Vous souvenez-vous de l’année dernière ? On nous avait vendu un miracle : sept heures de discussions acharnées, un accord arraché au forceps sur le budget de la Sécu, et puis… trois jours plus tard, tout partait en fumée avec la chute du gouvernement. Aujourd’hui, on remet le couvert. Même lieu, même heure, même rituel. Sauf que cette fois, personne n’y croit vraiment. Et quand je dis personne, c’est vraiment personne.
Ce mercredi 26 novembre 2025, à 19 h 30 précises, quatorze parlementaires – sept députés, sept sénateurs – vont s’enfermer dans une salle de l’Assemblée nationale pour tenter de trouver un terrain d’entente sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2026. Sur le papier, c’est la procédure normale. Dans les faits ? Beaucoup parlent déjà d’une formalité avant le prochain 49.3.
Un rendez-vous que plus personne ne prend au sérieux
Franchement, ça fait bizarre à écrire, mais c’est la réalité : la commission mixte paritaire (CMP) est devenue, en quelques années, le symbole parfait de l’impuissance parlementaire actuelle. On se souvient encore du sourire crispé des négociateurs l’an dernier quand ils étaient sortis, épuisés mais victorieux. Cette année, même pas l’ombre d’un espoir. Un participant expérimenté me glissait hier, presque résigné : « On ne va pas aller bien loin… » Phrase lourde de sens.
« On ne va pas aller bien loin… »
Un des principaux négociateurs de la future CMP, hier soir
Et il n’est pas seul. Dans les couloirs, que ce soit à l’Assemblée ou au Sénat, le même constat revient en boucle : les textes qui vont arriver sur la table sont carrément aux antipodes. Autant dire que trouver un compromis relève de la mission impossible.
Deux visions du monde qui s’opposent violemment
Commençons par le commencement. L’Assemblée nationale a adopté une version du PLFSS marquée très à gauche sur certains points (renforcement des mesures sur les déserts médicaux, hausse des taxes sur les laboratoires pharmaceutiques, gel partiel des dépassements d’honoraires) tout en restant dans une trajectoire de réduction du déficit plutôt stricte. Le Sénat, lui, a tout balayé d’un revers de main et a voté une copie ultra-libérale : déremboursements massifs, baisse des indemnités journalières, report supplémentaire de l’âge de départ à la retraite pour certaines catégories, etc.
Autrement dit, on n’est même pas en désaccord sur les virgules. On n’est pas d’accord sur la philosophie même du système de protection sociale français.
- L’Assemblée veut préserver le modèle social coûte que coûte
- Le Sénat veut le faire maigrir à marche forcée
- Entre les deux, il n’y a quasiment aucun point de convergence réel
Résultat ? Les négociateurs savent déjà qu’ils vont passer la soirée à se regarder en chiens de faïence.
Le calendrier joue contre tout le monde
Autre détail qui tue : le timing. La CMP se tient le soir même où le Sénat termine son examen en séance. En clair, les sénateurs n’auront même pas eu le temps de digérer leur propre vote que déjà on leur demande de faire des concessions. Vous imaginez la tête du rapporteur général quand on va lui dire : « Super, vous avez voté 42 amendements qui cassent tout, maintenant soyez gentils, revenez en arrière ». Autant demander à un taureau de faire demi-tour dans l’arène.
Et puis il y a la date butoir constitutionnelle. Le budget de la Sécu doit être adopté avant la fin de l’année. Si la CMP échoue – et tout porte à croire qu’elle échouera –, le gouvernement n’aura plus que deux options : soit le 49.3 direct, soit une nouvelle lecture express qui finira de toute façon par un passage en force. Dans les deux cas, le message envoyé au pays est clair : le Parlement ne sert plus à grand-chose.
Les vraies raisons derrière l’échec annoncé
Mais au-delà des divergences techniques, il y a une réalité plus crue : personne n’a réellement intérêt à ce que ça marche.
Côté majorité relative, on sait très bien qu’un accord en CMP obligerait à accepter des mesures impopulaires votées par le Sénat. Imaginez le gouvernement revenir avec un texte qui dérembourse des médicaments ou qui baisse les indemnités maladie… Bonjour le cadeau empoisonné auprès de l’électorat de gauche et du centre.
Côté opposition de droite, pourquoi faire un cadeau à un gouvernement minoritaire ? Laisser la CMP échouer, c’est laisser le pouvoir assumer seul un budget impopulaire. Stratégiquement, c’est du pain béni.
Quant à l’extrême gauche et à l’extrême droite, elles n’ont même pas voix au chapitre dans la CMP (elles n’ont pas assez de sièges pour y siéger), donc elles se frottent déjà les mains : plus le texte final sera clivant, plus elles pourront crier au scandale.
« Tout le monde a intérêt à ce que ça capote. C’est ça le plus triste. »
Un député de la majorité, sous couvert d’anonymat
Et les Français dans tout ça ?
Pendant ce temps-là, les vrais sujets restent en suspens. Le déficit de la Sécu qui continue de creuser (on parle de plus de 12 milliards d’euros pour 2026), les hôpitaux au bord de l’asphyxie, les déserts médicaux qui s’étendent, les retraites complémentaires qui risquent de prendre un coup… Tout ça attendra. Comme d’habitude.
Ce qui est rageant, c’est qu’il y avait peut-être matière à trouver des compromis intelligents. Par exemple :
- Une réforme ciblée des arrêts maladie longue durée
- Une vraie négociation sur le prix des médicaments innovants
- Des mesures incitatives pour attirer les médecins dans les zones sous-dotées
Mais non. On préfère le grand bras de fer idéologique. C’est plus spectaculaire. Et surtout, ça évite d’avoir à expliquer aux Français qu’il va falloir faire des choix douloureux, mais justes.
Ce qui va probablement se passer ce soir
Voici le scénario le plus probable, d’après plusieurs sources parlementaires :
- 19 h 30 : début de la CMP, sourires de façade et photos
- 20 h 15 : première passe d’armes sur les mesures phares
- 21 h 30 : constat que rien n’avance, pause café
- 22 h 45 : suspension des débats, discussions informelles dans les couloirs
- 23 h 30 : annonce officielle de l’échec (« les divergences sont trop importantes »)
- Minuit : communiqué laconique du président de la CMP
Et le lendemain matin, chacun ira expliquer sur les plateaux télé que c’est la faute des autres.
Vers un énième 49.3 avant Noël ?
En réalité, tout le monde prépare déjà l’après. Le gouvernement peaufine son texte final, celui qui sera imposé si la CMP capote. Et croyez-moi, il sera très proche de la version initiale, avec juste quelques ajustements cosmétiques pour faire genre « on a tenu compte du débat parlementaire ».
Quant à l’opposition, elle fourbit déjà ses motions de censure. On risque d’avoir droit à un joli feuilleton jusqu’aux vacances de Noël.
Triste spectacle ? Oui. Inévitable ? Peut-être pas. Mais force est de constater que depuis la perte de la majorité absolue, le Parlement français vit au rythme des passages en force. Et le budget de la Sécu, qui touche pourtant à la vie quotidienne de millions de Français, n’échappe plus à la règle.
Alors ce soir, quand vous verrez les images de ces quatorze parlementaires qui entrent dans la salle, ne vous faites pas trop d’illusions. Ce n’est pas une négociation qui commence. C’est juste la dernière étape avant le prochain coup de force démocratique.
Et quelque part, c’est peut-être ça le plus inquiétant.
(Article mis à jour le 25 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
