Vous arrivez parfois à un âge où traverser la rue devient l’aventure du jour. Un pas après l’autre, tranquillement, sans se presser. Et puis, en une fraction de seconde, tout bascule. C’est ce qui est arrivé à cet octogénaire, un matin d’été à Nogent-sur-Oise, dans l’Oise. Un camion municipal qui recule, un choc sourd, et plus rien. Juste le silence terrible qui suit l’irréparable.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu parler de cette affaire. On se dit toujours « ça n’arrive qu’aux autres ». Et pourtant, quand on creuse un peu, on se rend compte que ce genre de drame est plus fréquent qu’on ne le croit, surtout dans les petites villes où les camions de collecte ou d’entretien croisent chaque jour des habitants à pied.
Un accident qui aurait pu être évité ?
Ce 27 juillet 2024, il est un peu avant midi, rue Châteaubriant. Deux agents municipaux viennent de prendre quelques photos de la chaussée – rien de bien méchant, une mission de routine. Leur camion-benne, un Fiat Ducato banal, est garé le long du trottoir. Ils remontent à bord, le conducteur enclenche la marche arrière pour dégager. À ce moment-là, l’octogénaire passe juste derrière. Le véhicule le percute violemment. Malgré l’arrivée rapide des pompiers, l’homme décède sur place.
Ce qui frappe, c’est la banalité de la scène. Pas de vitesse excessive, pas d’alcool, pas de folie au volant. Juste une manœuvre de marche arrière sans visibilité parfaite et sans aide extérieure. Le genre de situation que beaucoup de chauffeurs de poids lourds connaissent par cœur… et redoutent.
Le procès : une peine clémente qui fait débat
Ce lundi 24 novembre 2025, le tribunal correctionnel de Senlis rend son verdict. Le conducteur, poursuivi pour homicide involontaire, écope de 10 mois de prison avec sursis. Pas d’inscription au casier judiciaire définitif, pas de retrait de permis, juste une peine symbolique.
Pour certains, c’est une sanction bien trop légère face à la perte d’une vie. Pour d’autres, c’est la reconnaissance qu’il s’agit d’un accident, pas d’une faute intentionnelle. Le chauffeur, lui, vit depuis seize mois avec le poids de cet instant. On imagine sans peine les nuits blanches.
« Il n’a pas vu la victime dans son angle mort. Il n’y avait ni radar de recul, ni collègue au sol pour guider la manœuvre. »
Extrait des débats rapportés au tribunal
Les angles morts, ce fléau silencieux
Parlons-en, des angles morts. Sur un camion-benne classique, ils sont énormes. Derrière, c’est presque pire qu’un mur. Sans dispositif spécifique, le conducteur joue à la loterie à chaque marche arrière. Et pourtant, pendant des années, beaucoup de collectivités faisaient sans.
Aujourd’hui, à Nogent-sur-Oise, plus aucun camion municipal ne sort sans radar de recul avec alarme sonore. Quand deux agents sont à bord, l’un descend systématiquement pour guider. Des mesures de bon sens, appliquées… après le drame. C’est toujours comme ça, non ? Il faut parfois le pire pour que le simple devienne obligatoire.
- Radar de recul + alarme sonore sur 100 % de la flotte
- Descente obligatoire d’un agent pour guider en marche arrière
- Formations renforcées sur les angles morts
- Campagnes internes de sensibilisation
Franchement, quand on voit ça, on se dit que ces équipements auraient dû exister depuis longtemps. Mais bon, mieux vaut tard que jamais.
Et la famille dans tout ça ?
Derrière les articles de presse, il y a des enfants qui n’ont plus leur père, des petits-enfants qui n’auront plus leur grand-père. On parle peu d’eux, et c’est bien dommage. Perdre un proche dans ces conditions, c’est la double peine : le choc brutal, puis l’impression que la vie de l’être aimé a été réduite à une « mauvaise manœuvre ».
La justice a tranché, mais elle ne ramènera personne. Les 10 mois avec sursis ne consoleront personne. Ils marquent juste la fin d’une procédure. Le vrai travail de deuil, lui, ne fait que commencer.
La sécurité des piétons âgés : un sujet qu’on oublie trop souvent
En France, les plus de 75 ans représentent une part énorme des victimes mortelles sur la route en tant que piétons. Réflexes moins vifs, audition parfois diminuée, démarche plus lente… tout joue contre eux. Et pourtant, combien de villes sont réellement pensées pour eux ?
À Nogent-sur-Oise comme ailleurs, on trouve des trottoirs étroits, des passages piétons mal placés, des camions qui manœuvrent là où les gens passent. On construit des pistes cyclables – tant mieux – mais on oublie parfois ceux qui marchent simplement pour aller chercher leur pain.
Ce que cet accident nous apprend (ou devrait nous apprendre)
Derrière ce fait divers tragique, il y a des leçons concrètes :
- Les équipements de sécurité (radars, caméras, alarmes) ne sont pas du luxe, même sur des véhicules municipaux.
- Une manœuvre à deux (un qui conduit, un qui guide) coûte peu et peut sauver une vie.
- La formation continue des chauffeurs de poids lourds doit inclure systématiquement les angles morts et les piétons vulnérables.
- Les collectivités ont un rôle exemplaire : si elles ne montrent pas l’exemple, qui le fera ?
On pourrait rajouter une cinquième : parler de ces accidents, même quand ils sont « banals », pour que l’émotion pousse à l’action. Parce que tant qu’on rangera ça dans la case « fatalité », rien ne changera vraiment.
Et demain ?
À Nogent-sur-Oise, les camions sont désormais plus sûrs. C’est déjà ça. Mais combien de communes attendent encore « leur » accident pour bouger ? Combien de conducteurs roulent encore avec des véhicules mal équipés ?
J’ai envie de croire que ce drame aura au moins servi à ça : rappeler que derrière chaque volant, chaque camion, chaque benne, il y a des vies qui croisent la route. Des grands-pères qui rentrent du marché, des grands-mères qui promènent le chien, des enfants qui courent après un ballon.
Alors oui, 10 mois avec sursis, c’est la décision de justice. Mais la vraie sanction, c’est de vivre avec. Et la vraie réponse, c’est de faire en sorte que plus jamais un simple « bip bip » de marche arrière ne devienne le dernier son qu’une personne entendra.
Reposez en paix, monsieur. Et merci de nous avoir rappelé, malgré vous, qu’on peut toujours faire mieux.
