Imaginez-vous réveillé en sursaut par le sifflement d’un missile qui tombe sur la maison d’à côté. Et puis plus rien. Juste le silence assourdissant qui suit l’explosion, et la découverte, à la lueur des flammes, que neuf enfants viennent de perdre la vie pendant leur sommeil. C’est exactement ce qui s’est passé dans la nuit du 24 au 25 novembre 2025 dans la province de Khost, à l’est de l’Afghanistan.
Ce n’est pas un film. C’est la réalité brutale d’une frontière qui brûle depuis des années entre le Pakistan et l’Afghanistan gouverné par les talibans. Et cette fois, le bilan est particulièrement insoutenable.
Une nuit d’horreur dans l’est afghan
Vers minuit, plusieurs explosions ont secoué la province de Khost, mais aussi celles de Kunar et de Paktika. Selon les autorités talibanes, l’aviation pakistanaise a délibérément visé des habitations civiles. Résultat : dix morts, dont neuf enfants – cinq garçons et quatre filles – et une femme. Quatre autres personnes ont été blessées dans d’autres frappes.
Le porte-parole du gouvernement de Kaboul n’a pas mâché ses mots : il a parlé d’un « acte barbare » et promis que ces crimes « ne resteront pas sans réponse ». Difficile de ne pas être révolté quand on lit le détail des âges : les victimes avaient entre 4 et 14 ans.
« Des enfants dormaient tranquillement dans leur maison quand l’ennemi les a bombardés sans pitié. »
– Porte-parole taliban, 25 novembre 2025
Pourquoi le Pakistan a-t-il frappé maintenant ?
Le timing n’est évidemment pas un hasard. Moins de vingt-quatre heures plus tôt, un kamikaze s’était fait exploser au cœur d’un quartier général des forces de sécurité pakistanaises, dans la province voisine de Khyber Pakhtunkhwa. L’attaque n’a pas encore été revendiquée officiellement, mais tous les regards se tournent vers le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le mouvement taliban pakistanais.
Islamabad accuse depuis des mois Kaboul d’héberger, voire de protéger, les combattants du TTP qui mènent une guérilla sanglante contre l’armée pakistanaise. Et la patience semble avoir atteint ses limites.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. Le 11 novembre déjà, un attentat devant un tribunal de la capitale pakistanaise avait fait douze morts. Le TTP avait alors revendiqué l’opération en expliquant qu’elle avait été « planifiée depuis l’Afghanistan ». Depuis, les relations diplomatiques sont au point mort.
Une frontière qui n’a jamais cicatrisé
Pour comprendre pourquoi ça explose aujourd’hui, il faut remonter loin. Très loin. La ligne Durand, tracée en 1893 par les Britanniques, sépare officiellement le Pakistan de l’Afghanistan sur près de 2 600 kilomètres. Mais aucun des deux pays ne la reconnaît vraiment comme frontière légitime.
Du côté pachtoune – l’ethnie majoritaire des deux côtés –, on parle d’une même nation divisée artificiellement. Résultat : les allers-retours sont constants, les tribus entretiennent des liens familiaux, et les groupes armés profitent de cette porosité pour se replier d’un côté quand ça chauffe de l’autre.
- Depuis 2021 et le retour des talibans afghans au pouvoir, Islamabad espérait une coopération renforcée contre le TTP.
- Mais les talibans afghans et pakistanais partagent la même idéologie déobandie et, souvent, les mêmes réseaux.
- Kaboul refuse d’ouvrir le feu sur ceux qu’ils considèrent comme des « frères ».
- Islamabad, excédé, multiplie les opérations unilatérales.
Et c’est là que tout dérape.
Une trêve qui n’a jamais vraiment existé
En octobre dernier, une confrontation armée d’une rare violence avait déjà fait des dizaines de morts des deux côtés. Après plusieurs jours de tirs d’artillerie et de roquettes, une « trêve » avait été annoncée. Sauf que personne n’a jamais réussi à en définir les termes précis.
