Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez entendu « Chante » à fond dans une salle des fêtes ou sur une piste de roller ? Moi oui. C’était le genre de morceau qui faisait bondir tout le monde, même les plus timides, même ceux qui juraient détester le rock. Hier soir, la nouvelle est tombée comme un rideau de scène qui s’abat trop tôt : Albert Kassabi, celui qu’on appelait simplement Bébert, n’est plus. À 63 ans, il a tiré sa révérence après une longue maladie. Et franchement, ça fait un drôle de pincement au cœur.
Les Forbans, ou comment quatre potes ont mis la France sens dessus dessous
Remontons un peu le temps. Fin des années 70, banlieue parisienne. Quelques lycéens qui se connaissent depuis la cour de récréation décident de monter un groupe. Rien de très original jusque-là, sauf que ces gars-là ont une énergie communicative et une passion sincère pour le rock’n’roll des origines : Elvis, Eddie Cochran, toute cette vague qui faisait swinguer les blousons noirs vingt ans plus tôt. Ils choisissent un nom qui claque, Les Forbans, et commencent à écumer les surprises-parties.
Le déclic arrive en 1982. Ils adaptent un vieux titre d’Ernie Maresca, « Shout ! Shout ! (Knock Yourself Out) », et en font Chante. Le morceau est simple, direct, efficace. On tape dans les mains, on crie, on saute. En quelques semaines, c’est la folie. Près de deux millions d’exemplaires vendus – un chiffre qui donne le vertige quand on sait qu’à l’époque il n’y avait ni streaming ni playlists virales. Juste la radio, le bouche-à-oreille et des jambes qui ne tiennent plus en place.
Un style qui ne trichait jamais
Ce qui rendait les Forbans différents ? Ils ne cherchaient pas à être modernes pour être modernes. À l’époque où la new wave et le synthé régnaient en maîtres, eux assumaient leurs bananes gominées, leurs chemises à carreaux et leurs jeans retroussés. Bébert, avec sa voix rauque et son sourire jusqu’aux oreilles, incarnait parfaitement cette joie de vivre sans filtre. Sur scène, il ne jouait pas le rock : il était le rock.
« On ne fait pas ça pour la gloire, on fait ça parce qu’on aime ça. Le jour où on ne s’amuse plus, on arrête. »
– Bébert, dans une interview des années 2000
Et ils ne se sont jamais vraiment arrêtés. Même quand la vague yé-yé revival est retombée, même quand les modes ont changé dix fois, les Forbans ont continué à tourner. Cinquante concerts par an ces dernières années, parfois dans des petites salles, parfois dans des festivals nostalgie. Toujours le même plaisir, toujours le même public qui venait chanter avec eux.
Des tubes qui ont traversé les générations
Parce qu’il n’y avait pas que « Chante ». Loin de là. On pourrait dresser une playlist interminable :
- « Tape des mains » qui mettait tout le monde d’accord dès les premières notes
- « Le rock du bagnard », parfait pour les soirées déguisées
- « Flip flap », idéal pour apprendre à danser le madison à ses enfants
- « Je l’aime à mort ma mobylette », hymne à la liberté adolescente
- « Coucou maman », tendre et rigolo à la fois
Ces chansons, on les a toutes entendues à des mariages, des anniversaires, des soirées camping. Elles font partie du patrimoine collectif, comme « La chenille » ou « Les sardines ». Sauf que derrière, il y avait des musiciens solides, des arrangements malins et surtout une vraie complicité de groupe.
L’Olympia, Âge Tendre et les copains de toujours
2018 restera gravé dans les mémoires : les quarante ans du groupe fêtés sur la scène mythique de l’Olympia. La salle était pleine à craquer, plusieurs générations mélangées. Ceux qui avaient vingt ans en 1982 venaient avec leurs enfants, parfois leurs petits-enfants. Preuve que la musique des Forbans n’a pas pris une ride – ou alors juste quelques cheveux gris charmants.
Avant ça, il y avait eu la grande aventure Âge Tendre. De 2006 à 2014, Bébert et ses acolytes ont sillonné la France avec Sheila, Dave, Michèle Torr ou Richard Anthony. Des cars entiers de fans suivaient la tournée, des villes entières chantaient en chœur. C’était plus qu’un spectacle, c’était une grande fête de famille.
Un départ trop tôt, mais une trace indélébile
63 ans, c’est jeune pour un rocker. On aurait pu imaginer Bébert continuer encore dix, vingt ans, avec le même enthousiasme. La maladie en a décidé autrement. Hier, c’est Michel Papain, le batteur historique et cofondateur, qui a annoncé la nouvelle au nom de toute la famille. On imagine la peine immense des proches, des musiciens, des fans.
Mais si Bébert nous laisse, il nous laisse aussi quelque chose d’immense : des souvenirs joyeux, des refrains qu’on se surprend encore à fredonner sous la douche, des vidéos de concerts où l’on voit ce grand gaillard sauter comme un gamin. Le rock’n’roll français perd une de ses voix les plus chaleureuses, mais il garde ses chansons. Et ça, personne ne pourra nous l’enlever.
« On n’a peut-être pas changé le monde, mais on a fait danser des millions de gens. Et ça, c’est déjà pas mal. »
– Bébert
Alors ce soir, si vous avez une vieille K7 qui traîne, ou simplement une playlist sur votre téléphone, mettez « Chante » à fond. Tapez dans les mains. Sautez. Et pensez très fort à ce grand bonhomme qui nous a fait aimer le rock à la française. Merci Bébert. Tu vas nous manquer, mais tes chansons, elles, sont éternelles.
Repose en paix, chef des Forbans. Quelque part, on est sûrs que tu es déjà en train de monter un nouveau groupe là-haut, avec Elvis et tous les copains.
