Vous arrive-t-il parfois de tomber des nues en ouvrant les faits divers du matin ? Hier encore, on parlait d’une simple permission de sortie accordée à un détenu. Rien de bien fou, direz-vous, ça arrive tous les jours. Sauf que là, le détenu en question n’est pas n’importe qui. Et vingt-quatre heures plus tard, sa mère se retrouve au poste. Le hasard fait parfois très mal les choses… ou alors, il ne fait rien du tout.
Quand la réinsertion dérape en pleine lumière
Imaginons la scène. Un homme de 52 ans, condamné pour des faits lourds liés au trafic de stupéfiants, sort de la maison d’arrêt de Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, avec une autorisation officielle en poche. Objectif affiché : effectuer des démarches professionnelles en vue de préparer sa réinsertion. Nous sommes le 24 novembre. Il est libre jusqu’au soir. En théorie, tout est encadré, tout est légal.
Le lendemain, dans un tout autre décor, à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, une opération anti-stups est lancée dans le quartier des 4000. Un chien renifle, marque l’arrêt devant deux appartements. Perquisition. Et là, surprise : la mère du détenu qui profitait de sa journée de liberté se retrouve en garde à vue pour trafic de stupéfiants. Le timing est tellement parfait qu’on dirait un scénario de série policière.
Les policiers, eux, jurent la main sur le cœur qu’il n’y a aucun lien. Circulez, rien à voir. Mais avouez que ça fait beaucoup à avaler en si peu de temps.
Qui est vraiment cet homme au cœur de la polémique ?
Pour comprendre pourquoi cette permission a mis le feu aux poudres, il faut remonter une quinzaine d’années en arrière. À l’époque, dans la cité des 4000 à La Courneuve, une fratrie imposait sa loi sur le trafic local. Go-fast, livraisons, règlements de comptes : le business tournait à plein régime. L’homme qui a bénéficié de cette sortie était l’un des piliers de cette organisation familiale. Condamné lourdement, il purge sa peine depuis des années. Sa libération conditionnelle est prévue pour 2029.
Mais voilà, la justice française dispose d’un outil : la permission de sortie. Quelques heures, parfois une journée entière, pour maintenir le lien familial, chercher du travail ou suivre une formation. Sur le papier, c’est louable. Dans les faits, quand le bénéficiaire traîne un tel passé, ça coince sévère dans l’opinion publique.
« On ne demande pas à un ancien braqueur de banque de visiter la Banque de France pour sa réinsertion », ironisait récemment un syndicaliste pénitentiaire face à une affaire similaire.
Et là, c’est pareil. Autoriser un ex-barron de la drogue à remettre les pieds dans le quartier même où il sévissait autrefois ? Beaucoup y ont vu une provocation.
Le chien ne ment jamais
Revenons à l’opération du lendemain. Place Georges-Braque, quartier bien connu des services de police. L’équipe cynophile passe. Le chien s’arrête net. Deux appartements. Fouille. Stupéfiants découverts. Et parmi les personnes présentes : la mère du détenu.
Est-ce qu’elle gérait encore une partie du business familial ? Est-ce qu’elle conservait simplement de la marchandise pour quelqu’un d’autre ? Les enquêteurs vont creuser. Mais une chose est sûre : dans ces cités, les réseaux ne meurent jamais complètement. Ils se transmettent, se restructurent, parfois même de mère en fils – ou l’inverse.
- Le fils sort de prison pour la journée.
- Le lendemain, la mère est interpellée pour les mêmes faits que ceux qui ont valu la condamnation de son fils.
- Le tout dans le même quartier qui a vu naître et prospérer leur empire d’autrefois.
Difficile de ne pas y voir un symbole. Comme si le trafic, tel un serpent, continuait à muer sans jamais vraiment disparaître.
La permission de sortie : un outil mal compris ?
En France, chaque année, des dizaines de milliers de permissions sont accordées. La plupart passent inaperçues. Quelques-unes, comme celle-ci, déclenchent des tempêtes. Pourquoi ? Parce que le grand public a du mal à accepter que des personnes condamnées pour des crimes graves puissent, même quelques heures, retrouver une forme de liberté.
Pourtant, les juges d’application des peines le répètent : sans ces sas progressifs, la réinsertion est quasi impossible. Un détenu qui sort du jour au lendemain après vingt ans de prison a toutes les chances de replonger. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le taux de récidive est bien plus élevé chez ceux qui effectuent une sortie « sèche ».
Mais il y a un hic, et de taille. Quand le passé du détenu est trop lourd, quand le quartier d’origine reste un haut lieu du trafic, l’opinion publique hurle au scandale. Et parfois, elle n’a pas complètement tort.
Un air de déjà-vu en Seine-Saint-Denis
La Courneuve, les 4000, ce n’est pas n’importe quel coin. C’est là que, en 2005, un enfant de 11 ans était mort sous les balles d’un règlement de comptes. C’est là que l’État avait promis de « nettoyer au Kärcher », expression restée célèbre. Vingt ans plus tard, les tours ont été en partie détruites, des programmes de rénovation ont vu le jour, mais le trafic, lui, a survécu.
Les anciennes générations ont cédé la place aux nouvelles, mais les logiques restent les mêmes. Et quand une famille entière a bâti sa réputation – et parfois sa fortune – sur la drogue, il est naïf de penser que tout s’arrête avec une condamnation.
« Dans certains quartiers, le trafic est une entreprise familiale qui se transmet comme une boulangerie », confiait un ancien enquêteur spécialisé.
Et cette affaire le prouve une nouvelle fois, avec un cruel sens du timing.
Et maintenant ?
La mère est toujours en garde à vue au moment où j’écris ces lignes. Les investigations vont se poursuivre. Quant au fils, il a réintégré sa cellule comme prévu le soir du 24. Sa prochaine demande de permission risque d’être examinée à la loupe.
Cette double actualité pose, une fois de plus, la question de l’équilibre entre punition et réinsertion. Jusqu’où peut-on aller dans la confiance accordée à des détenus au passé aussi chargé ? Et quand une famille entière semble baigner dans l’illégal, faut-il traiter chaque membre séparément ou regarder l’ensemble ?
Ce qui est sûr, c’est que cette histoire ne va pas calmer les débats sur la politique pénale française. Entre ceux qui crient au laxisme et ceux qui défendent une justice humaine, le fossé continue de se creuser. Et au milieu, il y a des quartiers entiers qui attendent toujours des réponses concrètes, loin des polémiques médiatiques.
Une chose est certaine : cette permission de sortie, censée être un petit pas vers la liberté, a fini par remettre en lumière tout un système. Et parfois, la vérité sort plus vite quand on ouvre un peu trop grand la porte de la cage.
(Article rédigé à partir d’éléments recueillis dans l’actualité du 25 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
