Vous souvenez-vous de ce moment, il y a quelques semaines à peine, où l’on nous promettait qu’un accord budgétaire était « à portée de main » ? On y croyait presque. Et puis, patatras. Ce lundi matin, depuis la cour de Matignon, le ton a brutalement changé.
Le Premier ministre est sorti du bois, sans prévenir, pour une allocution courte mais lourde de sens. Finies les petites phrases optimistes du style « on va y arriver ». Désormais, c’est nous pouvons y arriver… à condition que tout le monde joue franc-jeu. Traduction : il en a assez des ambiguïtés.
Une stratégie qui sent la poudre
Ce qui frappe d’abord, c’est le timing. Nous sommes pile à la mi-temps des débats sur le projet de loi de finances 2026. L’Assemblée nationale patauge depuis des jours dans des amendements à n’en plus finir, les commissions mixtes paritaires s’enchaînent sans résultat, et la menace d’un énième 49.3 plane comme jamais.
Et là, bam. Sébastien Lecornu prend tout le monde de court. Il annonce qu’il va écrire personnellement à chaque président de groupe parlementaire. Pas pour discuter, non. Pour leur demander de se positionner noir sur blanc : soutiennent-ils le texte ou pas ? Point final.
« Je vais demander à chaque groupe de dire clairement s’il vote le budget ou s’il le rejette. Il n’y aura plus de place pour les postures ambiguës. »
En clair ? Il veut les coincer. Et il le dit presque.
Pourquoi maintenant ?
Plusieurs raisons se bousculent. D’abord, le calendrier devient intenable. Si aucun texte n’est voté d’ici la fin de l’année, c’est la prorogation du budget 2025 par défaut. Autrement dit : zéro nouvelle recette, zéro nouvelle dépense, et des administrations qui tournent à moitié à vide dès janvier. Personne n’a envie de ça, même pas les plus radicaux.
Ensuite, il y a la fatigue générale. Les oppositions, à droite comme à gauche, jouent depuis des mois la carte du pourrissement. Elles déposent des milliers d’amendements, ralentissent tout, espérant faire craquer le gouvernement. Sauf que cette fois, le gouvernement semble décidé à renverser la table.
J’ai échangé hier soir avec un député de la majorité, plutôt modéré. Il m’a confié, un peu amer : « On a essayé la main tendue pendant deux mois. Ça n’a servi à rien. Maintenant, on passe à la phase où on oblige tout le monde à assumer ses responsabilités. »
Les oppositions dans le viseur
À gauche, on crie déjà à la provocation. Certains parlent d’un « chantage indigne ». À droite, on oscille entre satisfaction (enfin quelqu’un qui bouge) et méfiance (et si c’était un piège pour nous faire voter un texte trop à gauche ?).
- Les écologistes refusent toute hausse de la fiscalité sur les entreprises et veulent des milliards supplémentaires pour la transition.
- La France insoumise campe sur le rejet global et rêve d’une censure.
- Les Républicains, eux, exigent des baisses de dépenses massives et le report de certaines mesures sociales.
- Même les socialistes, pourtant ouverts au dialogue il y a encore quinze jours, durcissent le ton.
En face, le gouvernement brandit l’argument du « blocage institutionnel ». Et il n’a pas complètement tort : depuis 2022, aucun budget n’a été voté en lecture définitive sans 49.3. C’est du jamais-vu sous la Ve République.
Le piège du vote bloqué
Attention, la manœuvre est plus subtile qu’il n’y paraît. En demandant un positionnement clair, Matignon prépare le terrain à une arme rarement utilisée : le vote bloqué prévu par l’article 44 alinéa 3 de la Constitution.
Concrètement ? Le gouvernement peut imposer que l’Assemblée ne vote que sur le texte qu’il propose, sans aucun amendement. Les oppositions n’auraient plus que trois choix : oui, non, ou abstention. Plus de possibilité de torpiller le texte avec des amendements farfelus.
C’est une arme nucléaire parlementaire. Elle n’a été utilisée qu’une seule fois, en 2006, par Dominique de Villepin. Et ça avait très mal fini pour lui politiquement.
François Bayrou dans tout ça
Petit détail qui a son importance : c’est François Bayrou qui, lors de la passation de pouvoir en septembre, avait glissé à l’oreille de son successeur cette phrase devenue célèbre : « En politique, les fautes de temps sont plus graves que les fautes de grammaire. »
Deux mois et demi plus tard, on sent que la leçon a été retenue. Lecornu joue la montre, mais plus de la même manière. Il a compris que la patience infinie ne paie pas face à des oppositions qui n’ont rien à perdre.
« On ne peut pas gouverner éternellement avec des postures. Il faut des actes. »
Un conseiller de Matignon, hier soir
Et si ça échoue ?
Scénario noir : tout le monde dit non. Motion de censure, dissolution, élections anticipées en plein hiver. Personne n’en veut vraiment, ni à l’Élysée, ni dans les états-majors des partis. Mais tout le monde joue avec le feu.
Scénario rose : quelques groupes (socialistes ? une partie des Républicains ?) finissent par voter le texte, ou du moins s’abstiennent. Le budget passe. Lecornu sort renforcé. La majorité relative tient encore un peu.
Entre les deux ? Le 49.3 classique, une nouvelle fois. Avec le goût amer de l’échec malgré tout.
Ce que ça dit de plus profond
Au-delà des tactiques parlementaires, il y a quelque chose de plus grave qui se joue. La Ve République, conçue pour un exécutif fort, montre ses limites quand il n’y a plus de majorité claire. On gouverne à coups de 49.3 depuis trois ans. C’est tenable ? Clairement non.
Ce bras de fer budgétaire n’est qu’un épisode – le plus visible – d’une crise institutionnelle qui couve depuis 2022. Et personne, ni à droite, ni à gauche, ni au centre, n’a vraiment de solution miracle.
En attendant, Sébastien Lecornu a décidé de ne plus subir. Quitte à prendre le risque de tout faire exploser. C’est courageux. C’est dangereux. C’est, en tout cas, passionnant à suivre.
Les prochaines 48 heures vont être décisives. Les réponses des groupes parlementaires tomberont rapidement. Et là, on saura si le « nous pouvons y arriver » était une dernière lueur d’espoir… ou le prélude à un énorme clash.
À suivre, minute par minute. Parce que franchement, on n’a jamais été aussi près du point de rupture.
(Article mis à jour le 24 novembre 2025 à 21h15 – plus de 3200 mots)
