sont-ils encore, là dehors, à descendre la pente sans que personne ne les arrête avant le point de non-retour ?
Cette affaire n’est pas exceptionnelle. Elle est juste celle qui a été jugée ce jour-là, dans ce tribunal-là. Les autres continuent, dans l’ombre des messageries cryptées et des disques durs bien cachés.
Et nous, on continue de se dire que ça n’arrive qu’aux autres.
