Imaginez la scène. Il est midi quinze, la cloche vient de sonner. Des centaines d’élèves sortent enfin du collège, pressés de retrouver l’air libre après une matinée de cours. Et là, sans prévenir, des détonations assourdissantes. Des éclairs orange zèbrent l’air. Des mortiers de feu d’artifice, ceux qu’on réserve habituellement au 14 juillet, fusent droit sur l’entrée de l’établissement. C’est pas un film. C’est Sevran, en novembre 2025.
Quand l’école devient un champ de bataille
Jeudi 20 novembre, le collège Paul Painlevé a vécu l’impensable. Des individus cagoulés, postés juste devant les grilles, ont tiré cinq projectiles de type F3 – des engins classés dangereux, capables de provoquer de graves brûlures ou pire – directement sur les élèves et le personnel de vie scolaire qui encadraient la sortie.
Un des mortiers a explosé devant l’entrée. Les quatre autres sont passés par-dessus la grille et sont retombés dans la cour. Le personnel a hurlé, poussé les gamins à l’intérieur en urgence. Certains ont pris leurs jambes à leur cou dans la rue. La panique totale.
« On était en sidération. On n’a réalisé la gravité qu’après. »
Un professeur présent ce jour-là
Une élève de sixième brûlée, un autre traumatisé
Le lendemain matin, la terrible nouvelle tombe : une petite de 11 ans a le bras brûlé. Un autre élève se plaint d’acouphènes violents. Des blessures physiques, certes, mais le choc psychologique, lui, touche tout le monde. Élèves, profs, personnels. Même les parents, prévenus dans l’urgence, sont sous le choc.
Et là, vous vous dites peut-être : « Bon, au moins, la police est intervenue vite. » Oui, les forces de l’ordre étaient déjà sur place – elles patrouillaient autour du collège depuis plusieurs jours. Elles ont renforcé leur présence jeudi, vendredi, lundi. Mais ça n’a pas empêché l’attaque. Et ça pose une question terrible : à quoi sert la présence policière si elle ne dissuade même plus ?
Une grève pour pouvoir… parler
Lundi 24 novembre, une bonne partie du personnel s’est mise en grève. Pas pour les salaires, pas pour les conditions de travail habituelles. Non. Juste pour avoir le droit de parler avec les élèves. De faire un temps d’échange, de parole, de débrief collectif après un événement aussi traumatisant.
Et devinez quoi ? Le rectorat a refusé. Priorité à la continuité pédagogique, qu’ils disaient. Traduction : on ferme les yeux, on fait cours comme si de rien n’était, et surtout on n’en parle pas trop. Résultat ? Une vingtaine de profs et tout le personnel de vie scolaire en grève. Une colère froide.
« On voulait juste un moment pour que les gosses puissent dire leur peur, leur colère, leurs questions. On nous l’a interdit. »
Franchement, c’est glaçant. On traumatise des gamins de 11-15 ans avec des explosifs, et la réponse institutionnelle, c’est le silence ?
Sevran, ou le symbole d’une violence qui monte
On pourrait se dire que c’est un « incident isolé ». Sauf que non. En Seine-Saint-Denis, les établissements scolaires sont de plus en plus souvent la cible directe ou collatérale de la violence des quartiers. Rodéos, fusillades, règlements de comptes qui débordent jusque dans les cours de récré… On a franchi un cap.
Le collège Paul Painlevé est classé REP+, c’est-à-dire en zone d’éducation prioritaire renforcée. Ça veut tout dire. Les équipes y font un travail énorme, souvent dans l’ombre. Mais quand des mortiers pleuvent sur la cour, on se demande jusqu’à quand ils tiendront.
- Des profs qui se font insulter quotidiennement
- Des intrusions régulières dans l’enceinte
- Des bagarres qui dégénèrent avec armes blanches
- Et maintenant des tirs de mortier en pleine journée
À force, on n’est plus dans la « petite délinquance ». On est dans une forme de terreur organisée.
Mais pourquoi cibler un collège ?
La question qui brûle tout le monde. Plusieurs hypothèses circulent, sans confirmation officielle pour l’instant :
- Un règlement de comptes qui a mal tourné et qui a visé quelqu’un à l’intérieur
- Une intimidation pure et simple envers des élèves ou des personnels
- Une démonstration de force d’un groupe qui veut montrer qu’il « tient » le quartier
- Ou pire : une vengeance après une intervention de la vie scolaire ou d’un prof
Ce qui est sûr, c’est que les auteurs savaient exactement ce qu’ils faisaient. Cagoulés, en plein jour, devant des caméras de vidéosurveillance, à l’heure de sortie des classes. C’est pas un gamin qui fait mumuse avec un pétard. C’est réfléchi. Et ça fait peur.
Et maintenant ?
Une plainte a été déposée. La police enquête. La présence policière est renforcée (encore). Mais tout le monde sait que ça ne suffira pas. Parce que le problème n’est pas seulement sécuritaire. Il est social, éducatif, politique.
Dans ces quartiers, une partie de la jeunesse se sent abandonnée. L’école, censée être le dernier rempart, devient parfois la cible. Et ceux qui y croient encore – les profs, les CPE, les AED – se retrouvent en première ligne, sans moyens, sans soutien réel.
On peut installer des portiques, des caméras, des alarmes PPMS (plan particulier de mise en sûreté). Mais tant qu’on ne s’attaque pas à la racine – trafic de drogue, désœuvrement, absence de perspectives – on colmate une fuite avec du scotch.
Ce qui s’est passé à Sevran n’est pas qu’un fait divers de plus. C’est un signal d’alarme. Un de plus, direz-vous. Mais jusqu’à quand va-t-on attendre le drame irréparable pour réagir vraiment ?
Parce qu’aujourd’hui, c’est une brûlure au bras. Demain, ça pourrait être bien pire.
Et ça, personne ne veut l’avoir sur la conscience.
En attendant, les profs du collège Paul Painlevé continuent d’accueillir leurs élèves chaque matin. Avec le sourire, souvent. Avec la peur, aussi. Parce que c’est leur métier. Parce qu’ils y croient encore.
Mais jusqu’à quand ?
