Vous avez déjà roulé derrière un convoi de tracteurs à 20 km/h sur une nationale ? Moi oui, et croyez-moi, quand ça dure des heures, on finit par se demander ce qui peut bien pousser des gens à bloquer le pays entier juste pour défendre leur métier. Ces derniers jours, la réponse est devenue limpide : beaucoup d’agriculteurs français ont l’impression qu’on est en train de signer l’arrêt de mort de leur profession.
Depuis une semaine, c’est reparti comme en 2019 ou 2023. Les pneus brûlent, le fumier vole, les ronds-points se transforment en campements. Et cette fois, un mot revient en boucle dans toutes les bouches : Mercosur. Ce fameux accord de libre-échange entre l’Union européenne et quatre pays d’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) que beaucoup présentent comme la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien rempli.
Une Colère Qui Ne Date Pas d’Hier
Il faut dire que les raisons de râler ne manquent pas. Entre la paperasse administrative qui s’épaissit chaque année, les normes environnementales toujours plus strictes, les charges qui explosent et les prix de vente qui stagnent, beaucoup d’exploitations arrivent à peine à joindre les deux bouts. Et quand on ajoute à cela l’idée d’ouvrir grand les portes à des viandes, du sucre ou des céréales produites avec des standards bien moins exigeants qu’en Europe… vous obtenez une bombe à retardement.
J’ai discuté il y a quelques mois avec un éleveur de la Sarthe qui m’avait dit, presque résigné : « Si cet accord passe, dans cinq ans il n’y aura plus d’élevage bovin en France. » À l’époque, je trouvais qu’il exagérait peut-être. Aujourd’hui, en voyant les images de tracteurs sur l’A20 ou l’A10, je me dis qu’il avait probablement vu juste.
Le Mercosur, C’est Quoi Concrètement le Problème ?
En clair, cet accord prévoirait l’arrivée sur le marché européen de dizaines de milliers de tonnes de viande bovine, de volaille, de sucre ou d’éthanol sud-américain à des prix défiant toute concurrence. Le hic ? Là-bas, les règles ne sont pas les mêmes. Moins de contraintes sur les pesticides, des normes sociales bien plus souples, et surtout une déforestation massive qui permet d’ouvrir sans cesse de nouvelles surfaces agricoles.
Pour un éleveur français qui doit respecter des cahiers des charges draconiens, payer des cotisations sociales élevées et voir ses prairies protégées au titre de telle ou telle directive européenne, c’est tout simplement incompréhensible. Comment voulez-vous qu’il rivalise ?
« On nous demande de produire propre, local, durable… et en face on importe du bœuf nourri aux hormones et élevé sur d’anciennes parcelles de forêt amazonienne. Où est la logique ? »
Un éleveur entendu lors d’un blocage dans le Centre-Val de Loire
Des Actions Qui Se Multiplient Partout
Et cette colère, elle ne reste pas dans les assemblées générales. Elle descend dans la rue, ou plutôt sur les routes. Lundi matin, c’est l’autoroute A20 qui a été paralysée près de Vierzon avec plusieurs dizaines de tracteurs. Un peu plus au nord, l’A10 a été bloquée à la barrière de péage de Blois. Même scénario dans d’autres régions : feux de palettes, déversement de pneus ou de fumier devant les préfectures, les Caisses d’assurance maladie ou les grandes surfaces.
Ce qui frappe, c’est l’unité. Les trois grands syndicats – majoritaire, jeunes agriculteurs et le plus combatif – appellent ensemble à la mobilisation. C’est assez rare pour être souligné. Quand tout le monde agricole marche main dans la main, c’est que la situation est vraiment sérieuse.
- Blocages d’autoroutes dans le Cher et le Loir-et-Cher
- Déversement symbolique devant les administrations
- « Feux de la colère » allumés dans plusieurs villes
- Opérations escargot et distribution de tracts prévues toute la semaine
- Rassemblements devant les grandes surfaces pour dénoncer l’origine des produits
Au-delà du Mercosur : Un Ras-le-Bol Global
Mais réduire la mobilisation à l’accord Mercosur serait trop simple. Derrière, il y a tout un tas de griefs qui s’accumulent depuis des années.
Prenez les charges sociales et les cotisations : elles ont augmenté de façon mécanique ces dernières années, alors que les revenus, eux, ont plutôt tendance à baisser. Résultat ? Beaucoup d’exploitants travaillent 70 heures par semaine pour un revenu qui frôle parfois le SMIC. Et encore, seulement quand les aléas climatiques ou les cours mondiaux ne viennent pas tout remettre en question.
Ensuite, il y a la question du budget de la Politique Agricole Commune. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait le sanctuariser, voire l’augmenter. Mais dans les faits, on assiste plutôt à une érosion progressive. Et quand on sait que la PAC représente parfois 80 % du revenu de certaines exploitations, on comprend mieux l’inquiétude.
Et l’État Dans Tout Ça ?
Du côté du gouvernement, on alterne entre compréhension de façade et fermeté sur le terrain. On promet des discussions, on reçoit les syndicats, on annonce parfois quelques mesures d’urgence. Mais pour beaucoup d’agriculteurs, ça ressemble surtout à des cautères sur une jambe de bois.
Le problème, c’est que les décisions clés ne se prennent plus vraiment à Paris, mais à Bruxelles. Et là-bas, les lobbies agro-industriels sud-américains pèsent lourd. Très lourd. Alors quand le président français dit qu’il est contre l’accord « en l’état », certains agriculteurs haussent les épaules : ils ont déjà entendu ça… et rien n’a bougé.
Une Mobilisation Qui Pourrait Durer
Ce qui est sûr, c’est que le mouvement ne semble pas prêt de s’essouffler. Des actions sont déjà programmées toute la semaine dans plusieurs départements. Opérations péage gratuit, nouveaux blocages, rassemblements devant les sièges des grandes enseignes… tout y passe.
Et l’opinion publique ? Elle reste globalement favorable aux agriculteurs. Difficile de leur reprocher de défendre leur outil de travail quand on sait à quel point l’agriculture française est un pilier de notre souveraineté alimentaire. Même les automobilistes coincés dans les bouchons finissent souvent par comprendre, même s’ils râlent un peu sur le moment.
« On préfère déranger quelques jours que disparaître en silence pendant des années. »
Une phrase entendue sur un barrage qui résume assez bien l’état d’esprit actuel
Et Maintenant ?
La vraie question, c’est jusqu’où tout cela va aller. Est-ce que cette vague de contestation va forcer l’exécutif à durcir vraiment le ton à Bruxelles ? Est-ce que l’accord Mercosur va être enterré une bonne fois pour toutes ? Ou est-ce qu’on assistera, comme trop souvent, à un apaisement progressif avec quelques mesurettes cosmétiques ?
Une chose est sûre : les agriculteurs français ont montré à plusieurs reprises qu’ils savaient se faire entendre quand ils se sentaient dos au mur. Et aujourd’hui, c’est clairement l’impression qu’ils ont. Alors oui, les bloc790ages sont pénibles, les feux impressionnants, le fumier odorant. Mais derrière ces images, il y a des femmes et des hommes qui se battent pour que leurs enfants puissent, peut-être, un jour reprendre l’exploitation familiale.
Et ça, ça mérite au moins qu’on prenne quelques minutes pour comprendre pourquoi ils sont dans la rue. Avant qu’il ne soit trop tard.
Parce qu’au final, quand on n’aura plus d’agriculteurs français, on importera tout. Et là, on regrettera peut-être le bruit des tracteurs sur nos routes.
