Imaginez-vous couper complètement les ponts avec la société moderne pour élever vos enfants au cœur d’une forêt, loin du bruit, des écrans et des obligations. C’est le rêve que beaucoup caressent en secret. Et puis un jour, l’État frappe à votre porte – ou plutôt à votre cabane – et vous enlève vos enfants. C’est exactement ce qui vient d’arriver à une famille expatriée dans les Abruzzes. Et l’affaire fait trembler l’Italie entière, jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir.
Quand le rêve off-grid tourne au cauchemar judiciaire
Depuis 2021, un couple – lui britannique, elle australienne – et leurs trois enfants vivaient dans une clairière reculée du centre de l’Italie. Pas d’adresse postale précise, pas de factures d’électricité, pas d’inscription à l’école. Une vie rythmée par les saisons, les animaux et les cueillettes. Beaucoup y verraient une forme d’accomplissement absolu. La justice italienne, elle, y a vu un danger imminent.
Tout bascule en septembre 2024 avec une intoxication alimentaire aux champignons. Direction l’hôpital. Les médecins alertent les services sociaux. Et là, c’est le début de la fin pour cette famille hors normes.
Les arguments accablants du tribunal
Le jugement est sans appel. Les magistrats listent une série de manquements qui, selon eux, mettent gravement en péril le développement des enfants :
- Aucune scolarisation, même à domicile
- Zéro contact social régulier avec d’autres enfants ou adultes
- Absence totale de revenus déclarés
- Logement sans toilettes intérieures ni eau courante
- Refus de suivi médical régulier après l’intoxication
Pour les juges, ces conditions violent le « droit fondamental à la vie sociale » des mineurs. Conséquence : placement immédiat dans une structure spécialisée. La mère a pu accompagner les enfants pour amortir le choc, mais le père est resté seul avec les animaux, complètement dévasté.
« Séparer un enfant de ses parents, c’est la pire douleur qui existe. C’est une injustice pure et simple. »
– Le père de famille, quelques heures après le départ des forces de l’ordre
Une vie qui semblait pourtant idyllique
De l’extérieur – ou plutôt depuis leur compte-rendu sur les réseaux – tout semblait parfait. Les photos montraient des enfants radieux qui nourrissaient les ânes, cueillaient des légumes, apprenaient à faire du feu. Ils se chauffaient au bois, s’éclairaient grâce à des panneaux solaires, buvaient l’eau d’un puits. Des toilettes sèches en extérieur, oui, mais entretenues avec soin. Bref, le tableau classique de la vie off-grid dont rêvent des milliers de familles à travers le monde.
Leur avocat le martèle : les enfants étaient propres, bien nourris, polis, heureux. Alors pourquoi briser une famille qui fonctionne ?
La polémique dépasse largement les Abruzzes
Ce qui aurait pu rester une affaire locale a explosé à la une nationale. Une pétition en ligne a déjà franchi la barre des dizaines de milliers de signatures. Et surtout, des voix très puissantes se sont élevées.
La Première ministre herself a qualifié la décision d’« alarmante ». Son vice-Premier ministre a parlé d’une mesure « honteuse » et d’une ingérence intolérable dans les choix éducatifs parentaux. Même le maire de la commune voisine propose des solutions pragmatiques : rétablir l’eau courante, organiser des évaluations scolaires hebdomadaires… plutôt que de tout casser.
On sent bien que l’affaire touche à des débats de fond qui dépassent largement cette seule famille.
Jusqu’où l’État peut-il aller dans la protection de l’enfance ?
Voilà la question qui agite tout le monde, et pas seulement en Italie. D’un côté, personne ne conteste sérieusement que l’État a le devoir de protéger les enfants contre la maltraitance ou la négligence grave. De l’autre, où trace-t-on la frontière entre protection légitime et intrusion tyrannique dans la vie privée ?
Parce qu’il faut être honnête : vivre sans toilettes intérieures, sans école classique et sans voisinage proche, ce n’est pas forcément synonyme de maltraitance. Des milliers de familles pratiquent l’instruction en famille ou vivent en yourte dans des pays pourtant très regardants sur les droits de l’enfant. Pourquoi, dans ce cas précis, la réponse a-t-elle été aussi radicale ?
Certains y voient une forme de mépris de classe ou de culture : on tolère difficilement que des étrangers viennent « jouer aux robinsons » sur le sol italien en rejetant les règles élémentaires de la République. D’autres soulignent que l’intoxication aux champignons a peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli aux yeux des autorités locales.
L’instruction obligatoire, ce point de rupture universel
En Europe, l’obligation scolaire est presque partout la ligne rouge. Même les pays les plus libéraux sur l’instruction en famille (Allemagne exceptée) exigent des contrôles réguliers. En Italie, la loi est claire : les enfants doivent être scolarisés ou suivre un parcours déclaré et contrôlé. Le couple semble avoir ignoré cette règle pendant trois ans.
Et là, on touche au nœud du problème. Pour beaucoup de parents alternatifs, l’école publique est perçue comme un lieu de formatage, de stress et parfois même de mal-être profond. Ils préfèrent apprendre à leurs enfants à lire dans la nature, à calculer en construisant une cabane, à comprendre l’histoire en vivant au rythme des saisons. Est-ce vraiment moins valable qu’un bulletin de notes ?
Visiblement, pour le tribunal de l’Aquila, la réponse est non.
Et maintenant ?
La famille a fait appel, évidemment. En parallèle, elle prépare déjà ses valises. Direction l’Australie pour la mère et les enfants si les choses tournent mal ; le père resterait seul avec les animaux. Une issue qui ressemble à une double peine.
On suivra cette affaire de très près, parce qu’elle cristallise des tensions qui traversent toute l’Europe : le droit des parents à élever leurs enfants selon leurs convictions profondes versus le devoir de l’État de garantir un socle minimum de socialisation et de connaissances. Entre les deux, la frontière est parfois terriblement floue.
Ce qui est sûr, c’est que cette histoire nous renvoie tous à nos propres choix. Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour offrir à vos enfants une vie différente ? Et surtout : pensez-vous que l’État devrait avoir le dernier mot ?
Je vous laisse avec ça. Parce que franchement, cette affaire me laisse un goût amer. On a l’impression que deux mondes qui ne se comprennent plus du tout viennent de s’entrechoquer violemment. Et ce sont toujours les enfants qui trinquent en premier.
(Article mis à jour le 24 novembre 2025 – l’appel est en cours, la situation peut évoluer rapidement)
