Il y a des nuits qu’on n’oublie jamais, même quand on n’y était pas. Celle du 15 au 16 juillet 2021, à Sainte-Geneviève-des-Bois, en fait partie. Un gamin de 19 ans, Arthur, est rentré chez lui dans un sac mortuaire après avoir croisé la route d’une bande qui n’avait visiblement pas fini sa soirée. Battu, humilié, filmé comme un trophée de chasse. Et puis plus rien. Juste le silence d’un coma qui ne s’est jamais terminé.
Quatre ans et demi plus tard, la cour d’assises de l’Essonne ouvre enfin le bal. Un seul accusé sur le banc, mais derrière lui toute une génération qui semble avoir perdu le nord. On va reparler de cette affaire, oui. Mais surtout, on va essayer de comprendre comment on en est arrivé là.
Une soirée qui bascule en quelques minutes
Ce soir-là, l’ambiance est déjà électrique dans le quartier. Deux groupes de jeunes, issus de cités différentes, se cherchent depuis un moment. Rien de bien nouveau sous le soleil de la banlieue sud de Paris : des histoires de regards, de territoires, de « qui est le plus fort ». Sauf que cette fois, ça va trop loin.
Arthur n’est même pas censé être là. Il sort d’une soirée, il est avec des potes, il n’a rien demandé à personne. Mais il va se retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Les coups pleuvent. Poings, pieds, tout y passe. Les témoins – s’il y en a vraiment – diront plus tard qu’ils n’ont rien pu faire. La meute est trop nombreuse, trop déchaînée.
Puis vient le moment où tout devient irréel. Une fois Arthur au sol, inconscient, certains décident que ce n’est pas assez. Ils baissent son pantalon, le laissent à moitié nu, le corps inerte sur le bitume. Et là, les téléphones sortent. On filme. On zoome sur le visage défoncé, sur le sang qui coule. On rit, paraît-il. Quelques minutes plus tard, les vidéos tournent déjà sur Snapchat et Instagram.
« C’était comme s’ils voulaient garder un souvenir. Un truc à montrer aux autres pour dire : regarde ce qu’on a fait. »
– Un proche de la victime, lors de l’enquête
L’humiliation comme trophée 2.0
Ce qui choque le plus, même des années après, c’est cette mise en scène. Tuer quelqu’un, hélas, ça arrive. Mais prendre le temps de le filmer, de le dégrader une fois qu’il ne peut plus se défendre, ça relève d’autre chose. D’une forme de barbarie moderne où les réseaux sociaux servent de vitrine à la cruauté.
J’ai vu des extraits de ces vidéos – floutés, bien sûr – lors de la préparation du procès. Et franchement, ça retourne l’estomac. Un gamin de 19 ans, le visage méconnaissable, réduit à un objet de moquerie. On se croirait dans un mauvais film d’horreur, sauf que c’est bien réel.
- Le corps exposé comme un trophée
- Les rires en fond sonore
- Les commentaires qui pleuvent ensuite sur les réseaux : « Bien fait », « Il l’a cherché »
- La diffusion massive en quelques heures
Cette humiliation filmée, c’est presque pire que les coups eux-mêmes. Parce qu’elle prolonge la souffrance au-delà de la mort. La famille d’Arthur a dû vivre avec ces images qui tournaient en boucle. Imaginez-vous à leur place.
Deux jours d’agonie à l’hôpital
Transporté en urgence, Arthur arrive dans un état désespéré. Traumatisme crânien sévère, hématome sous-dural, le cerveau complètement bousillé. Les médecins font ce qu’ils peuvent, mais très vite, c’est clair : il ne se réveillera pas.
Ses proches restent à son chevet pendant quarante-huit heures. Deux jours à espérer un miracle qui ne viendra jamais. Le 18 juillet 2021, le cœur s’arrête. Arthur avait 19 ans. Il venait de passer son bac, il parlait de partir en voyage avec des copains, il avait toute la vie devant lui.
Et tout ça pour quoi ? Une histoire de quartier ? Un regard de travers ? Personne n’a jamais vraiment su expliquer le déclencheur précis. Juste cette spirale absurde qui transforme une soirée d’été en cauchemar.
L’enquête : identifier les bourreaux dans le chaos
Dès le lendemain, les enquêteurs se retrouvent face à un mur. Beaucoup de monde sur place, mais personne n’a rien vu, rien entendu. Classique. Heureusement, il y a les vidéos. Ces fameuses vidéos que les agresseurs ont eux-mêmes diffusées. Ironique, non ? Ils ont fourni les preuves de leur propre crime.
Petit à petit, les visages sont identifiés. Certains sont mineurs au moment des faits, d’autres à peine majeurs. L’accusé qui passe actuellement devant les assises avait 20 ans à l’époque. Il nie farouchement être l’auteur des coups mortels, mais reconnaît avoir été présent. Et surtout, il apparaît clairement sur certaines images, en train de frapper.
