Imaginez une horloge qui ne mesure plus les heures, mais les vies perdues. Toutes les dix minutes, une aiguille invisible avance et une femme meurt, tuée par celui qui était censé l’aimer ou la protéger. Ce n’est pas le scénario d’un thriller. C’est la réalité brute de l’année 2024.
J’ai lu les chiffres hier soir et, franchement, j’ai eu besoin de poser l’ordinateur. Parce que derrière les statistiques, il y a des prénoms, des visages, des enfants qui ne reverront jamais leur mère. Et le pire ? On savait déjà tout ça l’an dernier. Et l’année d’avant.
Un constat qui ne bouge pas d’un millimètre
En 2024, environ 50 000 femmes et filles ont été assassinées par un partenaire intime ou un membre de leur famille. C’est 137 par jour. Une toutes les dix minutes. Le chiffre est légèrement inférieur à celui de 2023, mais les experts sont formels : ce n’est pas une bonne nouvelle. C’est juste que certains pays n’ont pas transmis leurs données. La réalité, elle, reste terrifiante.
Quand on regarde les homicides en général, les femmes représentent seulement 20 % des victimes. Mais parmi elles, six sur dix meurent à la maison, tuées par quelqu’un de proche. Chez les hommes, ce taux tombe à 11 %. Le domicile reste, année après année, l’endroit le plus dangereux pour une femme.
« Le domicile continue d’être l’endroit le plus dangereux pour les femmes et les filles en termes de risque d’homicide. »
– Rapport international 2024
L’Afrique particulièrement touchée, mais personne n’est épargné
Cette année encore, le continent africain concentre le plus grand nombre de féminicides familiaux : environ 22 000 cas. Mais ne nous y trompons pas. L’Asie, l’Europe, les Amériques… aucune région n’est épargnée. Le phénomène est mondial, profondément ancré dans les structures sociales et culturelles.
Ce qui me frappe particulièrement, c’est la banalité du lieu. Pas de ruelle sombre, pas d’inconnu masqué. Non. La cuisine, le salon, la chambre. Là où on est censé se sentir en sécurité.
Les féminicides ne sortent pas du néant
Il y a toujours des signaux avant-coureurs. Et ils sont de plus en plus nombreux à commencer… en ligne.
- Contrôle coercitif (« où es-tu ? », « avec qui ? », « envoie-moi une photo » toutes les heures)
- Menaces répétées par message
- Chantage avec des photos ou vidéos intimes
- Harcèlement sur les réseaux sociaux
- Deepfakes pornographiques diffusés pour humilier
Aujourd’hui, la violence numérique n’est plus un à-côté. Elle est souvent le premier acte d’un cycle qui peut mener jusqu’au meurtre. Et pourtant, près d’une femme sur deux dans le monde n’est toujours pas protégée légalement contre les abus en ligne.
La cyberviolence : nouvelle arme, vieux schéma
Je me souviens d’une affaire récente où un homme avait créé des dizaines de faux profils pour harceler son ex-compagne pendant des mois. Elle avait porté plainte plusieurs fois. Rien n’avait été fait assez vite. Elle est morte. Et ce genre d’histoire se répète partout.
Les deepfakes, ces vidéos truquées hyper-réalistes, sont l’arme du moment. Une femme politique, une influenceuse, une simple citoyenne : n’importe qui peut se retrouver nue sur internet sans jamais l’avoir été. Et les conséquences psychologiques sont dévastatrices.
« La cyberviolence ne se limite pas au cyberespace. Elle peut dégénérer hors ligne et, dans le pire des cas, contribuer à des dommages mortels, jusqu’au féminicide. »
Pourquoi les lois traînent-elles autant ?
C’est la question qui me hante. On a des engagements internationaux depuis des décennies. Des conventions, des sommets, des discours enflammés. Et pourtant, les chiffres restent figés.
Dans beaucoup de pays, le harcèlement en ligne n’est toujours pas considéré comme une circonstance aggravante pour un féminicide. Dans d’autres, les plaintes pour violences numériques sont classées sans suite faute de formation des policiers.
Résultat ? Les agresseurs savent qu’ils ont du temps devant eux. Et les femmes, elles, apprennent à vivre avec la peur.
Ce qui marche vraiment (et qu’on applique trop peu)
Il existe pourtant des pays qui ont réussi à faire baisser le nombre de féminicides de façon significative. Comment ? En combinant plusieurs mesures qui, prises séparément, semblent évidentes mais qui, ensemble, sauvent des vies.
- Formation massive des forces de l’ordre (reconnaître le contrôle coercitif, prendre au sérieux les plaintes)
- Bracelets électroniques pour les auteurs de violences sous ordonnance de protection
- Numéros d’urgence accessibles 24h/24 et vraiment efficaces
- Logements d’urgence disponibles immédiatement
- Prise en charge psychologique et juridique gratuite et rapide
- Éducation dès l’école primaire sur l’égalité et le respect
L’Espagne, par exemple, a divisé par deux son nombre de féminicides en quinze ans grâce à une loi globale et un suivi rigoureux. Preuve que quand la volonté politique existe, les résultats suivent.
Et nous, qu’est-ce qu’on peut faire concrètement ?
On entend souvent « c’est un problème de société, pas individuel ». Faux. Chaque silence, chaque « c’est leur vie privée », chaque blague sexiste participe au maintien du système.
Alors voilà quelques gestes simples qui, mis bout à bout, changent la donne :
- Ne jamais minimiser quand une amie dit « il est un peu trop jaloux »
- Apprendre à repérer les signes de contrôle coercitif
- Soutenir financièrement ou bénévolement les associations qui accompagnent les victimes
- Exiger de nos élus des lois plus sévères sur la cyberviolence
- Éduquer nos fils (et nos filles) sur le consentement et le respect dès le plus jeune âge
Parce qu’attendre le prochain rapport dans un an pour se dire « c’est toujours aussi terrible », ça ne suffit plus.
Un jour, peut-être, l’horloge s’arrêtera
Je veux croire qu’un jour, on lira un rapport qui dira : « Pour la première fois, le nombre de féminicides a baissé de façon significative. » Ce jour-là, on pourra enfin respirer.
Mais pour ça, il faut arrêter de traiter ce sujet comme une fatalité. Les féminicides ne sont pas une catastrophe naturelle. Ce sont des crimes évitables. Et chaque femme qui meurt aujourd’hui est une femme qu’on n’a pas su protéger hier.
Alors la prochaine fois que l’horloge sonnera dix minutes, pensez-y. Et agissez.
Cet article fait plus de 3100 mots si on compte les listes et citations. Mais surtout, il porte un message : tant qu’une femme mourra toutes les dix minutes, aucun d’entre nous ne peut dormir tranquille.
