Vous est-il déjà arrivé de paniquer devant une fuite d’eau qui inonde la cuisine un dimanche soir ? Ou de vous retrouver bloqué dehors parce que la serrure a lâché ? Dans ces moments-là, on attrape son téléphone, on tape « dépanneur urgent » et on appelle le premier numéro qui sort. C’est humain. Et c’est exactement là-dessus que comptent certains escrocs.
J’ai récemment pris connaissance d’une affaire qui m’a littéralement glacé le sang. Une société de dépannage, présentée comme sérieuse et « locale », a réussi à extorquer plusieurs centaines de milliers d’euros à des personnes âgées, un peu partout en France. Et le pire ? Le système était rodé, presque industriel.
Une condamnation qui révèle l’ampleur du phénomène
Le 24 novembre dernier, deux hommes ont été condamnés devant le tribunal correctionnel de Senlis, dans l’Oise. Les chefs d’accusation ? Escroquerie en bande organisée, abus de faiblesse et pratiques commerciales trompeuses. Rien que ça.
Derrière l’entreprise se cachait un mécanisme bien huilé : des flyers patriotiques dans les boîtes aux lettres, des annonces qui trustent les premières places sur Google, des numéros surtaxés parfois, et surtout des intervenants qui, une fois sur place, gonflaient les factures jusqu’à l’indécence.
Ce qui me choque le plus ? Ce n’est pas une affaire isolée. C’est juste celle qui a fini devant la justice… pour l’instant.
Le mode opératoire, toujours le même
Imaginez la scène. Une personne de 80 ans, souvent seule, appelle pour une petite intervention : changer un joint qui fuit ou ouvrir une porte claquée. L’« artisan » arrive vite – ça, ils sont forts – et là, tout bascule.
- Le problème « mineur » se transforme soudain en catastrophe imminente : « Madame, si on ne change pas toute la colonne, c’est la légionellose assurée ».
- Les prix s’envolent : 150 € le joint devient 3 800 € « pour refaire toute la robinetterie en cuivre massif ».
- La pression psychologique : « Je commence tout de suite, sinon je ne peux pas garantir mon déplacement ».
- Le paiement immédiat exigé, souvent en espèces ou par chèque, parfois même en plusieurs fois sur plusieurs jours.
Et quand la victime réalise, un peu tard, que quelque chose cloche ? L’entreprise a déjà disparu dans la nature ou menace de saisie si la facture n’est pas réglée intégralement.
« Ils m’ont dit que si je ne payais pas tout de suite, ils repartaient avec le matériel déjà posé et que je devrais payer deux fois. J’ai eu peur, j’ai signé… »
– Témoignage d’une victime de 87 ans recueilli lors de l’enquête
Des victimes dans toute la France
Ce qui rend l’affaire particulièrement sordide, c’est son rayon d’action. On aurait pu penser à une petite bande locale. Eh bien non. Les enquêteurs ont retrouvé des victimes des Alpes-Maritimes jusqu’à la Bretagne, en passant par l’Île-de-France, le Centre-Val de Loire ou encore la Normandie.
Comment c’est possible ? Grâce à internet, tout simplement. Une bonne campagne de référencement payant, quelques annuaires bidons, et hop, le numéro apparaît en haut de la liste quand vous tapez « serrurier Lyon » ou « plombier Bordeaux », même si l’entreprise est basée à 600 km.
Ajoutez à cela des sous-traitants peu regardants, payés à la commission, et vous avez une machine à arnaquer qui fonctionne 7 jours sur 7.
Les chiffres qui font mal
Difficile d’avoir des statistiques officielles précises – beaucoup de victimes n’osent pas porter plainte, par honte ou parce qu’elles ne se rendent pas toujours compte de l’arnaque – mais les associations de consommateurs tirent la sonnette d’alarme depuis des années.
- Plus de 50 000 signalements par an pour des pratiques abusives dans le dépannage à domicile (source DGCCRF).
- Facture moyenne multipliée par 6 à 10 par rapport au prix réel du marché.
- 85 % des victimes ont plus de 70 ans.
- Montant moyen escroqué : entre 2 500 et 8 000 € par intervention.
Dans l’affaire qui nous occupe, le préjudice total dépasse largement les 300 000 €. Et encore, il ne s’agit que des dossiers retenus par le tribunal.
Pourquoi les personnes âgées sont-elles la cible privilégiée ?
Il y a plusieurs raisons, et elles sont toutes glaçantes de cynisme.
D’abord, la solitude. Beaucoup vivent de seniors vivent seuls et n’ont personne sous la main pour leur dire « attends, on va appeler le voisin » ou « je vais demander un second devis ».
Ensuite, la peur de l’urgence. Une fuite d’eau, un chauffage en panne en plein hiver, une porte bloquée… quand on a 80 ans, on n’a pas envie de rester dans le froid ou l’humidité.
Enfin, la confiance. Nos aînés ont grandi dans une époque où on faisait encore confiance à l’artisan qui venait à domicile. Le drapeau tricolore sur le flyer ? Ça rassure. Le sourire du gars ? On veut y croire.
Ils jouent sur la vulnérabilité, la politesse et parfois même la perte d’autonomie cognitive légère. C’est ignoble.
Que risque vraiment les escrocs ?
Dans cette affaire précise, les deux principaux mis en cause ont écopé de peines de prison (dont une partie avec sursis) et d’interdictions d’exercer dans le dépannage. L’entreprise a été dissoute.
Mais soyons honnêtes : c’est rare qu’ils aillent jusqu’au procès. Beaucoup changent simplement de nom, de SIRET, et recommencent ailleurs. C’est un vrai jeu du chat et de la souris.
Comment se protéger concrètement ?
Voici les réflexes que je donne systématiquement à ma propre mère (et que vous devriez transmettre à vos parents ou grands-parents) :
- Ne jamais appeler un numéro trouvé sur un flyer ou en première page Google sans vérifier.
- Demander un devis écrit et détaillé avant toute intervention. Un vrai artisan n’a pas peur de ça.
- Refuser tout paiement avant la fin complète des travaux et la réception d’une facture normale (avec TVA, adresse, SIRET vérifiable).
- En cas de doute, appeler un proche ou composer le 17. Les gendarmes ne vous factureront pas le conseil.
- Privilégier les artisans recommandés par le bouche-à-oreille ou les labels type « Artisan de confiance » ou « Qualibat ».
Un petit truc tout bête qui marche à tous les coups : tapez le nom de l’entreprise suivi du mot « arnaque » sur Google. Si ça sent le roussi, vous verrez tout de suite les avis négatifs et les alertes.
Et demain ?
Franchement, j’aimerais vous dire que cette condamnation va tout changer. Mais tant que le modèle économique sera aussi juteux et les contrôles aussi rares, le risque restera là.
Ce qui peut vraiment faire bouger les choses ? Nous. En parlant autour de nous, en signalant massivement sur SignalConso ou auprès des associations, en refusant systématiquement les pratiques douteuses.
Parce qu’un senior escroqué, ce n’est pas qu’une facture trop salée. C’est souvent la perte de confiance dans les autres, la honte d’avoir « été bête », parfois même la peur de refaire appel à qui que ce soit en cas de vrai besoin.
Et ça, ça n’a pas de prix.
Si vous avez été témoin ou victime de ce genre de pratiques, n’hésitez pas à laisser un commentaire (anonyme si vous préférez). Votre expérience peut aider quelqu’un d’autre à ne pas tomber dans le piège. Et si cet article vous a été utile, partagez-le autour de vous. Nos aînés méritent mieux que ça.
