Vous êtes déjà allé boire un verre les pieds dans le sable en regardant le soleil se coucher sur la Manche ? Moi oui, et franchement, c’est le genre de petit bonheur simple qui fait qu’on aime la côte normande. Alors quand j’ai appris qu’à Lion-sur-Mer, une paillote mythique risque de disparaître pour laisser place à un projet de place « embellie », j’ai tout de suite senti que l’histoire allait être plus compliquée qu’un simple chantier.
Parce que derrière les belles maquettes et les discours sur l’attractivité touristique, il y a un restaurateur qui se bat pour sauver vingt ans de travail, des habitants prêts à se mobiliser et une élection municipale qui approche à grands pas. Bref, tous les ingrédients d’un feuilleton dont on n’a pas fini d’entendre parler.
Une paillote qui dérange
Imaginez la scène. On est fin novembre, il fait frisquet, mais la salle des fêtes est pleine à craquer. Environ deux cents personnes se pressent pour découvrir les plans de la future place du « bac à sable », cet espace un peu délaissé juste derrière la digue de Lion-sur-Mer. Sur les écrans, on voit une esplanade propre, des gradins, un bâtiment tout vitré… et plus de trace de la paillote qui trône là depuis deux décennies.
Le message est limpide : la convention d’occupation temporaire qui liait la commune au restaurant L’Abri-Côtier ne sera pas renouvelée. Le patron, Antony Roussel, est prévenu depuis un an. Pour la mairie, c’est une question de légalité : impossible de continuer à louer le domaine public sans passer par un appel d’offres ouvert à tous. Logique administrative, en somme.
Mais dans la salle, ça gronde. Et pas qu’un peu.
« C’est un délit de sale gueule ! »
Lance une habitante, aussitôt applaudie. L’ambiance devient électrique. On sent que le sujet dépasse largement les questions techniques.
Vingt ans d’histoire balayés d’un trait
Pour comprendre pourquoi les gens montent au créneau, il faut remonter le temps. L’Abri-Côtier, ce n’est pas juste un resto de plage parmi d’autres. C’est un peu le cœur battant de l’été à Lion-sur-Mer. Ouvert quand beaucoup ferment dès septembre, cuisine maison, patron qui connaît tout le monde… le genre d’endroit où on se sent chez soi, même quand on est en tongs.
Antony Roussel, lui, vit ça comme une injustice personnelle. Il y a deux ans, il avait proposé de financer lui-même des travaux pour moderniser sa paillote – 150 000 euros de sa poche. Refusé. Aujourd’hui, il regarde les plans du futur bâtiment et calcule : les loyers risquent d’être exorbitants, surtout hors saison. Difficile, selon lui, de rentabiliser un outil aussi ambitieux sur une commune balnéaire de 2 500 habitants.
« Ils veulent ma tête », lâche-t-il, amer.
Le restaurateur au premier rang de la réunion
Et il n’est pas seul à le penser. Dans la salle, les soutiens pleuvent. « Il est toujours ouvert », « il cuisine bien », « pourquoi tout casser alors que ça marche ? ». Un élu tente maladroitement de recentrer le débat : « On n’est pas là pour parler de L’Abri-Côtier. » Les huées fusent. Raté.
Un projet qui arrive très (trop ?) tard dans le mandat
Ce qui ajoute de l’huile sur le feu, c’est le calendrier. Nous sommes en toute fin de mandat. Les travaux, même s’ils sont votés, ne commenceront pas avant les élections municipales de 2026. Beaucoup y voient une opération de communication : présenter un beau projet pour se faire réélire, quitte à laisser la patate chaude au suivant.
La maire, elle, défend son bilan. Elle rappelle que Lion-sur-Mer est la dernière commune de la côte à ne pas avoir rénové son front de mer. Les habitants attendent ça depuis longtemps, dit-elle. Et puis, il y aura une démarche participative pour définir le type de restauration souhaité. Sauf que pour l’instant, aucune date n’est avancée. Le flou artistique, quoi.
- Projet présenté fin 2025
- Pas de calendrier précis pour la consultation
- Travaux impossibles avant 2026
- Élections municipales au printemps 2026
Vous additionnez tout ça, et vous comprenez pourquoi certains parlent déjà de « bombe à retardement électorale ».
Domaine public : la règle qui change tout
Il y a un point sur lequel la mairie a raison, et il faut le dire clairement : la loi a évolué. Les conventions d’occupation temporaire du domaine public, quand elles dépassent une certaine durée ou valeur, doivent désormais passer par un appel d’offres. C’est la transparence, c’est la concurrence libre. Aucun favoritisme possible, même quand l’occupant historique fait bien son travail.
Mais dans les faits, ça veut dire que n’importe qui – un grand groupe, une chaîne – pourrait remporter l’exploitation du futur restaurant. Et là, adieu l’âme de la paillote à l’ancienne. C’est tout l’enjeu : entre la légalité irréprochable et le patrimoine vivant, où place-t-on le curseur ?
J’ai discuté avec des habitants après la réunion. Beaucoup disent la même chose : « On veut bien un bel espace, mais pas au prix de ce qui fait le charme du lieu. » Certains proposent même des solutions intermédiaires : intégrer la paillote existante dans le projet, la moderniser sans tout raser. Mais pour l’instant, la mairie semble camper sur ses positions.
Un précédent qui fait peur
Ce genre de conflit, ce n’est pas une première. Rappelez-vous La Grande-Motte il y a quelques années : l’éradication des paillotes privées avait fait hurler. Ici, on n’est pas au même niveau – il s’agit d’une seule structure – mais le parallèle est dans toutes les têtes. Quand une municipalité décide de « nettoyer » son front de mer, elle prend le risque de couper le lien avec ceux qui font vivre la plage au quotidien.
Et puis il y a cette procédure en justice qui plane. Antony Roussel continue d’ouvrir son restaurant, sans convention valide. La mairie a porté l’affaire devant le tribunal. Chacun campe sur ses positions, et l’issue reste incertaine. En attendant, les clients sont toujours là. Preuve que, quoi qu’en pensent les plans sur papier, la réalité du terrain est plus têtue.
Et maintenant ?
Ce qui est sûr, c’est que le dossier L’Abri-Côtier va accompagner la campagne municipale comme une ombre. Les opposants ont déjà un argument en or : « Ils préfèrent dépenser des millions pour un bâtiment vide en hiver plutôt que de soutenir un commerce qui tourne toute l’année. »
La maire, elle, devra convaincre que son projet n’est pas un caprice de fin de mandat, mais une vraie vision pour la commune. Et peut-être – qui sait – accepter de discuter d’une solution qui garderait l’esprit de la paillote tout en respectant la loi.
Parce qu’au fond, ce n’est pas qu’une histoire de restaurant. C’est une histoire de modèle de société : veut-on des fronts de mer aseptisés, parfaits sur les brochures, ou des lieux vivants, imparfaits, mais tellement humains ?
En attendant le prochain épisode – probablement dans l’isoloir –, une chose est sûre : à Lion-sur-Mer, la bataille de la paillote est lancée. Et elle risque de faire des vagues bien au-delà de la digue.
Et vous, vous en pensez quoi ? Vous seriez plutôt team « projet moderne » ou team « on touche pas à la paillote » ? Dites-le moi en commentaire, je suis curieux de connaître votre avis sur ce genre de dossier qui, mine de rien, touche à ce qu’on aime dans nos stations balnéaires.