Des délégations se sont rencontrées, ont bu du thé, ont souri devant les caméras… et sont reparties sans accord concret. Le nœud du problème ? Le Pakistan exige l’expulsion ou la neutralisation des cadres du TTP. Kaboul répond que c’est une affaire interne pakistanaise et refuse toute ingérence.
J’ai suivi ces négociations de loin, et franchement, ça ressemblait plus à un théâtre d’ombres qu’à de la diplomatie sérieuse. Chacun campe sur ses positions, et pendant ce temps, la population paie le prix fort.
Les enfants, éternelles victimes collatérales
Ce qui rend cette séquence particulièrement insoutenable, c’est le bilan humain. On peut discuter géopolitique pendant des heures, mais quand neuf enfants meurent dans leur lit, il n’y a plus de camp qui tienne. Il n’y a plus que l’horreur.
Et le pire, c’est que ce n’est pas nouveau. Depuis vingt ans, cette région est un cimetière d’enfants. Bombes américaines hier, drones pakistanais aujourd’hui… les cibles changent, les victimes restent les mêmes.
On nous parle de « dommages collatéraux acceptables » dans les communiqués militaires. Mais dites ça à une mère qui enterre ses cinq enfants d’un coup. Il n’y a rien d’acceptable là-dedans.
Vers une guerre ouverte ?
La question que tout le monde se pose maintenant : est-ce que cette fois, c’est le point de non-retour ?
Les talibans afghans ont déjà promis des « représailles ». On connaît leur capacité de nuisance : attentats au Pakistan, embuscades contre les postes-frontières, roquettes sur les villes pakistanaises… Rien n’est à exclure.
De son côté, l’armée pakistanaise – l’une des plus puissantes de la région – a les moyens de frapper bien plus fort. Et elle n’hésitera pas si elle estime que sa sécurité nationale est en jeu.
- Scénario 1 : escalade maîtrisée avec des frappes ponctuelles des deux côtés.
- Scénario 2 : embrasement généralisé le long de la frontière.
- Scénario 3 (peu probable mais pas impossible) : intervention terrestre pakistanaise en Afghanistan.
Personnellement, je penche pour le premier scénario, mais avec une intensité bien plus élevée qu’avant. Les deux parties ont trop à perdre dans une guerre totale.
Et la communauté internationale dans tout ça ?
Silence radio, ou presque. Quelques communiqués laconiques appelant à la « retenue » et au « dialogue ». Mais soyons honnêtes : personne n’a vraiment de levier sur les talibans afghans depuis 2021, et le Pakistan préfère régler ses problèmes de sécurité tout seul plutôt que de demander de l’aide.
L’ONU ? Absente. Les États-Unis ? Occupés ailleurs. La Chine, grand partenaire des deux pays ? Elle regarde sans bouger, tant que ses investissements dans le corridor économique sont préservés.
Résultat : cette guerre de l’ombre continuera, avec ses morts anonymes et ses enfants sacrifiés, loin des caméras et des grandes déclarations.
Ce qu’il faudrait retenir
Derrière les communiqués rageurs et les cartes stratégiques, il y a une réalité humaine effroyable. Des familles détruites. Des villages traumatisés. Et une génération entière qui grandit – quand elle survit – dans la haine de l’autre.
On peut accuser les talibans afghans de protéger des terroristes. On peut accuser le Pakistan de bombarder sans discernement. Les deux ont du sang sur les mains. Mais au final, ce sont toujours les mêmes qui paient : les civils. Et parmi eux, les plus fragiles.
Ce matin, dans une petite maison en ruine de Khost, neuf cercueils d’enfants ont été mis en terre. Et quelque part, de l’autre côté de la montagne, d’autres familles pleurent aussi leurs morts. La boucle est bouclée. La spirale infernale continue.
Et nous, on regarde ça de loin. Impuissants. Révoltés. Parfois indifférents.
Mais pour combien de temps encore ?
