Imaginez. On vous envoie l’adresse par SMS la veille, comme pour un rendez-vous secret. Vous montez au troisième étage d’un bel immeuble haussmannien, sonnez à une porte sans plaque. Une jeune femme souriante vous accueille, vous fait asseoir dans un salon immaculé. « Vous allez être trop belle », vous glisse-t-on avec un grand sourire. Et là, dans ce qui ressemble à un appartement tout ce qu’il y a de plus classique, on vous propose de gommer votre double menton… ou d’aspirer votre ventre. Sans chirurgien. Sans bloc opératoire. Juste comme ça.
C’est l’expérience que vivent des milliers de femmes en France depuis quelques années. Et au cœur de cette dérive, un nom revient sans cesse : Aunessa.
Le mirage de la beauté sans chirurgie
Sur les réseaux, c’est le rêve absolu. Des comptes suivis par plus de 110 000 personnes affichent des transformations spectaculaires. Un double menton qui disparaît en une séance. Des pommettes redessinées en quinze minutes. Des ventres plats comme après six mois de sport intensif. Le tout « sans bistouri », « sans éviction sociale », et surtout à des prix défiant toute concurrence : moins de 2 000 euros pour un « Korean lift » qui, soi-disant, change la vie.
Le discours est rodé. On vous parle de techniques coréennes révolutionnaires, de lasers dernière génération, d’acide hyaluronique premium. On vous montre des vidéos d’influenceuses ravies, des avis cinq étoiles à la pelle. Tout semble parfait. Trop parfait.
Des appartements transformés en cliniques fantômes
Dans la réalité, quand on pousse la porte, c’est autre chose. Pas de plaque professionnelle, pas de salle d’attente digne de ce nom, parfois même pas de bureau. Juste un canapé, une table basse, et au fond, une pièce avec un lit médicalisé caché derrière un paravent.
À Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille… les adresses changent régulièrement. On vous fait attendre des semaines sur liste d’attente, puis l’adresse tombe au dernier moment. Question de discrétion, dit-on. En vérité, c’est surtout pour échapper aux contrôles.
« J’ai trouvé ça bizarre dès le début », raconte une jeune femme de 34 ans qui a préféré garder l’anonymat. « Mais les photos avant-après étaient tellement bluffantes… Et puis tout le monde en parlait. »
Elle a fini par repartir sans se faire traiter. D’autres, beaucoup d’autres, n’ont pas eu cette prudence.
Quand le « raffermissement » cache une vraie liposuccion
Car le plus grave n’est pas seulement l’absence de cadre médical. C’est ce qui se passe réellement derrière les rideaux.
Des patientes témoignent : on leur propose non pas des injections, mais une véritable aspiration de graisse. Avec canule. Sous anesthésie locale. Dans l’appartement. Parfois même sans que le mot « liposuccion » soit prononcé – on parle de « traitement corps révolutionnaire » ou de « lipolyse assistée ».
- Pas de chirurgien plasticien diplômé
- Pas de bloc opératoire stérile
- Pas de suivi post-opératoire sérieux
- Et surtout, pas d’autorisation légale
En France, la liposuccion est un acte chirurgical. Point. Elle ne peut être réalisée que par un médecin inscrit à l’Ordre et dans un établissement agréé. Tout le reste est illégal. Et dangereux.
Un réseau qui s’étend malgré les enquêtes
Ce qui choque le plus les professionnels de santé, c’est l’impunité apparente. Une information judiciaire est en cours. Des plaintes ont été déposées. Des perquisitions ont eu lieu. Mais les centres continuent d’ouvrir. Un nouveau à Nice. Un autre à Lille. Toujours le même schéma : appartement discret, communication agressive sur les réseaux, résultats spectaculaires.
Les gérantes – car ce sont souvent des femmes – présentent bien. Elles savent parler aux client(e)s. Elles connaissent les codes de l’influence. Et elles ont parfaitement compris une chose : la demande de beauté rapide et pas chère est immense.
« C’est un phénomène de société », soupire un chirurgien esthétique parisien que j’ai rencontré récemment. « On assiste à une uberisation de la médecine esthétique. Les gens veulent du résultat immédiat, du prix bas, et ils ferment les yeux sur la sécurité. »
Les dangers bien réels derrière le rêve
Et les complications existent. Infections graves. Embolies graisseuses. Nécroses cutanées. Des patientes se retrouvent aux urgences avec des abcès gros comme des oranges. D’autres gardent des séquelles à vie.
Il y a aussi les injections sauvages. Acide hyaluronique de provenance douteuse. Botox dilué n’importe comment. Des visages déformés, des lèvres explosées, des paupières tombantes. Des dégâts parfois irréparables.
J’ai vu des photos. C’est terrifiant.
Pourquoi ça marche autant ?
La réponse est simple, et cruelle à la fois.
D’abord, le prix. Une liposuccion classique chez un chirurgien certifié, c’est entre 4 000 et 8 000 euros. Chez Aunessa ? Moins de la moitié. Parfois même 1 500 euros pour « aspirer le ventre ».
Ensuite, la facilité. Pas besoin de consulter un médecin au préalable. Pas d’attente interminable. On prend rendez-vous sur Instagram, on paye en plusieurs fois, et hop.
Enfin, la pression sociale. On vit dans une époque où l’apparence est devenue une monnaie d’échange. Où les filtres nous ont habitués à une perfection irréelle. Où ne pas « correspondre » peut devenir une souffrance quotidienne.
Dans ce contexte, le discours d’Aunessa tombe juste : « Vous méritez d’être belle. Tout de suite. Sans attendre. Sans vous ruiner. »
Que faire quand on est tenté ?
La première chose, et la plus importante : vérifier les qualifications.
- Le praticien est-il médecin ? Inscrit à l’Ordre ? Spécialiste en chirurgie plastique ?
- L’établissement est-il agréé pour les actes proposés ?
- Y a-t-il un vrai devis, une consultation préalable, un consentement éclairé ?
- Que se passe-t-il en cas de complication ? Qui prend en charge ?
Si la réponse à l’une de ces questions est floue, fuyez.
La beauté ne devrait jamais mettre votre vie en danger.
Au moment où j’écris ces lignes, de nouveaux centres Aunessa ouvrent leurs portes. De nouvelles patientes prennent rendez-vous. Certaines ressortiront ravies. D’autres… beaucoup moins.
Le rêve de beauté instantanée a un prix. Et parfois, ce prix est bien trop élevé.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
