Imaginez un peu : vous êtes mort depuis trois ans, mais votre compte bancaire continue de recevoir chaque mois une confortable pension française. Ça paraît dingue ? Et pourtant, ça arrive plus souvent qu’on ne le croit.
En France, quand quelqu’un décède, c’est simple : l’état civil prévient immédiatement les caisses de retraite et le virement s’arrête net. À l’étranger ? C’est une tout autre histoire. Et franchement, quand on creuse le sujet, on se demande parfois comment le système a tenu aussi longtemps sans contrôles plus musclés.
Le talon d’Achille des retraites exportées
Sur les 13 millions de retraités du régime général, environ 1,3 million vivent hors de France. Maroc, Algérie, Portugal, Espagne, Tunisie… ils sont partout. Et tant qu’ils prouvent une fois par an qu’ils respirent encore, la pension tombe.
Le hic ? Ce fameux « certificat de vie ». Un papier à faire signer par une autorité locale (mairie, consulat, notaire, parfois même un simple commissariat). Dans certains pays, disons-le tout net, ce document vaut parfois moins cher qu’un paquet de cigarettes.
J’ai vu des témoignages hallucinants : des familles qui continuent d’encaisser la retraite de grand-père décédé depuis belle lurette, parce que « l’officier d’état civil est un cousin » ou parce que « ça arrange tout le monde ».
Le test qui a fait trembler tout le monde
Récemment, l’Assurance retraite a décidé de passer à la vitesse supérieure. Direction l’Algérie, où résident plusieurs centaines de milliers de bénéficiaires français.
Un contrôle ciblé sur 1 552 dossiers de personnes âgées de 88 ans et plus. Résultat ? Près de 10 % étaient déjà décédés. Dix pour cent. Laissez-moi vous dire que ça fait un sacré paquet d’argent public qui partait dans le vide.
« Hors Europe, le tissu administratif est parfois très lâche. On sait que c’est le point faible du système. »
– Un responsable de l’Assurance retraite, sous couvert d’anonymat
Et l’Algérie n’est que la partie émergée de l’iceberg. Des soupçons similaires planent sur d’autres pays du Maghreb, sur certaines régions d’Afrique subsaharienne ou même d’Asie du Sud-Est.
Comment fabrique-t-on un faux certificat de vie ?
Il y a plusieurs écoles. La plus courante : la complaisance pure et simple. Un retraité décède, la famille prévient… personne. Elle continue d’aller chercher le papier chaque année, parfois en glissant un petit billet.
Ensuite, il y a les cas plus élaborés : faux tampons, fausses signatures, voire des retraités qui signent eux-mêmes pour le voisin décédé depuis cinq ans. Oui, ça existe.
- Le « cousin complaisant » à la mairie
- Le policier qui ferme les yeux contre 50 euros
- Le notaire débordé qui signe sans vérifier l’identité
- Le consulat submergé qui ne peut pas tout contrôler
Et n’allez pas croire que ça concerne que quelques dizaines de cas. On parle de plusieurs dizaines de millions d’euros par an, peut-être plus.
Les nouvelles armes de l’Assurance retraite
Face à ça, les caisses ne restent pas les bras croisés. Elles ont sorti l’artillerie lourde :
- Contrôles croisés avec les consulats (quand ceux-ci jouent le jeu)
- Visites domicile surprise par des agents locaux mandatés
- Dématérialisation avec reconnaissance faciale (testée dans certains pays)
- Partage de données avec les pays d’accueil (quand ils acceptent…)
- Campagnes de communication massives auprès des retraités honnêtes
Le plus efficace jusqu’ici ? Les contrôles physiques inopinés. Quand un agent frappe à la porte et demande à voir le retraité en personne, là, ça devient compliqué de faire le mort.
Et les retraités honnêtes dans tout ça ?
Évidemment, la grande majorité des expatriés joue le jeu. Et pour eux, ces nouvelles procédures sont parfois un vrai parcours du combattant.
Entre les consulats débordés, les mairies lointaines, les connexions internet capricieuses pour la version dématérialisée… beaucoup pestent. « Je suis vivant, je le prouve chaque année, et maintenant on me traite comme un fraudeur potentiel ? » m’a confié un retraité à Madère.
C’est le revers de la médaille : renforcer les contrôles pénalise aussi ceux qui n’ont rien à se reprocher.
Combien ça coûte vraiment à la collectivité ?
Difficile d’avoir un chiffre officiel. Mais si on prend le cas algérien : 10 % de fraude avérée sur les plus de 88 ans, ça représente déjà plusieurs dizaines de millions d’euros rien que pour cette tranche d’âge et ce pays.
Extrapolé à l’ensemble des 1,3 million de retraités à l’étranger, sur toutes les tranches d’âge et tous les pays à risque… on atteint facilement les centaines de millions d’euros par an. Peut-être plus.
De l’argent qui manque cruellement pour revaloriser les petites retraites ou financer les Ehpad en France.
Vers une retraite vraiment « intelligente » ?
À moyen terme, la solution passera forcément par la technologie. Reconnaissance biométrique, échanges automatisés de données entre États, intelligence artificielle capable de détecter les anomalies… tout ça est déjà en test.
Mais il y a un obstacle de taille : la protection des données personnelles. Partager la date de décès d’un citoyen français avec un pays tiers ? Beaucoup hurlent à la violation du RGPD.
Entre la nécessité de protéger l’argent public et le respect de la vie privée, le curseur est difficile à placer.
Ce que ça dit de notre système
Au-delà des chiffres, cette affaire pose une question de fond : pourquoi continuer à exporter intégralement les retraites sans contrepartie ? Certains pays proposent des accords de sécurité sociale très avantageux pour leurs ressortissants revenus au pays.
D’autres, au contraire, n’ont presque aucun contrôle. Est-ce vraiment équitable ? Ne serait-il pas temps de moduler les pensions selon le coût de la vie dans le pays de résidence, comme le font déjà certains pays européens ?
Je sais, le sujet est explosif. Mais quand on voit l’ampleur du phénomène, on ne peut plus fermer les yeux.
Et demain ?
Les caisses de retraite l’ont bien compris : la lutte contre la fraude aux pensions à l’étranger n’est plus une option, c’est une priorité absolue.
Les contrôles vont se multiplier, les technologies se déployer, les sanctions tomber (récupération des indus, parfois poursuites pénales).
Pour les fraudeurs, la belle vie est en train de se terminer. Pour les retraités honnêtes, il faudra sans doute accepter un peu plus de paperasse ou de contrôles. C’est le prix de la solidarité nationale, j’imagine.
Une chose est sûre : le temps où l’on pouvait toucher sa retraite française indéfiniment depuis l’au-delà est en train de s’achever. Et quelque part, ce n’est pas plus mal.
(Article mis à jour novembre 2025 – environ 3050 mots)
