Il pleuvait des cordes ce mardi matin sur Clermont-Ferrand, le genre de pluie fine et pénétrante qui vous colle aux os dès que vous sortez de la voiture. Devant l’Auchan du boulevard Côte-Blatin, les clients couraient presque, caddie à la main, comme s’ils voulaient encore profiter une dernière fois de « leur » magasin avant que tout change. Parce que oui, ça y est, la nouvelle est tombée : près de 300 supermarchés de l’enseigne au petit oiseau rouge vont basculer sous pavillon Intermarché ou Netto. Et dans le Puy-de-Dôme, ça fait l’effet d’une bombe.
Je me suis garé un peu plus loin, histoire d’observer la scène. Des habitués qui se connaissent depuis vingt ans, des retraités qui font leurs courses à heure fixe, des familles qui remplissent le coffre à ras bord… Tout ce petit monde semblait marcher au ralenti, comme s’il retenait son souffle.
Quand un simple changement d’enseigne fait trembler toute une ville
Personne n’aime le changement quand il touche aux repères du quotidien. Et un supermarché, surtout quand il trône en centre-ville depuis des décennies, c’est bien plus qu’un lieu où l’on remplit son frigo. C’est presque un monument local.
À l’intérieur, les décorations de Noël font ce qu’elles peuvent pour réchauffer l’atmosphère. Guirlandes dorées, faux sapins, promos sur les chocolats… Mais les sourires sont crispés. Une caissière, la cinquantaine bien tassée, me glisse entre deux « bonjour madame » :
« On nous prend vraiment pour des pions. On apprend ça comme ça, en réunion, et puis basta. On sait même pas si on va garder notre poste, notre ancienneté, notre mutuelle… »
Elle baisse la voix quand son responsable passe. La peur est palpable. Et elle est partagée par des centaines de collègues dans tout le département.
Des emplois en sursis dans une région déjà fragile
Dans le Puy-de-Dôme, le commerce de détail reste un gros pourvoyeur d’emplois. Entre les caissiers, les employés de rayon, les bouchers, les préparateurs de commandes drive… un hypermarché de cette taille, c’est facilement 150 à 200 salariés. Multipliez par les différents sites du département, et on parle de plusieurs centaines de familles directement concernées.
Et puis il y a la question de la convention collective. Passer d’une enseigne à l’autre, ce n’est pas anodin. Les accords d’entreprise, les primes, les horaires… tout peut être renégocié. Voire revu à la baisse.
- Perte possible d’ancienneté
- Remise en cause des avantages acquis
- Reclassements forcés sur d’autres sites
- Contrats précaires pour les plus jeunes
J’ai discuté avec un délégué syndical qui préfère rester anonyme pour l’instant. Il m’explique que les négociations ont à peine commencé et que les salariés se sentent déjà mis sur la touche.
Les clients, eux aussi, ont leur mot à dire
Ce qui m’a le plus marqué, c’est la réaction des habitués. Une mamie avec son caddie à carreaux me lance, presque en colère :
« Moi je viens ici depuis l’ouverture ! J’ai vu mes enfants grandir en faisant les courses avec moi. Si ça devient Intermarché, je sais même pas si je retrouverai mes produits… Et puis les prix, hein ? On verra bien, mais j’ai pas confiance. »
Elle n’est pas la seule. Beaucoup craignent une montée en gamme ou, au contraire, un positionnement trop discount qui ferait fuir la clientèle familiale. Entre ceux qui redoutent de perdre leurs marques préférées et ceux qui espèrent des prix plus bas, les avis sont partagés.
Mais une chose est sûre : la fidélité, dans la grande distribution, ça ne se décrète pas. Ça se construit sur des années. Et là, on demande aux clients de tout remettre en question du jour au lendemain.
Une guerre des enseignes qui ne date pas d’hier
Remettons un peu de contexte. La grande distribution française traverse une tempête depuis plusieurs années. Inflation, guerre des prix, arrivée en force des discounters allemands, essor du drive et des courses en ligne… Les parts de marché se battent au couteau.
Dans ce paysage, certaines enseignes historiques peinent à suivre le rythme. Trop de mètres carrés, des loyers exorbitants en centre-ville, une image parfois perçue comme vieillotte… Le diagnostic est connu.
Du côté des Mousquetaires (Intermarché/Netto), l’appétit est féroce. Le groupement indépendant cherche à grossir vite pour peser plus lourd face aux géants. Racheter des magasins clefs en main, avec le foncier et les équipes déjà en place, c’est la stratégie gagnante du moment.
Ce qui pourrait vraiment changer pour vous, client
Concrètement, à quoi s’attendre si votre Auchan du coin devient Intermarché ou Netto ? Voici les principaux scénarios qui se dessinent :
- Assortiment revu à la baisse : moins de références, plus de marques distributeur
- Prix agressifs sur les produits de première nécessité, mais parfois plus chers sur les marques nationales
- Rayons frais repensés : Intermarché mise beaucoup sur la boucherie et la poissonnerie « à l’ancienne »
- Carte de fidélité différente, avec un nouveau programme d’avantages à découvrir
- Ambiance potentiellement plus « locale » : les Mousquetaires aiment mettre en avant le made in France et les producteurs régionaux
Certains y verront du positif. D’autres regretteront l’ancien confort d’un hypermarché où l’on trouvait absolument tout.
Et les salariés dans tout ça ?
Revenons à ceux qui font tourner la boutique au quotidien. L’angoisse est maximale. Entre les rumeurs de fermetures de rayons, de mutualisation des équipes et de transferts forcés vers des magasins plus loin, beaucoup dorment mal.
Une hôtesse de caisse de 42 ans, deux enfants, me confie qu’elle a déjà vécu un plan social il y a dix ans. « À l’époque, on nous avait promis que c’était la dernière fois. Et voilà, ça recommence. »
Ce qui frappe, c’est le sentiment d’abandon. Comme si les années passées à porter l’enseigne, à sourire même les jours difficiles, ne comptaient plus.
Un modèle économique à bout de souffle ?
Derrière cette vague de reprises, il y a une réalité brutale : le modèle de l’hypermarché à la française, avec ses allées immenses et ses 30 000 références, est en train de mourir doucement. Trop cher à faire tourner, trop gourmand en énergie, trop compliqué à gérer.
Les consommateurs, eux, ont changé. On fait moins de grosses courses hebdomadaires, on privilégie le drive, les petits formats de proximité ou les discounters. Résultat : les grands paquebots commerciaux cherchent à se désendetter en cédant les magasins les moins rentables.
Mais pour les territoires, c’est une perte sèche. Un supermarché qui ferme ou qui se transforme, c’est toute une économie locale qui vacille : les fournisseurs régionaux, les artisans, les services annexes (pressing, pharmacie dans la galerie)…
Et maintenant ?
Les prochains mois vont être décisifs. Les négociations sociales, les audits des magasins, les décisions site par site… Rien n’est encore écrit.
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire touche tout le monde. Le salarié qui craint pour son avenir. Le client qui redoute de perdre ses habitudes. Le petit producteur auvergnat qui se demande si on continuera à référencer ses fromages.
En repartant sous la pluie, j’ai repensé à cette phrase entendue à la sortie : « Au fond, on est tous des pions sur l’échiquier de la grande distribution. » Triste, mais tellement juste.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Votre magasin habituel est-il concerné ? Comment vivez-vous ces bouleversements ? Les commentaires sont ouverts, comme toujours.
