Imaginez la scène : nous sommes fin novembre 2025, le budget de l’État est bloqué comme jamais depuis des décennies, et voilà que le gouvernement sort deux jokers de sa manche. Deux débats, deux dates, deux sujets brûlants : la Défense nationale et le narcotrafic. Pas n’importe quels débats, non. Des débats prévus sous l’article 50-1 de la Constitution, cette arme un peu oubliée qui permet au pouvoir exécutif de mettre le Parlement face à ses responsabilités sans passer forcément par un vote de confiance classique.
Franchement, quand j’ai vu l’info tomber, j’ai souri. C’est du grand art politique ou une partie de poker menteur XXL ? Un peu des deux, probablement. Et c’est précisément ce qui rend la séquence fascinante à suivre.
Un calendrier sous haute tension
Les dates circulent déjà : le 10 décembre pour la Défense, le 17 décembre pour le narcotrafic. Rien n’est encore gravé dans le marbre – il faudra une lettre officielle du Premier ministre à la présidente de l’Assemblée – mais tout le monde comprend que le compte à rebours est lancé.
Pourquoi maintenant ? Parce que le budget 2026 patine sévère. Les oppositions, toutes couleurs confondues, ont décidé de jouer la montre et, pour certaines, de tout faire capoter. Et dans ce contexte, les armées risquent d’être les grandes perdantes. Six milliards d’euros supplémentaires étaient prévus pour la Défense. Six milliards qui pourraient purement et simplement disparaître si on passe en mode « douzième provisoire » en janvier.
Et là, le gouvernement a une idée : sortir les sujets qui fâchent (ou qui fédèrent) du débat budgétaire global pour les traiter à part. Un peu comme si on découpait le gâteau en tranches plus faciles à avaler séparément.
L’article 50-1, cette arme méconnue mais redoutable
Petit rappel pour ceux qui auraient oublié leurs cours d’instruction civique. L’article 50-1 permet au gouvernement de faire une déclaration sur n’importe quel sujet, suivie d’un débat avec les groupes parlementaires, et – c’est là que ça devient intéressant – éventuellement d’un vote.
Ce vote n’a pas la même portée qu’un vote de confiance classique (article 49-1 ou 49-3), mais il a une force symbolique énorme. Et surtout, il peut être intégré politiquement dans la suite des négociations budgétaires.
« Si le Parlement valide l’augmentation des crédits Défense, on pourra difficilement expliquer ensuite qu’on refuse le budget global qui les contient. »
– Un conseiller ministériel, sous couvert d’anonymat
C’est exactement le calcul. On met les oppositions devant le miroir : vous êtes pour renforcer nos armées ou pas ? Vous voulez vraiment laisser les militaires sans les moyens promis ou pas ? Difficile de dire non sans paraître irresponsable.
Le narcotrafic, deuxième cartouche inattendue
Le choix du narcotrafic comme second thème est plus surprenant. Et pourtant, terriblement malin.
Depuis deux ans, la France découvre avec stupeur que certaines de ses villes ressemblent parfois plus à Chicago 1930 qu’à la douce province qu’on imaginait. Fusillades à Marseille, règlements de comptes à Grenoble, trafics qui gangrènent des quartiers entiers… Le sujet est devenu explosif.
- Plus de 4000 armes saisies en 2024
- Une augmentation de 40 % des homicides liés au narco en trois ans
- Des zones où la police elle-même hésite à s’aventurer sans renforts massifs
En mettant ce sujet sur la table, le gouvernement fait d’une pierre deux coups :
- Il rappelle que la sécurité intérieure est une priorité absolue
- Il oblige la gauche à se positionner clairement sur la répression (car oui, une partie de la NUPES reste très ambivalente sur la question)
- Il offre un os à ronger au Rassemblement national, qui hurle depuis des mois que « la France devient un narco-État »
Beau joueur, le gouvernement pourrait même accepter certains amendements de l’opposition sur ce thème-là. Histoire de montrer qu’il sait tendre la main quand il le faut.
Les risques d’un pari aussi audacieux
Parce que oui, c’est un pari. Et pas des moindres.
Premier risque : que les oppositions refusent le jeu. Imaginez un député RN ou LFI qui prend la parole et dit tranquillement : « On ne votera rien tant que le budget global n’est pas renégocié de A à Z. » Effet garanti dans l’hémicycle.
Deuxième risque : que le débat dérape. Sur le narcotrafic surtout. On peut vite passer du débat de fond à la surenchère sécuritaire, aux amalgames douteux, aux propositions totalement irréalistes. Et là, le gouvernement perd le contrôle du récit.
Troisième risque, et pas des moindres : que certains députés de la majorité eux-mêmes fassent dissidence. On se souvient que sur les questions de sécurité, une partie des macronistes de la première heure reste très libérale, voire libertarienne sur la question des drogues.
Ce que ça dit de l’état de notre démocratie
Au-delà du coup tactique, il y a quelque chose de profondément révélateur dans cette séquence.
Depuis 2022 et la perte de la majorité absolue, le Parlement est redevenu un vrai lieu de pouvoir. Et le gouvernement doit inventer, jour après jour, de nouvelles manières de gouverner avec 577 députés qui, pour une fois, ont vraiment leur mot à dire.
L’article 50-1, qui dormait dans les cartons depuis des années, devient soudain une arme de négociation massive. C’est à la fois inquiétant (parce que ça contourne le débat budgétaire classique) et plutôt sain (parce que ça force tout le monde à prendre position publiquement sur des sujets graves).
« On assiste au retour du Parlement-roi, mais version 2025 : avec des débats thématiques, des votes ciblés, des négociations en coulisse. C’est chaotique, mais c’est vivant. »
– Un vieux routier de l’Assemblée
Et après ? Les scénarios possibles
Scénario 1 – Le succès : les deux débats passent avec de larges majorités (la Défense surtout), le gouvernement engrange des points, et le budget global finit par être adopté avant Noël, même avec des concessions.
Scénario 2 – Le demi-succès : la Défense passe, le narcotrafic divise, le budget reste bloqué mais le gouvernement a gagné du temps et de la légitimité sur un sujet régalien.
Scénario 3 – L’échec : les oppositions font front commun, refusent les votes ou les vident de substance, et on file vers un budget adopté par ordonnances en janvier. Avec des coupes drastiques dans les investissements.
Personnellement, je penche pour le scénario 2. La Défense devrait passer assez largement – même l’extrême gauche aura du mal à voter contre l’augmentation des crédits militaires dans le contexte géopolitique actuel. Le narcotrafic sera plus clivant, mais servira surtout de diversion.
Quoi qu’il arrive, une chose est sûre : ces deux journées de décembre 2025 resteront dans les annales parlementaires. Rarement on aura vu un gouvernement jouer aussi gros, aussi ouvertement, sur deux sujets aussi sensibles.
Et nous, citoyens, on va enfin pouvoir voir clairement qui est prêt à assumer ses responsabilités… et qui préfère jouer la politique du pire.
À suivre, donc. Très attentivement.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – environ 3150 mots)
