Imaginez-vous en train de courir tranquillement dans la forêt, musique dans les oreilles, l’air frais qui vous fouette le visage… et soudain, une détonation. Une douleur fulgurante au genou. Vous tombez. Un chasseur, à quelques dizaines de mètres, vient de vous toucher par erreur.
C’est exactement ce qui est arrivé dimanche à un jeune homme d’une vingtaine d’années à Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse. Un scénario cauchemardesque que personne n’ose envisager quand il enfile ses baskets pour aller profiter de la nature.
Un accident qui aurait pu être bien plus grave
Les faits sont simples et brutaux. Le joggeur courait sur un chemin boisé lorsqu’un plomb l’a atteint au genou. Le tireur participait à une battue au sanglier organisée par une société de chasse locale. Une quinzaine de personnes étaient présentes, postées à différents endroits pour rabattre et tirer le gibier.
Ce qui frappe immédiatement, c’est que toutes les consignes de sécurité semblent avoir été respectées. Le plan de chasse validé, les zones sécurisées, les angles de tir théoriquement maîtrisés. Et pourtant, le drame a eu lieu.
Le procureur lui-même a souligné que le chasseur était « respectueux des règles ». Une phrase qui laisse songeur. Parce qu’en matière de sécurité, respecter les règles ne suffit pas toujours quand une vie est en jeu.
Comment un tel accident est-il encore possible en 2025 ?
La réponse est à la fois technique et humaine. Lors d’une battue, les sangliers sont poussés par des chiens et des rabatteurs vers les tireurs postés en ligne. Ces derniers doivent tirer uniquement dans un angle précis, appelé « trente degrés », pour éviter tout risque vers les côtés.
Mais plusieurs facteurs peuvent venir perturber cette mécanique bien rodée :
- Le gibier qui change brutalement de direction
- Un relief qui masque partiellement la visibilité
- Une fraction de seconde d’inattention
- Un promeneur qui surgit là où personne ne l’attendait
Dans le cas présent, le joggeur se trouvait vraisemblablement dans une zone où il n’aurait pas dû croiser de tirs. Mais la forêt n’est pas un stand de tir balisé. Elle reste un espace vivant, imprévisible.
« C’est la première fois qu’un incident de ce type arrive ici », a déclaré le président de la société de chasse organisatrice.
Une phrase qui en dit long sur la rareté… mais aussi sur le choc que représente cet événement pour une communauté qui pensait avoir tout sous contrôle.
La cohabitation, un défi permanent
Dans le Vaucluse, comme dans beaucoup de départements ruraux, la chasse et les activités de pleine nature coexistent depuis toujours. Les sentiers de randonnée croisent les zones de chasse. Les VTTistes, les traileurs, les cueilleurs de champignons partagent le même terrain que les chasseurs.
Et pourtant, les relations sont souvent apaisées. Le club de course local entretient même de « bonnes relations » avec les chasseurs. Preuve que le dialogue existe. Mais un accident suffit à tout remettre en question.
À la suite de cet événement, le club a annoncé qu’il allait rappeler à ses membres deux règles essentielles :
- Porter des vêtements de couleur vive (orange, jaune fluo)
- Changer de parcours dès qu’un panneau « Battue en cours » est visible
Des conseils de bon sens. Mais combien de joggeurs, pressés ou confiants, les appliquent vraiment ? J’ai moi-même croisé des coureurs en tenue sombre au cœur de zones de chasse, persuadés que « ça n’arrive jamais ».
Les chiffres qui font réfléchir
Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut regarder les statistiques nationales. Lors de la saison 2024-2025, on recensait 11 décès liés à des accidents de chasse. Tous concernaient des chasseurs eux-mêmes. Aucun promeneur.
Ce cas dans le Vaucluse est donc exceptionnel. Mais il rappelle que le risque zéro n’existe pas. Et que même quand tout est fait dans les règles, l’erreur humaine reste possible.
Dans le département, plus de 60 % des 9 000 chasseurs ont suivi une formation spécifique. 700 chefs de battue sont également formés. Des chiffres encourageants. Mais qui ne suffisent pas à rassurer totalement quand on court seul dans les bois.
Et maintenant ?
Cet accident tombe à un moment particulier. Une grande campagne nationale sur la sécurité à la chasse vient d’être lancée. L’occasion peut-être de renforcer encore les messages, des deux côtés.
Du côté des chasseurs :
- Davantage de balisage visible et précoce
- Communication en temps réel des zones de battue (via applications ou réseaux locaux)
- Renforcement des angles de tir et des contrôles avant chaque poste
Du côté des usagers de la nature :
- Équiper systématiquement les groupes (clubs, associations) de gilets fluo
- Développer des cartes interactives des zones de chasse temporaires
- Sensibiliser dès l’école à la lecture des panneaux de battue
Certains y verront une nouvelle attaque contre la chasse. D’autres une preuve qu’il faut tout interdire. La réalité, comme souvent, est entre les deux. La chasse fait partie du patrimoine rural français. Mais elle doit s’adapter à une société où de plus en plus de gens veulent profiter de la nature, toute l’année.
Ce joggeur, lui, s’en sortira avec une blessure au genou et sans doute une belle frayeur. Il a eu de la chance dans son malheur. Mais cet incident doit servir de électrochoc.
Parce que la prochaine fois, la balle pourrait toucher plus haut.
Et là, il sera trop tard pour dire « on aurait dû ».
En attendant, si vous courez dans le Vaucluse ou ailleurs, pensez à votre gilet orange. Ça ne coûte pas grand-chose. Et ça peut vous sauver la vie.
