Vous est-il déjà arrivé de faire vos courses au marché et de vous demander, juste une seconde, si tout ce qui brille est vraiment frais ? Dimanche dernier, à Argenteuil, cette question a pris une tournelle bien concrète pour des centaines d’habitués du marché Héloïse.
Je marchais moi-même dans ces allées il y a quelques mois, attiré par l’odeur des crêpes chaudes et le ballet coloré des étals. C’est un de ces endroits où l’on sent encore la vie de quartier palpiter. Et pourtant, ce 23 novembre, le décor a brutalement changé.
Un contrôle qui ne passe pas inaperçu
Il est à peine neuf heures du matin quand les agents arrivent. Pas de sirènes, pas d’effets spectaculaires, mais une présence qui ne laisse personne indifférent : la Direction départementale de la protection des populations, accompagnée de la police nationale et même du préfet en personne. Objectif affiché : vérifier que tout est en règle, de la température des frigos à l’origine des marchandises.
Le résultat tombe comme un couperet. Deux stands – un spécialisé dans les galettes, l’autre dans les plats préparés – reçoivent une fermeture administrative immédiate. Raison principale ? Des denrées conservées à des températures hors normes. 250 kilos partiront directement à la destruction. Autant dire que ça fait beaucoup de sacs poubelles.
250 kilos, c’est quoi concrètement ?
Pour vous donner une idée : c’est l’équivalent d’environ 500 barquettes de poulet yassa, ou 1 000 parts de tajine, ou encore de quoi nourrir plusieurs centaines de familles pour un repas. Voir autant de nourriture partir à la benne, même quand on sait qu’elle présentait un risque, ça laisse toujours un goût amer.
- Viandes crues mal réfrigérées
- Plats cuisinés restés trop longtemps à température ambiante
- Produits laitiers hors chaîne du froid
- Poissons et fruits de mer douteux
Et ce n’est que la partie alimentaire. Côté produits non alimentaires, les agents ont mis la main sur 150 articles carrément interdits à la vente : insecticides dangereux, crèmes miracles sans étiquetage, flacons promettant des effets thérapeutiques sans aucune autorisation. 300 autres produits ont été retirés pour des étiquettes mensongères ou absentes.
Des sanctions en cascade
Les procès-verbaux pleuvent : absence d’affichage des prix, dénominations trompeuses, manquements graves à l’hygiène. Six avertissements, deux mises en demeure, et surtout ces deux fermetures immédiates qui font mal au porte-monnaie et à la réputation.
Quand on voit le préfet en personne sur place, on comprend que l’État veut marquer le coup. Ce n’est plus une simple opération de routine.
Et pour cause : ce n’est pas la première fois. Il y a tout juste un an, une opération similaire avait déjà fait parler d’elle avec plus d’une tonne de denrées détruites. Le message est clair : les contrôles vont se multiplier.
Pourquoi tant de sévérité ?
On pourrait se dire que c’est exagéré. Un demi-degré en trop dans un frigo et hop, fermeture ? Pourtant, derrière ces chiffres froids, il y a une réalité sanitaire bien tangible.
Je me souviens d’une intoxication collective il y a quelques années dans une autre ville de banlieue : des dizaines d’enfants à l’hôpital après avoir mangé des brochettes mal conservées. Les bactéries comme la listeria ou la salmonelle ne pardonnent pas. Et en période hivernale, avec le froid qui masque parfois les odeurs, le risque est encore plus sournois.
Les autorités le savent. Elles savent aussi que certains commerçants, sous la pression de la concurrence et des charges, prennent parfois des libertés avec les règles. Un frigo en panne qu’on “bricole”, une livraison qui reste trop longtemps dans le coffre de la camionnette… ça part souvent d’un petit rien. Mais le petit rien peut devenir un gros problème.
Le marché Héloïse, un symbole particulier
Il faut dire que le marché Héloïse n’est pas n’importe quel marché. C’est l’un des plus grands du Val-d’Oise, un lieu de vie où se croisent toutes les communautés d’Argenteuil. On y trouve des saveurs du monde entier : mafé sénégalais, msemen marocain, accras antillais, nems vietnamiens… C’est une richesse incroyable.
Mais cette diversité a aussi son revers : des circuits d’approvisionnement parfois opaques, des produits importés qui échappent aux contrôles habituels, des commerçants non déclarés ou en situation irrégulière. Tout cela crée un terrain favorable aux dérives.
L’aspect le plus frappant, c’est que beaucoup de clients sont fidèles depuis des années. Ils connaissent “Chez Aïcha” ou “O’Galette” par leur prénom. Quand on leur parle de fermeture, ils haussent souvent les épaules : “Moi ça fait dix ans que j’y mange, jamais été malade”. Sauf que le risque zéro n’existe pas.
Et les commerçants dans tout ça ?
Forcément, la pilule est dure à avaler. Perdre une journée de chiffre d’affaires un dimanche – le jour où on fait 70 % du chiffre de la semaine –, c’est catastrophique. Certains parlent de contrôles “discriminatoires”, d’autres de “harcèlement”. Il y a sans doute une part de vérité dans le sentiment d’être particulièrement visés.
Mais il y a aussi ceux qui jouent le jeu. J’ai discuté un jour avec un boucher qui avait investi dans des chambres froides dernier cri juste pour être tranquille. “Au début c’est cher, mais après tu dors sur tes deux oreilles”, m’avait-il dit. Preuve que quand on veut, on peut.
Que retenir de tout cela ?
Cette opération au marché Héloïse n’est pas qu’une anecdote locale. Elle dit quelque chose de plus large sur notre rapport à la nourriture, à la confiance, à la régulation dans des quartiers populaires où l’économie informelle reste forte.
D’un côté, on a besoin de protéger le consommateur, surtout les plus modestes qui n’ont pas toujours le choix de leurs lieux d’achat. De l’autre, on ne peut pas tuer l’âme de ces marchés en les transformant en supermarchés aseptisés.
La solution, elle est probablement dans l’accompagnement plus que dans la sanction systématique. Former plutôt que fermer, aider à investir dans du matériel conforme plutôt que détruire. Parce qu’au final, on veut tous la même chose : pouvoir continuer à manger un bon plat chaud le dimanche matin, sans se poser mille questions.
En attendant, si vous passez par Argenteuil ce week-end, le marché Héloïse sera toujours là. Peut-être un peu plus propre, un peu plus surveillé. Et c’est tant mieux. Mais l’histoire n’est pas finie : d’autres contrôles sont déjà annoncés. Affaire à suivre, donc.
