Vous est-il déjà arrivé de vous endormir quelque part et de vous réveiller en réalisant que plus rien n’allait ? C’est exactement ce qu’a vécu une jeune femme un soir d’automne 2021 à Paris. Et l’homme qu’elle accuse aujourd’hui n’est pas n’importe qui : c’est l’un des visages les plus populaires du rap français actuel.
Quatre ans plus tard, l’affaire arrive enfin devant la justice. Le procès est fixé. Et il promet d’être suivi de très près.
Une soirée qui bascule dans l’effroi
Tout commence comme tant d’autres nuits parisiennes. Un établissement branché du 9e arrondissement, des verres qui s’enchaînent, l’ambiance qui monte. À un moment, plusieurs jeunes femmes sont invitées à rejoindre la table d’un artiste connu. L’euphorie de la soirée fait le reste. On rit, on prend des photos, on se sent un peu dans un clip.
Vers la fin de la nuit, le groupe se retrouve dans une chambre d’hôtel près de la gare de Lyon. Rien d’exceptionnel jusque-là : les afters font partie du décor quand on sort avec des personnalités du milieu urbain. Petit à petit, les amis du rappeur quittent la pièce. Restent quelques filles, fatiguées par les heures avancées et probablement par tout ce qui a été consommé.
Elles s’endorment. Et là, tout dérape.
« Je me suis réveillée parce qu’un rapport sexuel était en cours. Je n’avais rien demandé, rien consenti. »
Cette phrase, prononcée lors du dépôt de plainte quelques heures plus tard, résume l’horreur de la situation. La jeune femme réalise immédiatement la gravité des faits et porte plainte dès le lendemain. L’enquête commence.
Trois ans d’investigations acharnées
Ce n’est pas une affaire qui se règle en quelques mois. Entre auditions, reconstitutions, expertises téléphoniques et analyses toxicologiques, les enquêteurs vont mettre plus de trois ans pour boucler leur dossier. Pourquoi autant de temps ? Parce que dans ce genre de situation, il n’y a souvent ni témoin direct, ni violence physique apparente, ni traces évidentes. Tout repose sur la parole de la plaignante, les éventuelles incohérences du mis en cause et les éléments périphériques.
Et dans le cas présent, la cour d’appel a estimé que les charges étaient suffisamment solides pour renvoyer l’artiste devant une cour criminelle départementale. Un soulagement pour la victime qui, pendant tout ce temps, a dû vivre avec le poids d’une procédure interminable.
Un artiste au sommet… et dans le viseur
Difficile d’ignorer la trajectoire fulgurante du rappeur ces dernières années. Des tubes qui cartonnent, des millions de vues en quelques heures, une présence constante sur les plateformes de streaming. En juin 2024, il sortait encore son dixième album. Sur les réseaux, il reste suivi par plus d’un million de personnes. Rien ne semblait pouvoir arrêter cette ascension.
Mais depuis quelques mois, les nuages s’amoncellent. L’affaire parisienne n’est plus un secret pour personne dans le milieu. Et comme si cela ne suffisait pas, une seconde procédure a été ouverte à plusieurs centaines de kilomètres de là.
L’autre dossier qui complique tout
À l’été 2024, trois nouvelles plaintes pour des faits de viol et d’agressions sexuelles ont été déposées dans le Var. Même schéma : des jeunes femmes qui accusent l’artiste d’avoir profité de situations où elles n’étaient pas en mesure de consentir pleinement. Là encore, il conteste fermement les accusations.
Deux affaires distinctes, mais qui risquent de se télescoper dans l’opinion publique. Car même si la justice examine chaque dossier séparément, le grand public, lui, additionne. Et le doute s’installe.
- Octobre 2021 : première plainte à Paris
- 2022-2024 : instruction longue et minutieuse
- Été 2024 : mise en examen dans une seconde affaire dans le Var
- Février 2026 : procès pour les faits parisiens
On a presque l’impression d’assister à un effet domino. Ce qui n’était qu’une rumeur il y a quelques années prend aujourd’hui la forme d’un parcours judiciaire lourd.
La question brûlante du consentement
Au cœur de cette affaire, il y a une question qui dépasse largement le cas individuel : qu’est-ce qu’un consentement valable ? Peut-on considérer qu’une personne endormie – ou fortement alcoolisée, ou sous l’effet de substances – est en mesure de dire oui ? La loi française est claire depuis plusieurs années : non.
Mais dans les faits, prouver l’absence de consentement reste un exercice périlleux. Surtout quand l’accusé assure qu’il pensait que tout était réciproque. C’est souvent parole contre parole. Et c’est là que l’enquête technique prend tout son sens : messages, géolocalisation, témoignages croisés, analyses des consommations de la soirée… Chaque détail compte.
« Le sommeil, l’ivresse ou la prise de stupéfiants rendent une personne incapable de consentir. Point. »
– Association de défense des victimes
Cette phrase résume parfaitement l’évolution du droit ces dernières années. Ce qui pouvait passer pour une zone grise il y a vingt ans ne l’est plus aujourd’hui.
Un procès sous haute tension
Du 16 au 19 février 2026, la cour criminelle départementale va donc examiner les faits parisiens. Quatre jours pour tout reprendre : la soirée, l’hôtel, le réveil cauchemardesque, les déclarations parfois contradictoires, les expertises. Quatre jours aussi pour que la victime puisse enfin être entendue publiquement.
Du côté de la défense, on affiche une sérénité de façade. L’avocat répète que son client arrive « en toute sérénité », persuadé que les débats permettront de démontrer son innocence. Stratégie classique : laisser penser que la vérité finira par éclater au grand jour.
Mais on sait tous comment ça se passe dans ce genre de dossier médiatisé. La salle sera pleine. Les réseaux sociaux s’enflammeront à chaque suspension d’audience. Et quoi qu’il arrive, l’image de l’artiste en sortira abîmée.
Et le rap français dans tout ça ?
J’ai parfois l’impression qu’on vit une période charnière pour le rap game. Pendant longtemps, une forme d’omerta a régné. Les histoires de soirées, de comportements douteux, on les connaissait plus ou moins, mais ça restait en off. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et la parole qui se libère, plus rien ne passe sous silence.
Cette affaire n’est pas isolée. D’autres artistes ont déjà été rattrapés par des accusations similaires ces dernières années. Certains ont vu leur carrière stoppée net, d’autres ont réussi à passer entre les gouttes. Mais le message est clair : la célébrité ne protège plus comme avant.
Et c’est peut-être tant mieux. Parce que derrière chaque plainte, il y a une vie brisée. Une jeune femme qui a mis des années à se reconstruire. Une famille qui découvre des choses qu’elle n’aurait jamais imaginé. Des amis qui prennent parti ou qui se taisent.
Ce que ce procès nous dit de notre époque
Au-delà du cas particulier, cette affaire cristallise plusieurs phénomènes de société :
- La prise de conscience collective sur le consentement
- La fin progressive de l’impunité pour les personnalités publiques
- Le rôle des réseaux sociaux dans l’amplification ou la destruction des carrières
- La difficulté persistante à juger les affaires de violences sexuelles
On est loin du simple fait divers people. On touche à quelque chose de beaucoup plus profond dans notre rapport à la célébrité, au pouvoir et à la responsabilité.
En février, on saura si la justice estime que les faits sont caractérisés. Mais d’une certaine manière, le verdict importe presque moins que le simple fait que ce procès ait lieu. Parce qu’il montre que plus personne n’est intouchable. Ni les stars des charts, ni les rois du streaming.
Et ça, franchement, c’est une forme de progrès.
