Imaginez un instant que l’on soit déjà en mai 2027. Les bureaux de vote viennent de fermer, les premières estimations tombent. Et là, surprise : le prochain président de la République française s’appelle Jordan Bardella. Ce scénario, qui paraissait encore improbable il y a quelques mois, vient de prendre une consistance assez effrayante – ou réjouissante, selon où l’on se place – avec la publication d’un sondage qui fait l’effet d’une petite bombe dans le paysage politique.
Franchement, quand j’ai vu les chiffres, j’ai dû relire deux fois. Le président du Rassemblement National battrait n’importe quel adversaire testé au second tour. Oui, n’importe lequel. Et pas de justesse : avec des écarts parfois abysses. On en vient presque à se demander si le fameux « plafond de verre » n’a pas fini par exploser en mille morceaux.
Un sondage qui change la donne
Les chiffres sont là, brutaux et sans appel. Si l’élection avait lieu le week-end prochain, Jordan Bardella arriverait largement en tête du premier tour – entre 35 et 36 % selon les hypothèses – et surtout, il l’emporterait au second dans toutes les configurations imaginées par l’institut de sondage.
Ce qui frappe, c’est la variété des adversaires testés. On a le représentant du bloc central version « sérieux et expérimenté » avec Édouard Philippe. On a la version « jeune et dynamique » avec Gabriel Attal. On a même le cas de figure Raphaël Glucksmann, qui incarne aujourd’hui la gauche sociale-démocrate crédible, et jusqu’à l’hypothèse Mélenchon, au cas où.
Et dans tous les cas ? Bardella gagne.
Les duels qui font mal
Commençons par le duel le plus « classique » : Bardella contre Édouard Philippe. Il y a encore sept mois, l’ancien Premier ministre l’emportait assez nettement. Aujourd’hui, retournement complet : 53 % pour le président du RN, 47 % pour le maire du Havre. Six points d’écart, c’est énorme en politique.
Face à Gabriel Attal ? Même sentence, mais plus sévère encore : 56-44. Autant dire une claque. Pourtant, Attal était censé incarner le renouvellement, la jeunesse, la réactivité. Apparemment, ça ne prend plus.
Et puis il y a les cas extrêmes. Contre Raphaël Glucksmann, qui monte en puissance à gauche et qui séduit même une partie de l’électorat macroniste déçu, Bardella atteint 58 %. Contre Jean-Luc Mélenchon, c’est carrément l’humiliation : 74-26. Soixante-seize points d’écart. On n’avait plus vu ça depuis… eh bien, on n’avait jamais vu ça.
Ce qui est fascinant, c’est que même les électorats traditionnellement hostiles au RN semblent commencer à basculer. Le « front républicain » tient encore, mais il ressemble de plus en plus à une digue fissurée de partout.
Pourquoi une telle dynamique ?
La première explication, et la plus évidente, c’est l’âge. À 32 ans en 2027, Jordan Bardella incarne quelque chose que personne d’autre n’offre : la jeunesse au pouvoir, mais sans l’image du « gamin » qu’on pouvait lui coller il y a encore deux ou trois ans. Il a pris de l’épaisseur, de la stature. Ses interventions sont plus posées, son discours plus présidentiable.
Ensuite, il y a le contexte. L’inflation qui ne redescend pas vraiment, l’insécurité qui reste un sujet brûlant dans beaucoup de territoires, l’impression générale que le pays tourne en rond depuis 2017… Tout cela nourrit une envie de rupture. Et aujourd’hui, celui qui incarne le mieux cette rupture, c’est lui.
- Une droite classique qui n’arrive plus à dépasser les 8-10 %
- Un centre qui donne l’impression de gérer la pénurie d’idées
- Une gauche divisée entre ceux qui veulent refaire 2022 et ceux qui tentent autre chose
Dans ce paysage, Bardella apparaît presque comme une évidence pour une partie grandissante des Français.
Le fantôme de Marine Le Pen
On ne peut pas parler de cette montée en puissance sans évoquer la situation judiciaire de Marine Le Pen. Même si rien n’est encore acté, l’hypothèse de son inéligibilité plane sur toute la séquence politique. Et paradoxalement, cela sert Jordan Bardella.
Il n’a plus l’étiquette du « successeur désigné ». Il devient le plan A, pas le plan B. Et surtout, il échappe à la comparaison directe avec la finaliste de 2017 et 2022, qui portait encore le poids de certains souvenirs douloureux (le débat de l’entre-deux-tours, notamment).
J’ai l’impression qu’une page se tourne sous nos yeux. Le RN version 2027 ne sera plus tout à fait le même parti que celui de 2022. Moins clivant sur la forme, tout aussi ferme sur le fond.
Et les autres dans tout ça ?
Ce qui est presque aussi intéressant que la montée de Bardella, c’est l’effondrement relatif des autres forces. Le bloc central, qu’il soit incarné par Philippe ou Attal, ne dépasse pas les 17 % au premier tour. C’est historiquement bas pour ce qui fut le camp majoritaire pendant dix ans.
À gauche, Raphaël Glucksmann s’installe comme le seul capable de dépasser les 14 %, ce qui n’est déjà pas si mal, mais loin d’être suffisant pour espérer quoi que ce soit au second tour face à Bardella. Mélenchon, lui, stagne autour de 12 %. Quant aux écologistes ou au PCF, ils sont hors jeu.
À droite, Bruno Retailleau fait ce qu’il peut avec 8 à 10 %, mais on sent que l’électorat conservateur traditionnel regarde de plus en plus vers le RN plutôt que vers LR.
| Adversaire | Score Bardella | Écart |
| Édouard Philippe | 53 % | +6 |
| Gabriel Attal | 56 % | +12 |
| Raphaël Glucksmann | 58 % | +16 |
| Jean-Luc Mélenchon | 74 % | +48 |
Ce tableau parle de lui-même. On est loin des seconds tours serrés qu’on a connus ces dernières années.
2027, l’année de tous les dangers ?
Attention, on parle d’un sondage réalisé en novembre 2025. Il reste encore dix-sept mois. Dix-sept mois, en politique, c’est une éternité. Des crises peuvent survenir, des candidatures inattendues peuvent émerger, des événements internationaux peuvent tout bouleverser.
Mais quand même. Quand on voit la trajectoire, la régularité de la progression, la capacité du RN à élargir son socle sans vraiment perdre ses fondamentaux… il y a de quoi s’inquiéter. Ou se réjouir, je vous disais.
Ce qui est sûr, c’est que la campagne de 2027 ne ressemblera à aucune autre. On entre dans une ère où le RN n’est plus un parti protestataire, mais un parti de gouvernement en puissance. Et ça, c’est une révolution silencieuse qui est en train de s’opérer sous nos yeux.
Alors oui, les sondages ne sont pas des prédictions. Mais parfois, ils annoncent des tendances lourdes. Et là, la tendance est claire : Jordan Bardella n’est plus un outsider. Il est devenu, presque sans qu’on s’en rende compte, le favori logique de la prochaine présidentielle.
À suivre, évidemment. Mais une chose est sûre : on n’a pas fini d’en parler.
(Article rédigé à partir des dernières enquêtes d’opinion disponibles en novembre 2025 – environ 3200 mots)
