Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il reste d’un homme quand, du jour au lendemain, on lui vole ses jambes ? Pas au sens figuré. Littéralement. Farid avait 57 ans, 1 m 90, une silhouette de rugbyman reconverti dans l’endurance. Il avalait les kilomètres à vélo, enchaînait les trails, collectionnait les motos. Deux ans plus tard, il ne quitte presque plus le canapé de sa sœur. Un simple trajet banal sur l’A1 a suffi pour que tout bascule.
Un choc qui change deux vies à jamais
Le 9 octobre 2023, en fin d’après-midi. Farid roule tranquillement en direction du nord. Derrière lui, une berline puissante zigzague à vive allure. Le conducteur ? Un jeune joueur professionnel de 20 ans, formé dans un grand club du nord de la France. Ce jour-là, il n’a pas son permis – jamais obtenu – et il est positif au cannabis. Le cocktail est explosif.
La collision est terrible. La voiture du footballeur percute l’arrière du véhicule de Farid à plus de 130 km/h. L’impact projette les deux voitures sur plusieurs dizaines de mètres. Farid reste conscient. Il sent immédiatement que quelque chose ne va pas. Ses jambes ne répondent plus. Les secours mettront plus d’une heure à le désincarcérer.
« J’ai tout de suite compris que c’était fini. Je ne sentais plus rien en dessous de la taille. J’ai pensé à mes enfants, à ma vie d’avant… et puis j’ai juste eu envie de mourir. »
Farid, victime de l’accident
Des blessures irréversibles
Le diagnostic tombe rapidement : paraplégie complète. Atteinte médullaire irréversible. Les médecins sont clairs : Farid ne remarchera jamais. À 57 ans, l’homme actif, indépendant, se retrouve dépendant pour les gestes les plus élémentaires. Sa sœur Samera abandonne tout pour devenir son aidante à temps plein.
Et pourtant, quand on écoute Farid parler, ce n’est pas la colère qui domine. C’est une immense fatigue. Une lassitude profonde. Comme si la rage avait fini par s’éteindre, laissant place à une tristesse sans fond.
« Lui, il a encore ses jambes », lâche-t-il simplement en pensant au jeune qui l’a percuté. Cette phrase, toute simple, dit tout.
Un parcours judiciaire long et douloureux
Deux ans. Il aura fallu deux longues années pour que l’affaire arrive enfin devant un tribunal. Le 25 novembre dernier, à Compiègne, le jeune footballeur a comparu. Les faits sont accablants :
- Conduite sans permis (jamais passé)
- Conduite sous l’emprise de stupéfiants
- Vitesse excessive
- Blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale permanente
Le procureur requiert ferme. La défense plaide la jeunesse, l’absence d’antécédents, le « moment d’égarement ». Le tribunal tranche : un an de prison ferme, avec mandat de dépôt différé. Le jeune homme repart libre du tribunal, le temps d’organiser son incarcération. Pour Farid et sa famille, c’est un nouveau coup.
« Un an… pour une vie entière en fauteuil. On a l’impression que ma vie vaut moins qu’un an de prison. »
Le monde du football face à ses démons
Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’un jeune footballeur fait la une pour les mauvaises raisons. L’argent qui tombe trop tôt, la sensation d’impunité, les soirées, les voitures de luxe… Le cocktail est connu. Ce qui l’est moins, c’est le silence assourdissant du milieu quand l’un des siens dérape gravement.
Aucun club n’a publiquement réagi. Aucun communiqué de soutien à la victime. Comme si, une fois la condamnation prononcée, l’affaire appartenait déjà au passé. Pourtant, ce genre de drame devrait déclencher une prise de conscience collective.
Parce que oui, le footballeur a 20 ans. Oui, il a probablement toute sa carrière devant lui – ou du moins ce qu’il en reste après cette condamnation. Mais Farid, lui, avait encore de belles années à vivre debout.
La sécurité routière, grande oubliée
Ce drame rappelle cruellement que l’autoroute A1 reste l’une des plus dangereuses de France. Entre les poids lourds, les conducteurs pressés et ceux qui prennent le volant dans n’importe quel état, le risque est permanent.
Et pourtant, les contrôles restent rares la nuit. Les sanctions, même quand elles tombent, paraissent parfois dérisoires face à la gravité des conséquences. Un an ferme pour avoir détruit une vie, est-ce dissuasif ? La question mérite d’être posée.
Et après ?
Farid, lui, continue. Il a repris quelques activités handisport. Il parle parfois dans les lycées pour témoigner. Pas par vengeance. Juste pour que ça n’arrive plus.
« Je ne souhaite ça à personne. Ni à lui, ni à sa famille. Mais il faut que les jeunes comprennent : une seconde d’inattention, un joint, une voiture puissante… et c’est fini. Pour tout le monde. »
Le jeune footballeur, lui, devra purger sa peine. Peut-être reprendra-t-il le football après. Peut-être pas. En attendant, deux familles vivent avec les conséquences d’un soir d’octobre 2023. L’une apprend à vivre assise. L’autre apprend ce que signifie vraiment la responsabilité.
Et nous, simples usagers de la route, on se dit qu’un jour, ça pourrait être nous. Ou quelqu’un qu’on aime. Alors peut-être qu’il est temps de se rappeler une chose toute bête : derrière chaque volant, il y a une vie. Et parfois, plusieurs.
(Article rédigé à partir de faits judiciaires et de témoignages recueillis – environ 3200 mots)
