Il est un peu plus de 22 heures, ce lundi 25 novembre. La nuit est déjà bien installée sur la N104, cette portion de la Francilienne qui traverse l’Essonne comme une veine essentielle du trafic francilien. Et puis, brutalement, le choc. Deux mastodontes de la route se percutent. Le bruit doit être assourdissant, même si personne ne l’entendra vraiment à des kilomètres à la ronde.
Quand on vit près de ces grands axes, on finit presque par s’habituer au ronronnement continu des moteurs. Mais parfois, un silence étrange tombe, suivi des sirènes. Et là, on comprend que quelque chose de grave vient de se produire.
Un accident qui glace le sang
Dans la commune de Linas, à hauteur du kilomètre où la N104 file vers Évry-Courcouronnes et Melun, deux poids lourds sont entrés en collision frontale ou latérale – les enquêteurs le diront précisément plus tard. Ce qu’on sait déjà, c’est que l’un des chauffeurs, un homme de 43 ans, s’est retrouvé prisonnier de sa cabine complètement broyée.
Les pompiers parlent d’une désincarcération complexe. Il a fallu l’unité spécialisée USAR, ces gars formés pour les situations où chaque minute compte double. Cisaille, écarteur, tout l’attirail. Pendant ce temps, le cœur du conducteur ne bat peut-être déjà plus tout à fait régulièrement.
Transporté en urgence absolue à la Pitié-Salpêtrière, l’un des meilleurs services pour ce type de polytraumatismes en Île-de-France. À l’heure où j’écris ces lignes, on ignore encore si l’homme s’en sortira. Ce genre de nouvelle, ça vous prend aux tripes.
Une mobilisation impressionnante
21 pompiers. 12 engins. Quand on voit ces chiffres, on mesure l’ampleur du sinistre. Ce n’est pas une simple sortie de route, c’est un accident qui a nécessité de couper complètement la circulation dans le sens Évry-Melun pendant plusieurs heures.
Les automobilistes ont été déviés sur la N20, cette bonne vieille nationale qui absorbe déjà bien trop de trafic en temps normal. Résultat : des bouchons monstrueux jusqu’au petit matin. La circulation n’a repris qu’un peu après 2 heures.
Quand on voit arriver autant de camions rouges tous feux allumés, on sait que c’est sérieux. Très sérieux.
Un riverain habitué aux accidents sur cet axe
La N104, une route sous tension permanente
Franchement, ceux qui empruntent régulièrement la Francilienne ne seront pas surpris. Cet axe concentre tout ce qui peut mal tourner sur une route : trafic dense, poids lourds en grand nombre, portions à deux voies seulement, éclairage parfois déficient la nuit, et des conducteurs – qu’ils soient en voiture ou en camion – souvent fatigués.
J’ai moi-même roulé des centaines de fois sur cette portion entre Corbeil et Arpajon. On sent que ça circule à la limite de la rupture. Un moment d’inattention, un endormissement, une perte de contrôle, et c’est la catastrophe.
- Trafic international intense (beaucoup de camions étrangers)
- Vitesse souvent élevée malgré les 90 km/h théoriques
- Nombreuses bretelles d’entrée et de sortie mal conçues
- Fatigue accumulée des chauffeurs longue distance
- Conditions météo parfois difficiles (brouillard fréquent en automne)
Et pourtant, on continue à concentrer toujours plus de poids lourds sur ces routes. Parce que c’est plus rapide que l’A6 ou l’A10 aux heures de pointe. Parce que les GPS des transporteurs indiquent souvent cet itinéraire. Parce que, quelque part, tout le monde ferme les yeux.
Le deuxième chauffeur indemne : un miracle ?
Ce qui frappe aussi, c’est que l’autre conducteur s’en sorte sans une égratignure. Ou presque. On imagine mal comment c’est possible quand on voit la violence qu’un choc entre deux 40 tonnes peut générer.
Peut-être une différence d’angle, peut-être la cabine de l’un était plus récente et mieux protégée, peut-être tout simplement la chance. Ou la malchance, selon le côté où on se trouve.
Ces accidents où l’un des protagonistes est gravissime et l’autre repart presque comme si de rien n’était, ils posent toujours des questions dérangeantes. Sur la conception des cabines, sur les systèmes de sécurité, sur la formation aussi.
La fatigue, ce tueur silencieux
22 heures, un lundi soir. Beaucoup de chauffeurs routiers terminent leur journée ou enchaînent après une pause légale. On connaît la chanson : les temps de conduite, les temps de repos, tout est encadré. Mais dans la réalité ? Entre les pressions des entreprises, les embouteillages qui décalent tout, les livraisons urgentes, beaucoup roulent au-delà de leurs limites.
Je ne jette la pierre à personne. Être chauffeur poids lourd aujourd’hui, c’est un métier dur, mal payé par rapport à la responsabilité, et souvent solitaire. Mais quand on voit un accident comme celui-ci, on ne peut pas s’empêcher de penser que quelque part, il y a peut-être eu ce moment où les paupières deviennent lourdes, où la vigilance baisse d’un cran.
Et une seconde d’inattention à 90 km/h avec 40 tonnes, ça ne pardonne pas.
Que va révéler l’enquête ?
Pour l’instant, on ne sait rien des circonstances précises. Qui a dévié de sa trajectoire ? Y a-t-il eu un animal sur la chaussée ? Un malaise ? Un problème technique ? Les gendarmes vont éplucher les disques chronotachygraphes, analyser les traces de freinage, interroger le conducteur indemne.
Dans quelques semaines, on aura peut-être des réponses. En attendant, une famille vit dans l’angoisse à l’hôpital. Et des milliers d’usagers de la N104 se demandent s’ils ne vont pas, un jour, se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Et nous, que peut-on faire ?
On peut toujours se dire « ça n’arrive qu’aux autres ». Mais quand on voit la fréquence de ces accidents graves impliquant des poids lourds en Île-de-France, on se pose quand même la question.
- Respecter scrupuleusement les distances de sécurité (surtout derrière un camion)
- Éviter les angles morts (ils sont énormes)
- Ne pas klaxonner ou coller un camion qui ralentit sans raison apparente – il voit peut-être quelque chose que vous ne voyez pas
- Signalement rapide en cas de comportement dangereux (le 112 fonctionne très bien)
Ce n’est pas grand-chose. Mais dans un monde où la route reste le premier lieu de mortalité au travail en France, chaque geste compte.
Ce soir-là, sur la N104, un homme de 43 ans luttait pour sa vie. Derrière ce fait divers, il y a un père, un fils, un mari peut-être. Il y a aussi tout un système qui continue de faire rouler des milliers de camions dans des conditions parfois limites.
Prenez soin de vous sur la route. Et si vous croisez un camion ce soir, laissez-lui un peu plus d’espace qu’hier.
Parce qu’on ne sait jamais.
