Franchement, quand la liste est tombée mardi soir, j’ai dû la relire trois fois. Un seul Français. Un seul. Dans le XV de l’année choisi par l’instance mondiale du rugby, alors que les Bleus viennent de remporter le Tournoi des Six Nations et qu’ils ont terminé l’année sur une série plutôt convaincante. La douche est froide, presque glaciale. Et pourtant, quand on gratte un peu, on comprend mieux pourquoi la planète ovale a les yeux rivés sur l’Afrique du Sud en ce moment.
Un XV Mondial qui Sent le Braai et le Vainqueur
Allez, on y va, voilà la composition qui fait jaser :
- Arrière : Will Jordan (Nouvelle-Zélande)
- Ailiers : Cheslin Kolbe (Afrique du Sud) et Louis Bielle-Biarrey (France)
- Centres : Huw Jones (Écosse) et Len Ikitau (Australie)
- Ouvreur : Sacha Feinberg-Mngomezulu (Afrique du Sud)
- Demi de mêlée : Cam Roigard (Nouvelle-Zélande)
- Trois-quarts : Tom Curry (Angleterre), Harry Wilson (Australie), Pieter-Steph Du Toit (Afrique du Sud)
- Deuxième ligne : Maro Itoje (Angleterre), Tadhg Beirne (Irlande)
- Piliers : Thomas Du Toit et Ox Nché (Afrique du Sud)
- Talonneur : Malcolm Marx (Afrique du Sud)
Six Springboks. Six. C’est simple : la première ligne est 100 % sud-africaine, la troisième ligne est menée par le monstre Pieter-Steph Du Toit, et même l’animation est confiée à un gamin de 22 ans qui a mis le Rugby Championship sens dessus dessous. On peut tourner ça comme on veut, ça ressemble à une démonstration de force.
Louis Bielle-Biarrey, l’Exception qui Confirme la Règle
Mais avant de crier au complot, parlons du seul rescapé tricolore. Louis Bielle-Biarrey, 22 ans, dix essais en huit sélections cette année. Dix. Laissez ça poser deux secondes. Le gamin a planté huit pions pendant le Tournoi des Six Nations – record partagé – et il a remis le couvert avec un doublé face à l’Australie le week-end dernier, dont cette spéciale « ballon au pied pour lui-même » qui rend fous les défenseurs.
Quand tu marques plus d’essais en une année internationale que certains ailiers historiques en carrière, tu mérites ta place. Point. Et pourtant, même lui a dû sentir la solitude sur cette liste.
« Je ne joue pas pour les distinctions individuelles, mais évidemment que ça fait plaisir. Maintenant, j’aurais préféré qu’on soit plusieurs… »
Louis Bielle-Biarrey, quelques heures après l’annonce
L’Afrique du Sud, Tout Simplement Irrésistible en 2025
Il faut être honnête : les Springboks ont tout écrasé cette année. Victoire dans le Rugby Championship avec la manière, tournée d’automne parfaite (Angleterre, pays de Galles, Écosse battus), et une profondeur de squad qui fait peur. Quand tu peux te permettre de laisser Eben Etzebeth, Damian de Allende ou Handré Pollard sur le banc sans que ça change grand-chose, tu joues dans une autre catégorie.
Et puis il y a ces joueurs qui sortent du lot. Malcolm Marx, élu meilleur joueur mondial de l’année, c’est presque une évidence. Le mec est revenu d’une rupture des ligaments comme si de rien n’était et continue de tout détruire en mêlée et en défense. Pieter-Steph Du Toit ? Une machine. Cheslin Kolbe ? Toujours ce petit pas de côté qui rend fou n’importe quel défenseur. Et puis ce jeune ouvreur, Feinberg-Mngomezulu, qui a pris la succession de Pollard avec une insolence rare à 22 ans.
Résultat ? Une première ligne monstrueuse, un talonneur hors norme, un flanker qui court partout et un ailier magique. Six joueurs, pas un de trop.
Et la France Dans Tout Ça ?
Maintenant, la question qui brûle les lèvres : où sont passés les autres Bleus ? Antoine Dupont, pourtant considéré comme le meilleur joueur du monde ces dernières années, n’apparaît même pas. Thomas Ramos non plus, malgré une régularité chirurgicale au pied. Grégory Alldritt, Damian Penaud, Peato Mauvaka… personne.
Plusieurs explications possibles. D’abord, l’irrégularité collective. Oui, la France a gagné le Tournoi, mais elle a aussi perdu des matchs qu’elle aurait dû gagner plus largement, et la tournée d’automne, même si elle s’est terminée en beauté, a été laborieuse par moments. Ensuite, la concurrence est féroce à certains postes. À l’ouverture, le jeune Sud-Africain a tout simplement été plus décisif que Damian Penaud cette année sur le plan international. À la mêlée, Cam Roigard a sorti des matchs stratosphériques.
Et puis il y a cette fameuse « année civile » qui inclut aussi la fin 2024. Les Springboks sortaient d’une Coupe du monde gagnée, ils ont enchaîné direct. Les Bleus, eux, ont connu une période de transition après la désillusion du quart de finale à domicile.
Ce Que Cette Sélection Nous Dit Vraiment
Au-delà du petit pincement au cœur patriotique, cette équipe type est assez juste. Elle récompense la constance sur douze mois, pas seulement un Tournoi. L’Afrique du Sud a été la nation la plus performante, point. L’Irlande, pourtant double tenante du titre dans le Six Nations avant 2025, n’a qu’un joueur (Tadhg Beirne). L’Angleterre en a deux, la Nouvelle-Zélande aussi. Seule l’Argentine fait zéro, mais c’est une autre histoire.
Ce qui est intéressant, c’est que cette sélection reflète aussi l’évolution du jeu. On voit de plus en plus de joueurs capables de tout faire : Ox Nché qui plaque comme un troisième ligne, Pieter-Steph Du Toit qui couvre le terrain comme un centre, Feinberg-Mngomezulu qui tape, passe et défend à un niveau élite dès sa première année pleine.
Et puis il y a cette jeunesse qui explose. Bielle-Biarrey, Roigard, Feinberg-Mngomezulu… tous ont 22-23 ans. Le rugby entre dans une nouvelle ère, et ça fait plaisir à voir.
Et Maintenant ?
Pour les Bleus, cette sous-représentation peut être un électrochoc. L’année 2026 arrive avec une tournée en Afrique du Sud et une autre en Nouvelle-Zélande. Si la France veut reconquérir sa place parmi l’élite mondiale, il va falloir hausser le curseur, collectivement et individuellement.
Quant à Louis Bielle-Biarrey, il a désormais une cible dans le dos. Être le seul Français dans ce XV, c’est une fierté, mais c’est aussi une pression énorme. On sait qu’il a les épaules. Reste à voir si les copains vont venir le rejoindre l’année prochaine.
Parce qu’en rugby, comme dans la vie, rien n’est jamais acquis. Et parfois, une claque, même virtuelle, c’est exactement ce qu’il faut pour se remettre en marche.
Allez, on se retrouve l’année prochaine pour voir si le bleu aura repris un peu de terrain sur le vert. En attendant, chapeau à Louis, et respect total aux Springboks. Ils l’ont mérité.
