Vous souvenez-vous du printemps 2023 ? Les manifs, les casseroles, les débats enflammés sur l’âge de départ à 64 ans… On croyait l’histoire close. Et pourtant, deux ans et demi plus tard, la réforme des retraites revient hanter l’Assemblée comme un fantôme qu’on n’arrive pas à exorciser.
Hier soir, le Sénat a tout simplement balayé d’un revers de main la concession arrachée de haute lutte par le gouvernement : le report à janvier 2028 de la montée progressive à 64 ans. 190 voix contre 108. Un score sans appel. Et pour enfoncer le clou, les sénateurs ont remis sur la table le gel des prestations sociales en 2026 – même si, petite mansuétude, ils épargnent les pensions inférieures à 1 400 euros mensuels.
Un camouflet retentissant pour le gouvernement
Franchement, quand on suit la politique française depuis quelques années, on commence à avoir l’habitude des rebondissements. Mais là, on touche quand même à un niveau rarement atteint depuis la crise du budget 2024.
Le Premier ministre avait pourtant mis tout son poids dans la balance. Reporter l’application complète de la réforme Borne, c’était c’était le prix à payer pour obtenir le soutien (ou du moins l’abstention) des socialistes sur le budget de la Sécurité sociale. Un marché politique classique : je vous donne un bout de réforme des retraites, vous me laissez passer mon PLFSS.
Patatras. La chambre haute, à majorité de droite, a dit non. Et pas qu’un peu.
« La suspension de la réforme des retraites, c’est le tribut payé par le gouvernement à la gauche pour durer »
– Un poids lourd de la majorité sénatoriale
La phrase est cinglante. Et elle résume assez bien l’état d’esprit qui règne actuellement au Palais du Luxembourg.
Pourquoi le Sénat a-t-il refusé si massivement ?
Il y a d’abord une question de cohérence idéologique. La droite sénatoriale a toujours soutenu la réforme de 2023. La voir ainsi bradée pour quelques voix à l’Assemblée, ça passe mal. Très mal.
Ensuite, il y a la question budgétaire pure. Reporter la réforme à 2028, c’est repousser d’autant les économies prévues – environ 18 milliards d’euros par an en rythme de croisière. Dans un contexte où le déficit de la Sécu reste abyssal (on parle encore de plus de 10 milliards en 2026), beaucoup estiment qu’on ne peut plus se permettre ce genre de « pause ».
- Le gel des pensions (hors petites retraites) est rétabli pour 2026
- Les prestations familiales et aides au logement ne seront pas revalorisées non plus
- Seules les retraites inférieures à 1 400 €/mois gardent l’indexation sur l’inflation
- Le report à 2028 de l’âge légal à 64 ans est supprimé
Cette liste, votée hier soir, ressemble furieusement au texte initial du gouvernement… avant les concessions.
Et maintenant ? Vers l’échec de la commission mixte paritaire
C’est là que ça devient vraiment intéressant. Ce mercredi soir doit se tenir la fameuse CMP, cette réunion où 7 députés et 7 sénateurs tentent de trouver un texte commun.
Sauf que là, les positions sont aux antipodes. Un cadre de la majorité me confiait hier : « Il y a zéro chance qu’il y ait un accord. » Autant dire que tout le monde s’attend à un échec.
Conséquence concrète : le texte repartira en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale la semaine prochaine. Et là, la majorité relative du bloc central devra trouver 289 voix pour adopter définitivement le budget de la Sécu. Sans 49.3 (le gouvernement a juré qu’il n’y toucherait plus), ça s’annonce sportif.
Lecornu change encore de méthode
Face au mur, le Premier ministre dégaine une nouvelle stratégie : des débats thématiques suivis de votes sur les « priorités absolues » du pays. Le premier, le 10 décembre, portera sur la défense. Suivra le narcotrafic.
L’idée ? Faire voter les Républicains sur des sujets où ils sont d’accord avec le gouvernement, pour ensuite leur dire : « Vous avez voté la défense avec nous, vous pouvez bien voter le budget aussi, non ? »
Certaines voix à gauche y voient une tentative habile. D’autres, une manœuvre un peu désespérée. Un député socialiste résumait bien l’état d’esprit : « Lecornu veut forcer LR à voter le budget en les faisant voter d’abord sur la défense. »
« Nous avons besoin de faire avancer le pays »
– Olivier Faure, premier secrétaire du PS
Même Olivier Faure, pourtant allié objectif du moment, refuse l’idée d’un « échec collectif ». Il fustige LFI et le RN qui, selon lui, veulent « faire dérailler le train ».
Les petites retraites protégées : le seul point d’accord ?
Dans tout ce chaos, il y a quand même une petite lumière. Le Sénat a conservé l’indexation sur l’inflation pour les pensions inférieures à 1 400 euros par mois.
Concrètement, environ 40 % des retraités ne verront pas leur pouvoir d’achat se dégrader en 2026. C’est toujours ça de pris. Mais pour les autres, la douche risque d’être froide.
Et nous, dans tout ça ?
Parce qu’au final, c’est bien de nous qu’il s’agit. Si le report à 2028, c’était une respiration. Une possibilité de repartir sur de nouvelles bases, de négocier une réforme plus juste, plus concertée.
Le refus du Sénat referme cette porte. Et replace des millions de Français nés après 1961 face à une réalité brutale : vous partirez bien à 64 ans. Point final.
L’aspect le plus rageant, c’est que tout le monde sait que le système a besoin d’être réformé. Mais entre ceux qui refusent toute évolution et ceux qui veulent tout faire passer en force, on n’avance pas.
Alors on bricole. On reporte. On suspend. On rétablit. Et pendant ce temps, le déficit continue de creuser.
La semaine prochaine sera décisive. Soit l’Assemblée trouve un miracle et vote le budget sans 49.3, soit on se dirige vers un nouveau blocage institutionnel majeur.
Et quelque part, on a tous l’impression de revivre 2023 en boucle. Sauf que cette fois, c’est pire : plus personne n’y croit vraiment.
À suivre, donc. Très attentivement.
