Vous souvenez-vous de l’été 2022 ? Melvyn Jaminet, l’arrière star de l’équipe de France, quittait Perpignan pour rejoindre Toulouse. Tout le monde y voyait un transfert classique, un peu cher peut-être, mais rien d’anormal. Et puis, en janvier dernier, une question toute simple a tout fait basculer : mais où sont passés les 450 000 euros que le joueur avait dû emprunter pour activer sa clause de sortie ? Dix mois plus tard, la réponse n’est toujours pas claire… et l’affaire vient de prendre une tournure judiciaire inattendue.
Quand le rugby français se retrouve au tribunal
Depuis avril dernier, le parquet de Toulouse a discrètement ouvert une enquête préliminaire pour abus de confiance. L’instruction est confiée à la brigade financière, des policiers habitués aux dossiers complexes. Et le club visé n’est autre que le Stade Toulousain, champion en titre et institution intouchable du rugby français. Ce qui n’était jusqu’ici qu’une affaire sportive, avec son lot de sanctions internes et d’amendes records, devient potentiellement une affaire pénale.
Retour sur le montage financier qui pose problème
Reprenons depuis le début, calmement. Pour libérer Melvyn Jaminet de son contrat avec Perpignan, il fallait payer une indemnité de départ conséquente. Le joueur, alors sous contrat jusqu’en 2024, a personnellement contracté deux emprunts pour avancer la somme de 450 000 euros. L’idée ? Toulouse devait le rembourser rapidement, avant même la Coupe du monde 2023. Sauf que l’argent n’est jamais arrivé directement dans les poches du joueur.
Pourquoi un tel montage ? Tout simplement parce que le Stade Toulousain était déjà au plafond du salary cap, cette règle qui limite la masse salariale des clubs de Top 14. Payer directement Jaminet aurait fait exploser le compteur. Il fallait donc trouver une astuce.
Le mystérieux contrat avec Pacific Heart
C’est là qu’intervient une société enregistrée à Papeete, Pacific Heart, dirigée par une certaine Cynthia Teinaore. Le club rouge et noir signe avec elle un contrat de partenariat : environ 500 000 euros pour organiser un stage aux Fidji et un match amical avec invitation des sponsors. Problème : plusieurs partenaires historiques du club affirment n’avoir jamais entendu parler de ce projet avant de le découvrir… dans la presse.
- Aucun document interne ne présente ce « projet Fidji » au conseil de surveillance
- Le projet américain, pourtant bien moins coûteux (145 000 €), avait fait l’objet d’une présentation détaillée
- Le stage est abandonné sans pénalité… mais Toulouse règle quand même la totalité de la somme
Curieux, non ? On verse 500 000 euros pour un événement qui n’aura jamais lieu, alors que le contrat prévoyait la possibilité de récupérer les acomptes. Tout porte à croire qu’il s’agissait d’un contrat de façade destiné à faire sortir l’argent du club sans que cela n’apparaisse dans la masse salariale.
« Un transfert qui suscite a minima de légitimes interrogations »
David Charmatz, procureur de la République de Toulouse
1,3 million d’amende… et ce n’est pas fini
Sur le plan purement sportif, le club a déjà passé un mauvais quart d’heure. Après sept mois d’instruction, l’autorité de régulation a renvoyé Toulouse devant la commission de discipline. Le président Didier Lacroix est convoqué le 8 décembre. Au menu possible : retrait de points, interdiction de phases finales, voire – scénario catastrophe – relégation administrative.
Le club a déjà négocié une amende record de 1,3 million d’euros au printemps dernier pour reconnaître l’infraction au salary cap. Mais l’enquête pénale change la donne. Car si les faits sont requalifiés en abus de confiance, on ne parle plus seulement de tricherie sportive, mais de délit.
Le précédent Cheslin Kolbe
Ce n’est pas la première fois que Toulouse se retrouve dans le viseur pour des opérations financières douteuses. Rappelez-vous le départ de Cheslin Kolbe à Toulon : là aussi, des soupçons de contournement du salary cap. Le club avait déjà été sanctionné. On parle donc d’une forme de récidive, ce qui pourrait alourdir considérablement la note.
Que risque vraiment le Stade Toulousain ?
Sportivement, les sanctions peuvent aller jusqu’à la perte du titre ou la relégation. Pénale, une condamnation pour abus de confiance expose à cinq ans de prison et 375 000 euros d’amende (pour les personnes physiques) et jusqu’à 1,875 million d’euros pour le club en tant que personne morale.
- Amende sportive supplémentaire
- Retrait de points en Top 14
- Interdiction de recrutement ou de phases finales
- Poursuites pénales contre les dirigeants
- Dommages collatéraux sur l’image du club le plus titré de France
Et pendant ce temps, Melvyn Jaminet, lui, a fini par être remboursé – totalement ou partiellement – après son départ à Toulon. Mais l’argent initial, celui des premiers emprunts, semble s’être évaporé dans les méandres de ce montage financier.
Une affaire qui dépasse le simple cas toulousain
Ce qui frappe, c’est la récurrence de ces histoires dans le rugby professionnel français. Entre les doublons, les effectifs pléthoriques et la pression du salary cap, certains clubs semblent prêts à tout pour attirer les meilleurs joueurs. Mais à quel prix pour l’équité sportive ?
J’ai toujours trouvé fascinant ce paradoxe : le rugby, sport de valeurs, se retrouve régulièrement éclaboussé par des affaires d’argent. Comme si la professionnalisation à marche forcée avait fait perdre de vue l’essentiel.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce que ces montages financiers sont inévitables dans un sport devenu business ? Ou est-ce que Toulouse a franchi une ligne rouge ? Une chose est sûre : l’enquête du parquet risque de nous apporter des réponses que le monde du rugby préférerait peut-être garder sous silence.
L’affaire Jaminet n’est peut-être que la partie visible de l’iceberg. Dans un Top 14 où l’argent coule à flots et où chaque point compte, la tentation de contourner les règles est grande. Reste à savoir si cette fois, la justice sportive et pénale sauront taper assez fort pour que le message passe vraiment.
Parce qu’au final, ce n’est pas seulement l’avenir du Stade Toulousain qui se joue. C’est celui de tout un modèle économique.