Plusieurs autres participants ont été jugés séparément, souvent devant des tribunaux pour enfants ou pour jeunes majeurs. Des peines légères, parfois. Ce qui rend la famille d’Arthur folle de rage. Pour eux, tout le monde devrait répondre du meurtre, pas juste d’avoir « participé ».
Le procès : quatre ans pour en arriver là
Novembre 2025. La cour d’assises de l’Essonne est pleine à craquer. La mère d’Arthur est là, le regard vide. Elle a vieilli de dix ans en quatre. À ses côtés, des amis, des cousins, tous venus soutenir mais aussi obtenir des réponses.
L’accusé, lui, est calme. Costume sombre, cheveux courts, il parle posément. Il dit qu’il regrette, qu’il n’a jamais voulu ça. Qu’il s’est laissé emporter par le groupe. La fameuse excuse du « phénomène de foule ». Sauf que quand on voit les vidéos, on a du mal à y croire.
« Je n’ai pas porté les coups les plus violents. Je n’imaginais pas qu’il allait mourir. »
– L’accusé, à la barre
Les experts médicaux défilent. Ils expliquent, schémas à l’appui, comment chaque coup de pied dans la tête a contribué à l’issue fatale. Comment l’hématome s’est formé, comment le cerveau a été broyé. C’est technique, c’est froid, mais c’est nécessaire. Pour que tout le monde comprenne que ce n’était pas « juste une bagarre qui a mal tourné ».
La question qui brûle tout le monde : pourquoi tant de haine ?
On peut parler technique juridique pendant des heures, mais il reste cette question lancinante : comment des gamins de 18-20 ans en arrivent à faire ça ? À lyncher quelqu’un avec une telle sauvagerie ? À trouver normal de filmer et diffuser ?
Certains diront l’éducation, d’autres la pauvreté, d’autres encore l’absence de perspectives. Moi je pense que c’est un cocktail explosif : la culture du « respect » mal placé, la surenchère permanente sur les réseaux, l’idée que la violence fait de vous quelqu’un. Et surtout, cette déshumanisation totale de l’autre dès lors qu’il vient d’un quartier rival.
Arthur n’était pas un ange, personne ne le prétend. Mais il ne méritait pas ça. Personne ne mérite ça.
Les réseaux sociaux, accélérateurs de barbarie
Un mot revient sans cesse pendant le procès : Snapchat. C’est là que tout a été diffusé en direct, ou presque. Les stories qui durent 24 heures, les groupes privés, les « close friends »… Tout un écosystème où la violence devient contenu viral.
- Des vidéos vues des milliers de fois avant d’être supprimées
- Des jeunes qui se vantent d’avoir « puni » quelqu’un
- Une forme de notoriété immédiate dans certains cercles
- Et surtout, aucune empathie pour la victime
On a déjà vu ça ailleurs, bien sûr. Mais là, on touche le fond. Parce que filmer quelqu’un en train de mourir, c’est franchir une ligne rouge que même les pires voyous d’autrefois n’auraient pas osé.
Et après ? Vers quelle société on va ?
Le verdict tombera dans quelques jours. Probablement une lourde peine, vingt ans, peut-être plus. Mais est-ce que ça changera quelque chose ? Est-ce qu’un gamin de 15 ans, quelque part en banlieue, va se dire « tiens, mieux vaut éviter » en pensant à Arthur ? J’ai honnêtement du mal à y croire.
Tant qu’on continuera à glorifier la violence sur les réseaux, tant qu’on laissera des jeunes sans repères errer dans des cités où le seul statut social passe par la force, on revivra ce genre d’histoire. Peut-être pas demain, peut-être pas dans la même ville, mais ça reviendra.
Arthur aurait eu 23 ans aujourd’hui. Il aurait peut-être un boulot, une copine, des projets. Au lieu de ça, il reste ce visage tuméfié sur des vidéos qu’on ne pourra jamais totalement effacer d’internet. Et une famille brisée qui tente, tant bien que mal, de faire son deuil.
Alors oui, le procès est important. Il doit envoyer un message clair : on ne touche pas impunément à la vie de quelqu’un. Mais il ne suffira pas. Il faudra bien plus que des années de prison pour que ce genre de nuit n’arrive plus jamais.
En attendant, on pense à Arthur. À sa mère qui assiste à chaque audience. À ses potes qui n’ont plus jamais été les mêmes. Et on espère, malgré tout, qu’un jour, la barbarie laissera place à autre chose.
Cette affaire nous renvoie à nos propres responsabilités. Collectives. Individuelles. Parce que derrière les titres choc, il y a un gamin qui n’a pas eu le temps de devenir un homme. Et ça, ça devrait nous empêcher de dormir.
