Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe quand un géant de la distribution commence à vaciller ? Moi oui, et franchement, l’annonce faite ce mardi matin par le groupe nordiste m’a laissé sans voix pendant quelques secondes. Près de 300 supermarchés qui pourraient, d’ici la fin 2026, troquer leur célèbre oiseau rouge contre les trois mousquetaires ou le petit bonhomme discount de Netto… On parle quand même de 294 points de vente. Rien que ça.
Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à une telle métamorphose dans le paysage commercial français. Et pourtant, c’est bien ce qui se profile.
Un virage stratégique à 180 degrés
Officiellement, on ne parle pas de vente pure et dure. Non, les dirigeants préfèrent le terme de « coopération innovante ». En clair ? Les supermarchés concernés (ceux entre 400 et 2 500 m²) seraient transférés dans une société autonome, toujours liée au groupe d’origine, mais exploités en franchise par le groupement Les Mousquetaires. Traduction : les clients verront les enseignes changer, les rayons se remplir de produits différents, et les prix, promet-on, baisser sensiblement.
Le directeur général d’Auchan Retail l’a dit sans détour : l’objectif est de gagner plus de six points de compétitivité prix. Six points, ce n’est pas rien quand on sait que chaque dixième de point de part de marché se dispute à coups de promotions agressives.
« Ce mouvement doit nous permettre de revenir dans la course »
a sobrement déclaré la direction
Pourquoi maintenant ? Parce que le format supermarché fait mal
Regardons les chiffres en face. Le parc supermarché du groupe ne représente plus que 2 % de parts de marché environ. À l’échelle nationale, l’enseigne tout entière pointe à 8,6 %, juste devant Lidl qui grignote dangereusement le terrain. Et pendant ce temps, les hypermarchés – le vrai ADN historique – continuent d’attirer neuf clients sur dix. Logique, donc, de recentrer les forces là où ça marche encore.
J’ai vu ces dernières années des dizaines de supermarchés fermer ou se reconvertir. Celui près de chez mes parents, par exemple, a fini en magasin de déstockage. Triste à voir. Là, on assiste à quelque chose de différent : une tentative de sauvetage collectif plutôt qu’une hémorragie lente.
Intermarché et Netto : les grands gagnants ?
Du côté des Mousquetaires, on se frotte les mains – discrètement, bien sûr. Intégrer près de 300 points de vente d’un coup, même en franchise, ça booste sérieusement la couverture territoriale. Surtout pour Netto, l’enseigne discount du groupe, qui reste encore un peu en retrait face à Lidl et Aldi.
- Accès immédiat à des emplacements souvent premium
- Augmentation mécanique des parts de marché
- Renforcement des marques propres (Paturage, Pâturages, etc.)
- Effet volume sur les négociations avec les fournisseurs
Et cerise sur le gâteau : les deux groupes partagent déjà une centrale d’achats commune depuis 2024. Ils se connaissent, se font confiance. Ce n’est pas un mariage forcé, c’est presque une suite logique.
11 400 salariés dans le flou
Maintenant, parlons du sujet qui fâche. Derrière les discours rassurants sur la « préservation de l’emploi », la réalité est plus nuancée. Les salariés des magasins transférés verront leur statut évoluer au terme d’une période transitoire de quinze mois. Autrement dit : adieu certains avantages liés aux accords d’entreprise historiques.
Et le timing est particulièrement mal choisi. L’enseigne sort à peine d’un plan social massif (près de 2 400 postes supprimés) qui vient d’être annulé par la justice – appel en cours, évidemment. Ajoutez à ça la transformation en cours d’une vingtaine d’hypermarchés… Autant dire que le climat social est déjà électrique.
« On nous parle de coopération innovante, mais on voit surtout une façon détournée de contourner les règles sociales »
un représentant du personnel, sous couvert d’anonymat
Ce que ça change vraiment pour vous, le consommateur
Concrètement, dans dix-huit mois, vous risquez de ne plus reconnaître votre magasin de quartier. Les marques nationales resteront probablement, mais les produits premier prix et les marques de distributeur seront ceux d’Intermarché ou Netto. Est-ce que ça veut dire moins cher ? Sur le papier, oui. Dans la réalité, ça dépendra de la capacité des Mousquetaires à tenir la promesse de baisse de prix tout en maintenant des marges correctes.
Personnellement, j’ai un petit faible pour certaines références historiques qu’on ne trouve que sous oiseau rouge. Vais-je les retrouver ? Rien n’est moins sûr. Et vous, avez-vous déjà vos petites madeleines de Proust version supermarché ?
Un précédent qui fait jurisprudence
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des enseignes jouent à ce petit jeu. Rappelez-vous les ex-Casino rachetés puis revendus en partie à Lidl. Ou ces Carrefour Market devenus simplement Market après séparation. La grande distribution française adore les opérations de ce type : ça permet de restructurer sans assumer pleinement le coût social et médiatique d’une fermeture pure et simple.
L’avantage ? Le client continue de faire ses courses au même endroit. L’inconvénient ? Il perd souvent en choix et en identité locale.
Et la Corse dans tout ça ?
Petite précision qui a son importance : l’île de Beauté échappe complètement à l’opération. Les supermarchés corses resteront sous pavillon rouge et blanc. Raisons officielles : spécificités insulaires, logistique, accords locaux… En clair, on ne touche pas à ce qui marche encore correctement.
Ce qui attend l’Autorité de la concurrence
Avant que les panneaux ne changent, il faudra passer par la case régulateur. L’Autorité de la concurrence va examiner si cette concentration ne crée pas de déséquilibre trop important sur certains bassins de vie. Dans certaines villes moyennes, un supermarché Intermarché qui absorbe l’Auchan du coin pourrait devenir dominant. On a déjà vu des opérations retoquées ou fortement encadrées pour moins que ça.
Moralité : rien n’est encore acté à 100 %.
Mon avis (puisqu’on est entre nous)
Je vais être honnête : je trouve l’opération à la fois audacieuse et un peu triste. Audacieuse parce qu’elle reconnaît enfin que le modèle supermarché à l’ancienne est en train de mourir à petit feu. Triste parce qu’on assiste, une fois de plus, à la disparition progressive d’une enseigne historique qui a accompagné des générations de Français.
Mais dans un secteur où Leclerc, Carrefour et Lidl dictent le tempo, rester immobile équivaut à reculer. Peut-être que c’était la seule solution viable.
En attendant, si vous avez un supermarché rouge près de chez vous, profitez-en encore un peu. Prenez une photo devant le logo, achetez cette référence introuvable ailleurs. Dans dix-huit mois, il sera peut-être trop tard.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Allez-vous regretter l’oiseau rouge ou accueillir les Mousquetaires à bras ouverts si les prix baissent vraiment ? La grande distribution ne nous a jamais autant tenu en haleine.
