Imaginez-vous réveillé à l’aube par le vrombissement sourd d’un moteur inconnu au-dessus de votre village. Vous sortez, et là, à quelques centaines de mètres, un engin de plusieurs mètres d’envergure s’écrase dans un champ ou, pire, sur le toit d’une maison. Ce n’est pas un film. C’est ce qui s’est passé hier, mardi 25 novembre 2025, à la frontière entre l’Ukraine, la Moldavie et la Roumanie.
Depuis des mois déjà, on parle de « débordements » de la guerre. Mais là, on franchit un cap. Des drones russes, lancés contre des cibles ukrainiennes, terminent leur course sur le territoire de deux pays voisins – dont l’un, la Roumanie, est membre de l’OTAN. Et quand on dit OTAN, on parle Article 5, solidarité militaire, risque d’escalade planétaire. Respirez un grand coup, on va tout décortiquer calmement.
Une nuit sous haute tension aux portes de l’Europe
Dans la nuit de lundi à mardi, la Russie a déclenché une nouvelle vague massive de frappes aériennes contre l’Ukraine. Classique, malheureusement. Sauf que cette fois, plusieurs appareils n’ont pas atteint leur cible… ou plutôt, ils ont continué leur route bien au-delà.
En Moldavie d’abord. Vers 4 heures du matin, les radars détectent six intrusions dans l’espace aérien. L’une d’elles se termine mal : un drone s’écrase sur le toit d’une maison de gardien dans le village de Cuhurestii de Jos, à quelques kilomètres seulement de la frontière ukrainienne. Pas d’explosion, heureusement – l’engin ne portait apparemment plus de charge militaire – mais assez pour déclencher l’évacuation immédiate du quartier. Les images circulent : un gros triangle gris éventré sur des tuiles, entouré de rubalise et de policiers nerveux.
« La zone a été bouclée immédiatement. Nous avons évacué les habitants par précaution. »
– Autorités moldaves, communiqué officiel
À Chisinau, on ne rigole plus. L’ambassadeur russe sera convoqué dès ce mercredi. On parle d’« actions inacceptables ». La Moldavie, coincée entre l’Ukraine et la Roumanie, n’a pas d’armée de l’air digne de ce nom. Elle subit, et elle le fait savoir.
La Roumanie passe en mode alerte maximale
Mais le vrai choc, c’est côté roumain. Pays membre de l’OTAN depuis 2004, la Roumanie a vu non pas un, mais plusieurs drones pénétrer son espace aérien mardi matin.
À 6h28 précises, deux Eurofighter Typhoon allemands stationnés à Mihail Kogalniceanu décollent en urgence. Vingt minutes plus tard, deux F-16 roumains les rejoignent depuis la base de Borcea. Les radars suivent les intrus dans les secteurs de Vaslui et Galati, juste à côté de la frontière moldave.
Puis un crash. Un drone s’écrase dans une zone rurale du județ de Vaslui. Là encore, pas d’explosif à bord selon les premières constatations – soit il a largué sa charge avant, soit il a simplement manqué de carburant après un trop long détour.
Le ministre roumain de la Défense, en déplacement sur la base de Constanta, est clair :
« Soit ils ont perdu le contrôle, soit l’appareil a manqué de carburant. En tout cas, il ne transportait plus de charge explosive. »
Mais le message le plus fort vient d’ailleurs. Au même moment, le général Christopher Donahue, commandant des forces américaines en Europe, visite précisément cette base de Kogalniceanu. Hasard ? Peut-être pas. Il lâche une phrase qui pèse lourd :
« Nous sommes dans les dernières étapes pour déployer rapidement des capacités d’abattage de ces drones sur le territoire roumain. »
Traduction : la prochaine fois, on ne se contentera peut-être plus de regarder passer.
Pourquoi autant de drones finissent-ils hors Ukraine ?
Il y a plusieurs explications possibles, et aucune n’est vraiment rassurante.
- Les défenses antiaériennes ukrainiennes sont devenues redoutables. Beaucoup de drones sont touchés, perdent leur guidage et continuent en vol plané jusqu’à épuisement.
- Certains engins sont programmés pour éviter les zones à forte défense et font des détours énormes – parfois plus de 1000 km – avant de revenir vers leur cible.
- Le brouillage GPS intense en Ukraine peut dévier les appareils de plusieurs dizaines de kilomètres.
- Et parfois… c’est simplement une erreur humaine ou technique côté russe.
Résultat : depuis l’été 2023, ce n’est pas la première fois. La Roumanie a déjà recensé plusieurs fragments de drones sur son sol. Mais là, on parle d’appareils entiers qui franchissent la frontière et s’écrasent. Le niveau monte d’un cran.
L’OTAN face à un dilemme explosif
Et voilà le cœur du problème. La Roumanie est dans l’OTAN. Un drone russe qui s’écrase sur son sol, c’est déjà une violation d’espace aérien. Si demain un de ces engins explose et fait des victimes civiles, ou pire, touche une installation militaire ?
L’Article 5 ne s’active pas automatiquement, mais la pression politique serait énorme. Personne n’a envie d’une guerre directe Russie-OTAN. Personne. Et pourtant, chaque incident de ce type rapproche un peu plus du point de non-retour.
J’ai discuté avec des analystes militaires ces derniers mois. Beaucoup pensent que la Russie teste les limites, consciemment ou non. Envoyer des centaines de drones par nuit, c’est aussi accepter qu’une partie finisse ailleurs. C’est une forme de guerre hybride : on sème le doute, on force l’adversaire à réagir, on habitue l’opinion publique à l’idée que « ça pourrait être pire ».
Et la Moldavie dans tout ça ?
La Moldavie, elle, est dans une position encore plus fragile. Petit pays de 2,5 millions d’habitants, armée limitée, dépendance énergétique russe historique, et une région séparatiste prorusse en Transnistrie. Chaque drone qui passe au-dessus de son territoire est un rappel brutal : elle est littéralement entre le marteau et l’enclume.
Chisinau a beau condamner, convoquer, protester… elle n’a pas les moyens d’empêcher ces survols. Et pourtant, la population commence à sérieusement s’inquiéter. Quand un drone s’écrase sur une maison, même sans exploser, ça marque les esprits.
Vers une militarisation de la frontière ?
Ce qui se dessine, c’est une nouvelle réalité : la frontière roumaine avec l’Ukraine et la Moldavie devient une zone de haute tension permanente. Les bases OTAN se renforcent. Les Américains, Allemands, Néerlandais y déploient des systèmes Patriot, des radars dernière génération, et bientôt des moyens anti-drones dédiés.
On parle de lasers, de brouilleurs, de micro-missiles. Le général Donahue n’a pas fait sa déclaration par hasard. L’Alliance se prépare clairement à la possibilité d’abattre systématiquement tout appareil non identifié qui franchirait cette ligne.
Et là, la question devient : que fera la Russie le jour où un de ses drones – ou pire, un missile – sera abattu au-dessus ou sur le territoire roumain ? Réponse diplomatique ? Escalade ? Rien ? Tout est possible.
Ce que ça nous dit sur l’état de la guerre
Plus de 1000 jours après le début de l’invasion, la guerre en Ukraine entre dans une phase où les deux camps semblent à bout de souffle… et pourtant capables de frapper toujours plus fort. La Russie compense son infériorité en hommes et en blindés par des quantités industrielles de drones et de missiles. L’Ukraine résiste, mais au prix fort.
Ces incursions ne sont pas anodines. Elles montrent que le conflit déborde déjà largement des frontières ukrainiennes. Et que l’Europe, qu’on le veuille ou non, est concernée au premier plan.
Personnellement, ce qui me frappe le plus, c’est le contraste. D’un côté, des villages paisibles qui cultivent leurs champs. De l’autre, des engins de mort qui passent au-dessus sans crier gare. Entre les deux, une ligne sur une carte qui pourrait, un jour, faire basculer le monde.
Pour l’instant, pas de victimes. Pour l’instant, pas d’explosion. Pour l’instant, on évacue, on condamne, on décolle des chasseurs. Mais jusqu’à quand tiendra cette fragile retenue ?
La guerre en Ukraine n’est plus seulement l’affaire des Ukrainiens. Elle se joue désormais, concrètement, à nos portes.
